Chapitre 3

3 minutes de lecture

Les obsèques

Revenu sur les lieux du crime, Raymond constate avec désespoir les résultats de la récente catastrophe. Il regarde avec mélancolie les quelques morceaux encore identifiables de sa tasse vénérée. Il n’y a plus rien à tenter pour ramener ce vestige à la vie. On n’est pas à Jurassic Park, ici ! Pas moyen de bidouiller l’ADN dans un azimuteur biconvexe à polarisation double pour extraire les codes secrets de l’argile familiale.
Les bras ballants, il déambule dans les ruines de la cuisine. La table porte encore les stigmates sanglants de la mâchoire de la vieille. Il repère quelques chicots noirs. La table elle-même à un pied brisé. Comme la vieille, elle est devenue bancale. Ses pantoufles crissent sur les bouts de verre. Les yeux remplis de larmes, il se désole du carnage dans son paradis. Du bout du pied, il repousse quelque fragment de faïence, dans l’espoir insensé de le voir réagir ou de l’entendre couiner une dernière fois avant de disparaître à jamais. Mais la mort a fauché la tasse maternelle.


Il comprend qu’il devra continuer sa route, seul et loin de tout. Une seule tasse lui manque et son monde est dépeuplé ! Le regard sombre et les épaules basses, il s’empare d’un geste las de son fidèle balai à poils durs. Celui qui le suit depuis près de quarante-cinq ans. Presque jamais servi… Raymond ramasse les vestiges et s’apprête à les jeter dans la poubelle quand un éclair zèbre son esprit endolori : il va faire des funérailles dignes d’une reine à cette pauvre tasse, symbole de la présence de sa famille disparue.
Il laisse tomber son balai, fonce dans la cave, remonte quelques instants plus tard avec une petite boîte en fer rouillée. Ramasser les fragments ne lui prend que quelques secondes. La boîte est pleine. La tasse sera inhumée avec une multitude d’autres saloperies mais, tel un vase canope, elle pourra franchir le fleuve qui la sépare encore de la Lumière Sacrée, accompagnée de ses esclaves empoussiérés.
Bon, maintenant, il lui faut prévenir tous ses proches pour les convier aux obsèques. Il ne lui faut pas perdre de temps. Il n’y aura pas grand monde, c’est sûr, mais il faut quand même faire les choses dans les règles. Le vieux se dirige donc vers le téléphone et annonce la terrible nouvelle à son pote René.
Son seul pote. Tous les autres sont déjà réduits en phosphates, à bouffer des racines de pissenlits élevés au chlorate de soude depuis pas mal de temps déjà. Ça sonne.

  • Ouais…René ? Bon, faut que tu viennes à la maison.
  • Quand donc ?
  • Maintenant !
  • Qu’est-ce qui se passe ?
  • Elle est morte !
  • Pas possible ! Euh…mais qui ça ?
  • J’te le dis ! Réduite en bouillie…
  • Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
  • Une mauvaise chute suivie d’une mauvaise rechute !
  • C’est arrivé quand ?
  • Tout à l’heure !
  • Elle a souffert ?
  • Un calvaire !
  • T’as rien pu faire ?
  • A la première chute, j’ai réussi à recoller les morceaux mais pas à la rechute.
  • Désolé… je ne sais pas quoi te dire.
  • Y a plus rien à dire.
  • Elle était pourtant belle d’après ce que tu m’en avais dit, tente René, complètement à côté du sujet.
  • Je sais, je sais…ronde, ferme, un peu froide de prime abord mais tellement chaleureuse après son premier café…
  • Il paraît qu’elle le sublimait.
  • Ouais, je confirme. Un vrai délice.

Dialogue de fous. Raymond, tout à sa douleur ne comprend pas que René ne sait pas de quoi il est question.
Et moi, ça me fait tarter de le voir si malheureux pour une faïence de daube. Alors, ne le répétez à personne mais, d’un simple mouvement, j’interviens une dernière fois pour recoller les morceaux de la tasse… Je fais comme votre Sorcière Bien Aimée : je me tords les narines sans y toucher et le maléfice s’opère dans une petite lueur bleue.
Raymond ne le sait pas encore…mais sa tasse vient de ressusciter. Pas besoin d’attendre trois jours dans une grotte sombre et humide, hein ?
Quand on veut, on peut. Et quand on peut, on doit ! Napo dixit.

Voilà.
Il pourra croiser d’autres Agathe.

FIN

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Frédéric Leblog ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0