Chapitre 14

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— Tu es là toi ? lance le Père Noël.

— Lorsque des enfants ont besoin d’aide, j’accours, rétorque l’évêque, debout à côté de Silvio.

— Tu as vu ça, on a deux Pères Noël pour nous aider, lance Agostino en s’approchant de son ami.

— Oui bah. Je dirais juste qu’il y a un Père Noël et une antiquité, ricane le Père Noël.

— C’est la copie Coca Cola qui ose me dire ça, rétorque le grand homme sec.

— Allons les enfants, reprend le premier en posant la main sur l’épaule d’Agostino. Allons régler votre affaire de disparition.

— Depuis quand es-tu capable de mener une enquête ? interroge l’évêque.

— Depuis que les enfants me le demandent, tu n’as rien à faire ici, ton domaine, c’est plutôt le nord de l’Europe.

— Et le tien, c’est le pôle nord. Non ?

— Hi-han, intervient l’âne, sur un ton de reproche, avant de mordre à pleines dents dans une carotte que lui tend Livia.

Les deux hommes continuent de se toiser, puis, un peu honteux, finissent par baisser les yeux.

— Vous devriez vous présenter, déclare Livia d’une voix autoritaire.

— Ho, ho, ho. Bien sûr ma petite, je suis le Père Noël. Le seul, l’unique, ni un employé de grand magasin, ni une antiquité.

— Je suis Saint-Nicolas, le saint patron des enfants.

— Expliquez-nous votre affaire, mes chers petits, le coupe le Père Noël.

Les enfants se rapprochent et leur racontent ce qu’ils savent sur la disparition de la Befana, ils se coupent mutuellement et les explications n’en finissent pas. Après un moment de débat sans queue ni tête, Saint-Nicolas les interrompt en levant sa crosse d’un air autoritaire.

— Montrez-nous l’endroit où vit cette vieille dame ! Vous nous raconterez tout cela en chemin, tranche-t-il.

La troupe se met en marche et se dirige vers le campo de la Celestia. Les rennes suivent les traces de Livia et de ses carottes, ils peinent à manœuvrer le traîneau à chaque changement de direction.

Silvio se demande pourquoi les gens ne remarquent pas la curieuse équipe, il a du mal à croire à la réalité de ce qu’il vit. Cependant, si personne ne semble les voir, les passants s’arrêtent tout de même pour les laisser passer.

— Ainsi, ce serait la demeure de la Befana, déclare Saint-Nicolas lorsqu’ils parviennent devant la maison de madame Sgarlatta.

— Oui, répondent en chœur les trois enfants.

— Pas de fumée à la cheminée… déclare le Père Noël.

— Pas de trace de pas devant la porte, le coupe Saint-Nicolas.

— Ni de lumière aux fenêtres, reprend le gros bonhomme.

— Et les volets sont fermés, termine l’évêque.

— Cette maison contient une dose énorme de magie, clame le Père Noël. De la magie positive, de la magie des mages, de la magie de l’Épiphanie.

— Mais elle décroît, elle s’enfuit, elle s’enfouit dans la terre, reprend Saint-Nicolas. Quelqu’un cherche à détruire la magie de la Befana.

***

Horrifié par la nouvelle, le groupe reste figé, en proie aux doutes.

— Bon, commencez par me dire où trouver un boucher dans cette ville, interroge Saint-Nicolas.

— Te revoilà avec cette vieille histoire ! Gronde le Père Noël en direction de son collègue.

Il se retourne vers les enfants et reprend son sourire amical.

— Ho ho ho, montrez-nous l’endroit où la Befana a disparu.

— Et aussi les échoppes de boucher, rajoute l’évêque.

Les trois petits Vénitiens restent abasourdis face à leurs propos.

Silvio les observe, il voit deux vieux hommes, pleins de bienveillance, mais en compétition permanente entre eux. Il s’interroge sur cette histoire de bouchers, mais n’ose pas froisser ces hurluberlus.

— On peut vous y mener, mais les animaux et le traîneau ne pourront pas nous suivre, il faudra les laisser là, déclare Livia, première à revenir les pieds sur terre.

Les deux bonshommes semblent abandonner leurs querelles, s’écartent et donnent des instructions à leurs bêtes.

— Dites-moi, demande Agostino au Père Noël.

— Oui, mon grand.

— C’est quoi cette histoire de boucher ?

Le visage de l’homme prend tour à tour une expression triste puis une autre, désolée.

— C’est une vieille histoire, reprend-il. Cela date de l’époque à laquelle Nicolas n’était qu’évêque de Myre. Il sillonnait les routes et découvrit un horrible crime commis par un boucher… Depuis il a tendance à chercher le crime chez les bouchers, ce n’est pas beau de vieillir.

***

Une fois les animaux attachés à un arbre de la place avec une quantité respectable de carottes dans une musette, la compagnie se met en marche vers le Ramo Dei Re Magi. Sur la route, les pas des passants ont tassé la neige, mais elle garde sa blancheur et continue d’amortir les sons de la ville. L’éclat éblouissant qui les entoure, le silence juste rompu par le craquement doux de la surface poudreuse donnent aux enfants l’impression de vivre dans un monde de nuages.

Désorientés par l’ambiance, ils ont d’abord du mal à retrouver leur chemin, mais ils finissent par guider les deux étranges bonshommes dans l’impasse de la disparition.

Personne ne s’est aventuré dans le Ramo Dei Re Magi, l’édredon de neige ne se parsème que de quelques traces laissées par un chat.

Arrivé devant le canal, le Père Noël se penche au-dessus, lève le nez et renifle comme à la recherche d’un indice dans l’air. Il se retourne vers les autres, ses sourcils blancs et abondants masquent ses yeux soucieux.

De son côté, Saint-Nicolas inspecte les parois de la ruelle, tâte certaines briques de sa crosse, en mesure la hauteur, regarde le ciel dont il semble apprécier les dimensions.

Interdits, les enfants observent ce manège dans un silence tout juste brisé par les bruits de pas des deux Pères Noël.

— Eureka ! crie enfin Saint-Nicolas après avoir examiné le mur droit.

— Quoi ? le pressent les enfants.

— Reconstituons la scène, reprend le vieil homme.

— Ne nous fais pas perdre notre temps, vieille baderne, le prévient le Père Noël.

— Retournons là-bas, ordonne Saint-Nicolas sans lui prêter attention.

Le petit groupe retourne à l’angle de la rue, Saint-Nicolas se baisse sur ses jambes pour se mettre à la taille de Silvio et s’avance vers le coin.

— C’est ici que tu as constaté que la vieille dame n’était plus là.

— Oui, monsieur.

— Ensuite vous avez suivi ses traces. Où s’arrêtaient-elles ?

Silvio prend le commandement et avance en essayant de se souvenir exactement de ce qu’il a fait. Agostino suit chacun des mouvements de l’évêque et note de temps en temps des détails sur son carnet.

— Les pas s’arrêtaient ici, Monsieur, déclare Silvio en montrant le sol.

— Où s’arrêtaient exactement les empreintes de pas ?

— Elles n’avaient pas de sens, elles étaient embrouillées. C’étaient comme si la personne avait voulu entrer dans le mur, répond Silvio.

— Avez-vous remarqué ceci ? interroge le vieil homme en pointant le doigt sur le mur.

— C’est un peu trop haut pour nous, intervient Livia que ce jeu de charade commence à agacer.

— Là entre deux briques se trouve la preuve que la Befana n’a pas seulement disparu de cette rue…

— Arrête un peu de nous balader, viens-en au fait ! lance le Père Noël.

— Ne sens-tu pas ce qui s’est passé ici ? questionne Saint Nicolas en se tournant vers son collègue.

— Si… La magie, une grande magie, dégoûtante et perfide s’est déployée dans cette ruelle, enchaîne le Père Noël, soucieux.

Horrifiés, les trois bambins se pétrifient, dans leur esprit se mélangent l’impatience d’obtenir des explications et la peur d’apprendre la vérité.

Saint-Nicolas et le Père Noël se tournent vers eux. Conscients de les effrayer, ils prennent une attitude plus douce.

— Après toi, Nicolas, propose le Père Noël.

— En regardant attentivement ces briques, vous verrez un morceau de tissu complètement scellé dans le mur. Il est trop récent pour dater de la construction…

— Ce qui nous conduit à croire que madame Sgarlatta a été enlevée par une brèche créée à travers ce mur, complète le Père Noël.

— Et que seules des forces ténébreuses en seraient capables, termine Saint-Nicolas.

— Comment pouvons-nous aider madame Sgarlatta ?

Saint-Nicolas jauge le Père Noël du regard. Les deux hommes se livrent alors à un échange silencieux, fait de coup d’œil, de froncements de sourcils et de moues expressives. Puis, étant parvenus à une conclusion commune, ils se tournent vers les enfants.

— Le seul moyen de découvrir ce qui est arrivé à la Befana est de se rendre au pays magique pour poursuivre l’enquête, déclarent en chœur les deux esprits de Noël.

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