Prologue - Dalton Hill

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Le souffle court, Dalton Hill se laissa tomber contre la paroi rocheuse qui le cachait des yeux de ses poursuivants. Dos au mur, il baissa la tête pour fixer ses membres flageolants. Ses jambes ne le porteraient plus bien longtemps et il le savait. Quelle chance avait-il de leur échapper ? Ils gagnaient sans cesse du terrain alors qu'il perdait tout espoir de s'en sortir. La distance qui les séparait ne faisait que réduire inexorablement, le confrontant à la dure réalité : il ne survivrait pas à ce jeu dément. Son temps était pratiquement écoulé.

Les yeux clos, il tenta de capter tous les bruits alentours pour déceler une quelconque présence. Le trouveraient-ils bientôt ? Aurait-il droit à une fin rapide ? Il n'aurait su le dire et cela le terrifiait au plus haut point. De ce qu'il avait pu voir de ces brutes, elles n'étaient pas du genre à asséner une mort douce à leurs proies. Bien au contraire ! Tout cela n'était qu'un jeu pour elles et elles comptaient bien profiter de cette nouvelle chasse pour se divertir à hauteur de leurs espérances. Il n'était pas le seul candidat de cette farce sordide et il aurait donné cher pour ne pas y prendre part. Mais comme toutes ces victimes, il n'avait pas eu son mot à dire.

Soudain, un craquement à sa droite le fit sursauter. Le cœur battant à tout rompre, il ne savait vers quel saint se tourner. Après tout, à quoi lui servirait une prière ? C'était l'évidence même que personne ne lui viendrait en aide dans ce lieu infernal. Il l'avait bien compris les premiers jours, alors pourquoi s'obstiner ? Il déglutit. Si seulement son trépas pouvait survenir sans qu'elles ne prennent leur temps avec lui... Ces choses adoraient jouer !

Un autre bruit le fit sursauter. Les membres crispés à l'extrême, il ferma les yeux en s'imaginant être invisible. Oui. Personne ne devait le voir ! Il n'existait pas. Il n'était pas là, alors personne ne pourrait le trouver pour lui faire du mal. Il se laissa glisser contre la roche, atterrissant dans la poussière rougeâtre de ces terres désolées. Il se contre-fichait de se salir. Plus rien n'avait d'importance. Il n'était que loques depuis quelque temps. Il grimaça. Était-ce vrai qu'il était le directeur d'une compagnie d'assurance de renom ? Il n'arrivait pas à s'en souvenir. Tout ça lui paraissait tellement irréaliste et lointain...

Dire que quelques semaines avant cela, il se plaignait de son train-train quotidien, pourtant enviable, et se laissait rêver à de folles aventures. Il s'y revoyait encore, vêtu comme tout homme qui se respecte se devait de l'être, dans un costume chic aux teintes grisâtres relevé d'une cravate carmin. Ces vêtements coûtaient une fortune tant la marque était reconnue. Mais il ne s'en préoccupait pas. Il avait largement de quoi subvenir à ses besoins alors pourquoi se prendre la tête avec des futilités pécuniaires ? Certains peinaient à joindre les deux bouts ? Ce n'était pas son problème. Il était là pour atteindre ses objectifs, eux seuls comptaient. Il n'avait pas de temps à perdre avec le menu fretin. Il avait bien mieux à faire : elle s'appelait Maria.

Dès leur première rencontre, cette beauté fatale lui avait fait tourner la tête. Et pour cause. De quinze ans sa cadette, elle était parée de tous les atours qu'un homme peut espérer trouver sur une femme désirable. Et elle savait s'en servir pour obtenir ce qu'elle voulait. À croire que son nom n'était qu'une plaisanterie balancée à la face du créateur. Mais cela lui allait parfaitement.

Non sans y avoir perdu quelques plumes, Dalton avait réussi à charmer l'oiseau et à l'enfermer dans une cage dorée. Cela faisait maintenant quatre ans qu'ils filaient le parfait amour, Maria s'occupant de la gestion des biens de son époux tandis que ce dernier travaillait toujours plus pour faire fleurir son entreprise. Bien entendu, ils s'étaient tout de suite mis d'accord sur le fait qu'ils n'avaient aucun droit de fréquenter d'autres femmes, promesse que Dalton ne tenait pas tant il méprisait la pseudo influence que Maria pensait avoir sur lui. Qu'importaient ses escapades tant qu'il subvenait à tous ses besoins, la gâtant au delà de ses espérances.

Et puis survint ce que Dalton n'attendait pas : la routine. Elle se lova contre sa peau, lui rappelant à chaque instant que sa vie manquait de piquant. Oui, il avait la richesse. Oui, il avait la sécurité de l'emploi, le pouvoir et quantité de biens matériels luxueux. Et par dessus tout, il avait la plus belle femme qu'il eut connue, là, dans son lit, partageant son quotidien, quand bien même elle se doutait qu'il allait voir ailleurs parfois. Mais elle l'aimait, lui, et la sécurité qu'il lui assurait. Mais cela était terminé désormais. Il avait joué avec le feu et il devait assumer ses blessures.

Ouvrant les yeux, il découvrit avec stupeur que les choses le cernaient. Il n'avait même pas senti qu'elles approchaient. Il n'avait rien entendu. Affichant un rictus sinistre qui dévoilait leurs crocs, elles ne le quittaient pas du regard. Ces êtres humanoïdes étaient protégés par une peau digne d'un serpent. Lisse, elle reflétait les teintes orangées de ce monde difforme. Tout n'était que souffre et souffrance ici bas. Épaisse comme la cuirasse d'un crocodile, il semblait impossible de percer l'ensemble d'écailles qui recouvrait leur corps monstrueux. Et ces yeux... Deux éclairs vicieux, cerclés d'un jaune moutarde. Dalton déglutit. Sept. C'en était fini de sa course...

Pouvait-il seulement tenter de fuir ? Il avait abandonné tout espoir de s'en sortir et de revoir sa belle Maria une dernière fois. S'inquiéterait-elle seulement de son absence ? Serait-elle effondrée en apprenant sa mort ? Il aurait donné cher pour le savoir. Pour pouvoir la serrer une dernière fois dans ses bras, qu'elle l'aime ou non. Il avait besoin de se raccrocher à la moindre parcelle de douceur qu'il pouvait encore retenir. Des souvenirs grappillés ça et là. Mais cela ne suffirait pas. Personne n'était dupe. Sans arme, claudiquant comme un vulgaire mendiant et à bout de souffle, il n'irait pas loin. Il n'avait même plus d'avance ...

- Et merde, pesta-t-il.

L'une des créatures frémit en l'entendant, surprise. Sa langue fouetta l'air, sifflant comme une vieille cocotte minute. Elle n'avait pas apprécié. Cette proie était encore trop alerte, il fallait y remédier au plus vite. Cette course les avait satisfaites jusque là. Mais chaque jeu avait une fin. Impatiente, elle envoya sa longue queue s'écraser sur le sol, frappant au rythme de son agacement. Dalton devait mourir. Il n'avait pas le choix. Elles avaient faim. Et elles n'allaient pas passer à côté d'une occasion de ce genre.

D'un commun accord silencieux, elles s'avancèrent doucement, resserrant leur étreinte mortelle. Un pas. Puis un second. D'ici quelques secondes, elles pourraient fondre sur lui comme une seule bête et le déchiqueter violemment. Il repensa à leurs crocs. A leurs griffes acérées. Il ne voulait pas souffrir. Il refusait de mourir ici sans se battre. Maria l'attendait ! Il devait tout faire pour sortir d'ici et la retrouver. Qu'importait la richesse. Qu'importaient les responsabilités. Il n'avait pas compris où résidait l'essentiel : son amour pour elle. Il eut le sentiment amer de ne pas lui avoir suffisamment dit qu'il l'aimait. Et il serait peut-être trop tard avant même que le soleil ne se lève. Elles n'étaient plus qu'à quelques pas de lui. Il lui fallait réagir, et vite.

Guettant une ouverture, il remarqua qu'elles avançaient selon une cadence bien particulière, entre chaque coup de queue sur le sol. S'il parvenait à se glisser entre elles au moment où leurs queues se relevaient, il aurait peut-être une chance ? Il se devait de tenter le tout pour le tout. Un pas. Un autre encore. Un coup, un autre un peu plus puissant. Elles sifflaient toutes, ravies que le repas soit servi. Rapide comme un rongeur, Dalton bondit soudainement entre deux créatures, profitant d'une faille. Il rampa une seconde, tenta de se redresser mais dérapa sur les graviers. Les joues en feu, il frappa de toutes ses forces avec ses jambes pour reprendre sa course. Il fallait seulement qu'il les sème... Oui, il pourrait sûrement y arriver. Il le savait.

Derrière lui, la bande voyait d'un mauvais œil son escapade vaine. Pourquoi fallait-il qu'il fasse durer la partie alors qu'elle était gagnée d'avance ? Lasses, elles se lancèrent à sa poursuite. Il n'avançait pas vite, il n'irait pas loin. Elles n'avaient pas besoin de gaspiller leurs forces inutilement. C'était couru d'avance : elles feraient un bon repas et il ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même. Il n'aurait jamais dû jouer avec le Maître des lieux. D'humeur joueuse, l'une des créatures le talonnait. Elle se plaisait à faire aller ses griffes sur le sol, rappelant la sentence à venir. Un mètre puis un autre. Tout allait prendre fin très bientôt.

Se pensant déjà mort, Dalton se risqua à jeter un coup d'œil derrière lui. A peine eut-il tourné la tête qu'il sentit une vive douleur dans son dos. Ses griffes étaient vraiment gigantesques ! Il hurla, redoubla d'efforts pour s'éloigner d'elle. Les larmes aux yeux, il sentait bien qu'elle jouait avec lui. Sale vermisseau... Il n'était plus qu'un déchet qu'on allait faire disparaître. Avait-il eu autant de considération pour les faibles qu'il avait refoulés ? Il comprit son erreur. N'avoir accordé que peu d'intérêt à la vie de ces pauvres personnes. Mais il était trop tard...

Immobilisé par la chose, il laissa aller ses larmes. C'était fini. Il avait joué, et il avait perdu. Elle le retourna sans ménagement, découvrant sa poitrine vulnérable. Les autres monstres se joignirent à elle, toutes griffes dehors. Se sentant perdu, Dalton ferma les yeux. Il ne voulait pas regarder la mort dans les yeux. Il pria en son for intérieur pour que la douleur s'évanouisse vite. Que la mort survienne rapidement, s'il vous plaît. Elles poussèrent un hurlement de jubilation à vous glacer le sang. Le festin pouvait commencer !

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