Songe aux toits d'hiver, vieux frère

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 Les rayons se meurent maintenant, et sous les volutes et les poussières et le halo de la lampe, tu poursuis cette quête de sens, que tu ne verras sûrement jamais s’accomplir, mais qui te restera toujours comme un pare-feu, devant les spleens dissidents. Comme une espèce de placebo, reçu sous les conseils d’une voyante, contre la rascasse d’une vie qui trop forte peut te tuer d’une overdose de vécu.

                Tu t’imagines, toi, mourir d’avoir trop vu ?

C’est d’un jet la joie de l’utilité, mais le regret d’avoir atteint une fin, qui a pris le temps d’être attendue par certains, mais qui restera à jamais le grand méchant loup caché derrière les bosquets de chrysanthèmes. Elle sème ce goût amer, sur une vie blanche qu’on aura beau remplir à outrances des trésors du monde et de l’esprit, elle passera quand même le couteau au travers de nos reins. 

Alors tant pis laisse-la là où elle est et vient, et vit, vit jusqu’à plus soif, et, surtout, vis avec les Autres. Les rencontres. Si l’Homme ne vaut pas la peine de vivre, il vaut peut-être celle d’être vécu.

Tu le connais, ce précieux sentiment, celui qu’on a croisé chez cet homme avec qui on trinquait à la vie à la mort devant les lézardes du Vrai bar, à deux pas du Négus. C’est grisant. C’est grisant ces nuits passées à se découvrir, avec lui qui sait pas trop comment ça fonctionne, qui drague de manière compulsive et qui fait du mal, à lui et aux vieux frères, à pas savoir s’arrêter. Avec elle qui s’est fait rouler dessus par la vie mais qui se relèvera sans cesse pour accueillir la prochaine vague, encore et encore, jusqu’à pouvoir calmer des cyclones et des tempêtes. Et lui qui s’y intéresse plus qu’au simple monde, mais qui aura toujours cette mélancolie d’être parti avant l’Heure. C’est grisant. Et avec elle, elle, elle qui s’y connait si peu, nous en a appris tant, qui sait déjà beaucoup, mais passe son temps à en douter. Finalement, c’est pour eux que j’écris.

Le poing serré, j’y songe souvent, à ces instants passés à chercher les Loueurs, ou à ceux où, avachis sur les divans de fumée, on refaisait encore le monde, le Terre, la Lune et les Hommes avec les autres vieux frères, ou ceux à notre Charbon, derrière la porte, à s’extasier devant un bonheur pur et fatidique. C’est à eux qu’appartiennent ces mots, ces jolis mots, ceux que j’essaye d’écrire, intouchables et pourtant à portée du premier ivre venu.

Pour ces rencontres que la fortune m’a offertes, et pour ces années de galère à n’avoir comme seule richesse les Hommes, je lève mon verre et le cœur serré annonce mon départ vers moi-même. Vers cet inconnu, que je n’ai jamais voulu connaitre, mais qui commençait à trop marquer ces rencontres pour que je ne m’en aperçoive plus. Je pars l’âme sereine, le cœur enfin apaisé, et la tête enfin pleine, les fibres enfin formées, et l’esprit, enfin, partiellement construit. Je pars, et vous laisse, vieux frères, non pas parce que j’en ai fini avec vous, mais parce que je sais, maintenant, que, quoique je fasse, où que je sois, on sera toujours là ensemble, vieux frères, avec toi, moi et tous les autres, vieux frère, et c’est ce qui me restera toujours de plus cher.

 

Et pour lui je vous garderai tous en mémoire, vieux frères, quitte à devoir brûler des rag au fond de ma mémoire, pour pouvoir tous, enfin, vous y accueillir précieusement. Quitte à brûler, quitte à m’endormir vieux frères, je me fais votre gardien, votre protecteur. Je vous prends à ma charge, vieux frères, jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’à ce qu’un porteur de flambeau puisse, enfin, apercevoir ce que je porte, et de lui confier, vieux frères, vous, eux, moi, de confier à ses mains frêles et inflexibles le trésor, vieux frères, le trésor que vous avez fait de ma vie, et qui n’est que trop précieux pour mourir à sa fin. Alors, vieux frères, je vous rejoindrai, enfin, et nous nous fêterons, en vieux frères que nous sommes, dans les louanges et les larmes de bonheur de se trouver, enfin.

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