2ème partie

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Le samedi matin, je ne voulais pas rester à la maison, enfermé entre quatre murs. Je redoutais la présence de mon bourreau qui, en fait, m’évitait également. Le regard de mon paternel avait changé depuis la veille, on aurait pu y déceler de la tristesse. De son côté, ma mère avait les yeux bouffis comme si elle avait passé la nuit à chialer. Ma frangine se montrait étrangement calme, le visage affichant une neutralité déroutante à la place de son arrogance naturelle.

Je ressentais le besoin impérieux de sortir par ce temps ensoleillé, car j’avais l’impression d’étouffer. Ne sachant où aller, je marchais machinalement vers le parc tout proche de chez moi. J’avais embarqué avec moi une revue Marvel avec les X-Men en couverture.

En levant les yeux au ciel, je crus apercevoir en une fraction de seconde un oiseau de très grande envergure. Un truc de fou !

Pourtant, à cette époque, je n’avais jamais encore consommé de substance hallucinogène.

Étouffant un énième bâillement, je m’assis sur le premier banc libre. Depuis mon réveil, je me sentais toujours dans les vapes. Après avoir lu quelques pages de la bande dessinée, je finis par m’assoupir quelques instants.

Lorsque je repris conscience, un mec avec des dreadlocks m’observait avec attention. Son nez aquilin et ses traits finement ciselés reflétaient plusieurs métissages. Vêtu d’un jean usé et d’une chemise blanche entrouverte de coupe cintrée, il avait l’air assez cool. À ses poignets pendaient une multitude de bracelets de cuir et d’argent.

Que me voulait ce type ? Il restait planté devant moi comme si j’étais le centre du monde ! Son comportement me foutait les jetons. Plutôt mal à l’aise, je me levais pour partir. Le regard bienveillant, il se mit donc à parler.

― Salut, p’tit gars ! Tu as l’air complètement déboussolé. Qu’est-ce qui t’arrive ?

Pourquoi me posait-il cette question ? Tout le monde se fichait de ma petite existence, hormis mon copain David. Perturbé par les récents incidents, je ne voulais me confier à personne.

― Je ne cause pas aux inconnus, répliquai-je sur la défensive.

Même à l’extérieur, je n’étais pas tranquille, mais je n’avais pas envie de rentrer à la maison pour autant.

― Ne te mine pas, ton paternel doit grave regretter son geste, ça n’a pas l’air d’un si mauvais bougre. Mon père à moi était violent et alcoolique, je sais de quoi je cause.

― Pourquoi me racontez-vous tout ça ? m’étonnai-je, à la fois apeuré d’être mis à nu et surtout curieux de connaître la suite.

Ce mec semblait lire dans mes pensées. Il s’exprimait d’une manière très nonchalante, très désinvolte. En fait, je le trouvais plutôt sympa, et on aurait dit qu’il sortait d’une autre époque. J’avais l’intime conviction qu’il savait beaucoup de choses sur moi. C’était la première fois que je le voyais, et pourtant, une impression de déjà-vu…

― Au fait, je m’appelle Bryan Lane, répliqua-t-il en s’asseyant à côté de moi.

Ce nom me disait bien quelque chose, mais ma mémoire me faisait cruellement défaut. Quatorze ans et déjà sénile !

― Et alors ! m’exclamai-je.

― P’tit gars, arrête d’être sur la défensive. Relax ! Causons un peu.

― Je n’ai rien d’intéressant à dire. Vous perdez votre temps, monsieur.

― Appelle-moi Bryan. Au fait, qu’est-ce qui te motive dans ta jeune existence ?

― Rien. Tout est pourri chez moi. Je ne m’intéresse à rien et surtout personne ne s’intéresse à moi. Pigé ?

― Détrompe-toi, p’tit mec, ta vie a un sens bien particulier. Alors cela fait quoi d’être un condor de Californie qui survole le Grand Canyon ?

J’aurais dû me lever et prendre mes jambes à mon cou, mais je n’en fis rien. Je me trouvais ainsi en présence d’un étranger qui semblait être doté de télépathie.

― Planant, répondis-je en repensant à cette simulation de vol exceptionnelle qui n’était pourtant qu’un putain de rêve.

Je me remémorais les sensations amplifiées par l’adrénaline, sans savoir que j’éprouverais ces mêmes stimuli bien des années plus tard…

Lorsque le mec aux dreadlocks se pencha un peu plus vers moi, j’eus un mouvement de recul. Il me filait grave les chocottes avec son regard zarbi. J’avais remarqué que ses pupilles étaient étrangement dilatées.

― Je vais t’avouer un secret, p’tit gars. Moi aussi, j’ai fait le même trip que toi sauf que c’était mon tout dernier voyage… Je suis définitivement devenu un condor, mon corps était tout désarticulé. Ma fiancée m’en a voulu à mort si on peut dire, acheva-t-il en esquissant un sourire forcé.

Putain, ce Bryan était stone !

― J’ai l’impression de vous connaître, me sentis-je obligé d’avouer.

― J’ai été guitariste dans un groupe il y a plusieurs années. The Hell Leaves, si ça te dit quelque chose.

Bien sûr, je connaissais ce groupe de rock des années soixante-dix ! Soit le gars était mytho, soit vraiment déglingué. En le détaillant, il ressemblait à l’un des membres, mort à vingt-sept ans, par défenestration… C’était quoi ce délire ?

― Mouais, j’étais le roi des airs, l’instant d’après, j’étais kapout, raconta ce fameux Bryan en mimant des mains la scène.

― Si vous le dites, déclarai-je sur un ton blasé.

Je n’osais pas énerver ce tocard. Malgré ma jeune existence, je savais qu’il ne fallait jamais contredire les fous, peut-être du fait que mes parents étaient sûrement un peu fêlés sur les bords. Passer le temps à se prendre la tête, ça use les méninges !

Au loin, j’apercevais mon pote David qui se dirigeait vers moi. J’étais content de son arrivée. Quand je me retournai vers mon étrange interlocuteur, il n’y avait plus personne ! Le gars s’était volatilisé dans la nature.

Je demandai à David s’il avait vu un mec avec des dreadlocks, il me répondit par la négative et je n’insistai pas.

Je passai donc la journée avec mon copain, redoutant le moment où je devais revenir chez mes parents.

À mon retour, je n’avais toujours aucune envie de croiser mon paternel avec les événements de la veille. Mais il semblait m’éviter aussi de son côté. Ma mère étant proche du coma éthylique et pas du tout en état de faire la bouffe, ce fut ma sœur qui s’en chargea. Cette dernière ne m’adressa pas la parole, mais son regard en disait long sur la désastreuse situation à la maison. On était bien loin de l’image idyllique de la famille modèle. Mon cœur se serra à ce triste constat.

Je refrénais le désir de saisir une paire de ciseaux ou un compas pour me mutiler les avant-bras, histoire d’évacuer un je-ne-sais-quoi qui m’angoissait. Lorsque je franchis le seuil de ma chambre, ce besoin de scarification s’envola comme par magie.

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