Stalingrad en feu

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Dans les wagons, on murmure, on chuchote, on crie.

Dans un wagon, plusieurs centaines de jeunes soldats, debouts, collés les uns aux autres. Parmi eux, Stalinslass, Vladimir, Alexey, Igor... Ils viennent de toutes les horizons. Ils viennent du nord ou du sud, de l'ouest ou de l'est. 

Ils sont tous différents mais rendus semblables par cette guerre.

Trois mois de trajets. Depuis trois mois, ils sont tous dans ce wagon de fer qui tremble lors des bombardements.

Mais soudain, le train s'arrête. Les portes s'ouvrent. Et les soldats reculent en hurlant. 

Ils ne connaissaient pas l'horreur. Ils sont désormais face à elle dans toute sa grandeur.

Rive gauche, le camp militaire soviétique. Monté dans la boue, les tentes ne sont plus assez grandes pour les blessés, qui croupissent dehors, leurs plaies infectées dans l'eau souillée. Même là, les avions allemands bombardent sans interruption. 

Rive droite, Stalingrad. Enflammée, ensanglantée. Les bâtiments blancs où vivaient jadis des familles ne sont désormais que des ruines souillées de sang. 

Les soldats refusent de descendre : on les y oblige. Les supérieurs les tirent par leurs uniformes, les jettent dans la boue. Malheurs à celui qui ne se relève pas à temps. On les pousse, tous ces soldats, tous ces jeunes, vers le fleuve. On les oblige à monter dans d'affreuses embarcations qui mériteraient bien la décharge. Ils sont lancés vers l'autre rive sans gouvernail. Les avions bombardent et mitraillent les frêles embarcations. Les cadavres comment à tomber. D'affreux râles envahissent le pont. Certains jeunes soldats se jettent à l'eau, tentent de nager vers la rive alliée. Aucun n'arriva. Si les balles des avions ne les touchent pas, c'est sous celles de leurs propres supérieurs qu'ils succombent. Un frisson d'horreur passe parmi ceux qui sont encore sur le pont. Ils baignent dans le sang de leurs camardes, les cris des blessés leurs percent les tympans.

Et c'est pas fini. 

Arrivés de l'autre côté, les survivants sont à nouveau poussés, à nouveau tirés pour sortir des bateaux. Les blessés et les cadavres sont jetés par dessus bord. Des civils tentent désespérément de monter, pour traverser le fleuve et quitter cette horreur, mais ils sont cruellement repoussés. Des mères tendent leurs enfants avec maintes suppliques. Rien n'y change. 

A chaque soldat, un binôme. L'un a un fusil. L'autre non. Dès que le premier se fait tuer, le second prend l'arme. C'est suicidaire. Les officiers guident les jeunes soldats jusqu'à la rue du jour, celle qu'ils vont devoir prendre au péril de leur vie aujourd'hui. Igor à le droit à un fusil, mais pas Alexey. Tous les "seconds" se font silencieusement la promesse de rester près des ''premiers". Puis on les lance. Ils ne sont même pas sortis que les balles allemandes les fauchent. Rares sont les seconds qui arrivent à vivre assez longtemps pour avoir le fusil. Certains soldats commencent à reculer. C'est alors sous les balles de leurs propres supérieurs qu'ils tombent. 

Conclusion: mourir sous les balles allemandes, celles des ennemis? Ou mourir sous les balles soviétiques, celles de leur propre camp?

Alexey choisit alors la survie. Faisant semblant d'être touché, il s'affale au sol, juste derrière une fontaine. Tout autour de lui, le feu, la fumée, les balles, la mort.

Ses camardes tombent. Il ferme les yeux.

Les rafales sifflent. Il plaque ses mains contre ses oreilles.

Plus rien n'existe...

Une minute passe... Une heure arrive. Alexey ouvre enfin les yeux. Le sol est jonché de cadavres. Il n'y a même plus de blessés. Des soldats allemands se promènent maintenant, fusillant les corps froids pour plus de sûreté. Mais pas un ne fait attention à lui.

Près de lui, le cadavre d'un jeune soldat allemand, un des seuls de la batailles du jour. Un gamin, 16 ans au plus. Alexey lui enlève son uniforme et très vite devient soldat allemand. Mais il reste caché. On ne sait jamais.

Justement, un officier allemand vient à sa rencontre. Salement amoché, Alexey fait peine à voir, et ce supérieur lui conseille d'aller à l'infirmerie, en montrant vaguement un point dans les ruines. Le soldat acquiesce sans comprendre un traître mot de cette langue gutturale, attend le départ de l'Allemand puis part dans la direction opposée.

Deux heures plus tard, c'est dans les ruines d'un immeuble jadis blanc qu'Alexey est caché. Il n'y a plus un bruit. Pas même un chuchotement.

Un froissement de tissus le fait se retourner. Devant lui, une jeune Soviétique. Derrière cette jeune femme, deux hommes blessés, trois petits enfants. Alexey ne les avait ni vus, ni entendus. Il commence un sourire... qui se fige.

La détonation retentit à travers les ruines désertes. Puis à nouveau le lourd silence. Alexey baisse lentement le regard sur son torse. Une tâche vermeille commence à s'élargir sur sa veste.

C'est alors que le jeune homme remarque son erreur : pour se sauver des Allemands, il a enfilé un de leurs uniformes. Et c'est ce qui l'a tué.

La jeune femme croyait avoir ôté la vie d'un ennemi alors qu'elle avait tué un allié.

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