L'ami dans les montagnes

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I

Les étoiles scintillaient quand j’arrimai ma monture à l’arbre qui faisait le planton du seuil de l'église de ce village dans la montagne.

Je ne saurais donner ni noms, ni lieux exacts, ni dates, malgré que j’eusse adoré le pouvoir. Disons que nous étions quelque part entre les débuts d’un Louis XIII et les achèvements du suivant, à en croire mes activités et accoutrements. Et que la guerre faite à l’Espagne terminait depuis peu sa rage ou tout au contraire battait son plein.

Mousquetaire étais-je, dit-on, du moins tout le laissait croire : les bottes montantes aléatoirement cirées et non reluisantes qui sentaient la poussière des sentiers et le poil des écuries, le pantalon bouffant égratigné de ci de là sur les flancs, l’épée plus souvent à la ceinture qu'en main, parfois un mousquet pas toujours armé à la croupe du destrier, le chapeau de feutre sur le crâne et son long plumage, la cape dans le dos puis, ma foi, la casaque brodée de sa croix resplendissante comme intacte sur un buste que je ne manquais pas de bomber quand un imprudent osait titiller ma vanité de Gascon. Pour ce qui est du trait de caractère, à n'en point douter, l’on ne se trompait pas...

Je savais que je n’en aurais pas pour longtemps. J’avais grimpé les flancs abrupts par les chemins qui les rendent pratiquables, pour simplement venir voir ce qu’il en advenait de mon ami le prêtre, curé de ce grand hameau miraculé qui aura résisté à la bataille des Espagnols comme le coq de fer au sommet d’un clocher que personne n’ose toucher. Je n'aurais pourtant su compter les semaines qui me séparaient de ma dernière visite, me souvenant seulement du péril qui était grand : le feu tirant de toutes parts dans les parages et que bien des cris montaient à travers les forêts…

Je marchais, maintenant, quoique inquiet, d’un pas lent, lourd, presque serein, reconnaissant, en vainqueur écrasant les graviers fins de l’enclos, heureux, privilégié d’aller à un homme qui valait le détour sur ce monde. Je l’avais laissé dans sa verve habituelle, droit, fort, inébranlable, et je m’attendais tout naturellement à le revoir dans une identique superbe, la soutane intacte, le moral au pinacle.

Il n’en fut rien.

J'eus même un pincement au cœur qui me commanda de m’asseoir en silence à son côté sur le banc de pierre adossé à la façade du sanctuaire. Là, le bougre se tenait la tête entre les mains ouvertes en éventail, comme s’il s’évertuait à résoudre l'énigme d'un complot de Cardinal ou a ressasser d’éternelles pensées, sans avoir pris la peine de regarder qui venait.

— J’ai reconnu tes pas, l'ami, sois tranquille... mais... pardonne-moi…

— Je crois avoir compris, mon père, rien ne va mieux, il semble…

— Oh, rien d'aussi grave que ce tu pourrais penser ! Mais...

dit-il en se tournant enfin vers moi, ainsi qu’un triste visage marqué par des ombres et des plis que je ne lui connaissais pas.

Puis, dans un sourire que je sentis forcé, sa main sur mon épaule (comme si j’étais celui à consoler) :

— Ne t’inquiète pas, fils... vous avez fait ce que vous avez pu, toi et les autres... ta présence au-delà du contrat n’y aurait rien changé. Crois-moi.

Et là dessus, une bande de minets bruyants – un grand fier de soi à l'avant de quelques plus jeunes qu’il semblait mener – se jetèrent sur nous avec leur défiance enfantine, pleins d’effervescence, de bruits à faire entendre et de ricanements déjà moqueurs. Sur quoi l'arrogant, sans préambule et me montrant du bras :

« Hey mais regardez-moi celui-là, le bellâtre, avec son beau costume coloré, assis avec l'autre qui est tout en gris et noir, comme si c’était carnaval devant la maison du Seigneur !! ».

Et tous de s’esclaffer sur la boutade injurieuse.

Assez pour faire monter mon sang de Gascon aux oreilles. Je me levai derechef, écartant ma cape d’une main, l’autre posée sur le pommeau de mon arme comme pour les menacer (en fait les faire partir), leur criant d’aller voir ailleurs si j’y étais, le front empourpré.

Ils n’auront pas demandé leur reste et seront partis comme ils étaient venus – gais, agités, bondissants pour un rien, vacarmeux*, sarcastiques... en bref de la vitalité à revendre et le sens du respect au fond des talons.

« En voilà qui auront de quoi mettre au service du pays plutôt que les provocations puériles, quand ils seront en âge de liquider leurs forces inépuisables », pensai-je et je reprenai ma place.

A suivre :

Ni roi ni cardinal.

Nota :

*Je n’ai pas trouvé ce mot dans les dictionnaires alors j’ai cru bon l’inventer.

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