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Julen devait se rendre à l’unité de soins palliatifs du Centre Hospitalier de Bordeaux, où sa femme, en fin de vie, recevait un traitement pour soulager ses douleurs, mais la curiosité et l’effroi éprouvé au moment de la découverte de sa mort annoncée, prirent le dessus, l’exhortant à accepter l’invitation d’Hippolyte. Si la plaque disait vrai, il soufflerait son dernier soupir dans trois jours, le 25 mai 2024.

Une fois entré dans le presbytère, il se sentit incapable de prononcer la moindre parole, trop remué pour cela. Après un instant d’hésitation, Hippolyte décida de briser le silence.

« Je vous prépare un café, suggéra-t-il en lui tapotant l’épaule dans l’espoir d’obtenir une réponse avant d’enchaîner, je suis au courant pour votre épouse, d’ailleurs tout le village en parle, dit-il d’un air sombre. »

En vain, le visage de Julen, rongé par l’angoisse, restait livide, avec le regard presque dans un état d’épouvante. À le contempler de plus près, on aurait dit qu’il venait de vieillir de dix ans en une heure.

« Il est bien rare que des gens se donnent la peine de pousser jusqu’ici, dit Hippolyte d’une voix bienveillante, du moins personne du village, reprit-il avant de marquer une pause. C’est vrai qu’il y a parfois quelques curieux qui se bousculent dans le cimetière, mais guère pour entretenir les tombes ou s’y recueillir. Ils se contentent de visiter la chapelle, de la photographier, mais à part ça, ils ne font rien d’autre. »

Tous les efforts d’Hippolyte pour sortir Julen de sa torpeur demeuraient sans résultats. Les yeux de Julen s’élargissaient pour mieux se refermer la seconde d’après, comme embarqués au cœur d’une tempête à bord d’un vieux rafiot sans boussole ni gouvernail. Il se sentait tour à tour fourbu et dévasté, le corps écrasé par une crainte effroyable l’envahissant jusqu’à la moelle.

« Je ne voulais pas vous alarmer tout à l’heure en vous parlant de ces deux sépultures mystérieuses, pourtant une chose est des plus surprenante, déclara Hippolyte d’un air aussi sérieux que celui d’un bourreau prêt à s’acquitter d’une condamnation à mort, la main caressant la manette d’une guillotine. Je suppose que vous avez remarqué la date du 25 mai 1674, eh bien figurez-vous que le cimetière ne fut bâti qu’en 1860. »

La mine hébétée, Julen murmura comment c’était possible, espérant se réveiller d’un profond cauchemar.

« En réalité, la chapelle se dressait déjà sur son tumulus, ce qui nous fait cent quatre-vingt-six ans d’écart entre la création du cimetière et le tombeau MS-025, s’écria Hippolyte avec les mains agitées, bondissant sur place, le regard chargé d’euphorie, attendez, je vais vous montrer ! »

Tandis qu’Hippolyte parcourait la pièce, la traversant d’une foulée agile, s’emparant du recueil sur le bureau, Julen demeurait prostré, le corps aussi mou que du caramel fondu, répétant à voix haute comment était-il possible que la date de sa mort soit inscrite sur la plaque funéraire. Il se disait qu’Ortiz devait se marrer dans son coin, trouvant cela sûrement drôle. Hippolyte, pris d’une bougeotte soudaine, sautillait, se tortillait alors que ses gros doigts agrippaient les pages les unes après les autres les faisant défiler à toute allure.

Enfin il s’arrêta.

Relevant la tête, il vit Julen du coin de l’œil avec le visage anéanti.

« Je vous ai observé dès votre arrivée dans la cour du presbytère, puis je me suis rendu sous le porche du cimetière pour m’assurer que sous cette pluie battante, vous ne cherchiez pas une aide quelconque. J’ai brusquement fait un saut en arrière en vous apercevant effondré au pied des grilles de la chapelle, agenouillé dans une flaque, dit-il, vous n’êtes pas seul, fit-il remarquer, nous allons résoudre cette énigme, croyez-moi. »

Hippolyte ne se serait jamais attendu à croiser un individu ressemblant trait pour trait au mystérieux personnage décrit dans le recueil. Quoiqu’il préférât considérer Julen comme un ami pour le moins insolite, il était bien forcé d’admettre que cette rencontre allait le plonger vers un monde obscur, insondable, l’ouvrage qu’il tenait entre les mains en témoignait.

Il se rapprocha de Julen, prit sa main et la posa sur la couverture du livre.

« Peut-être qu’il s’agit d’une simple erreur ou quelque chose de ce genre, un plaisantin, dit-il, ne voulant pas à ce stade lui révéler ce que contenait le manuscrit.

— Quoi ? Excusez-moi mon père, mais je ne vous ai pas écouté, répondit Julen, saisi d’un frisson qui lui glaçait le dos.

— Je disais que cela procédait vraisemblablement d’une vengeance ou d’une farce de mauvais goût.

— Oui, sûrement, répéta-t-il pour mieux se convaincre, de quoi traite votre bouquin ? demanda-t-il avec les mots au bord des lèvres qu’il avait un mal de chien à faire jaillir.

— Il est encore trop tôt pour en parler, mais le manuscrit contient des informations importantes sur la chapelle MS-025.

— Eh, attendez une minute, vous faites mine de m’intéresser à votre livre écorné et poussiéreux pour ensuite me dire de circuler, qu’il n’y a rien à voir ! À quoi jouez-vous ? s’écria Julen, sentant sa main attirée comme un aimant sur le recueil.

— C’est vrai, approuva Hippolyte, mais vous ne sauriez même pas quoi chercher à l’intérieur.

— Dans ce cas, laissez-moi en juger par moi-même, avouez qu’il y a un lien avec le médaillon sur la plaque !

— Je ne pense pas, pourtant, une chose est certaine, ce recueil retrace toute la genèse de la chapelle, cela dit, je vais vous aider à tirer cette histoire au clair.

Julen regardait Hippolyte avec stupéfaction, sidéré de constater comment d’une simple question, le révérend s’égarait dans un enthousiasme sans fin.

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