Ethan réfléchit, mais il devait avouer qu’il ne détenait pas ces connaissances. Dans le monde des humains, le seul individu qui était reconnu pour avoir des pouvoirs magiques était Merlin l’enchanteur, mais il ne s’agissait que d’une légende. Derek, en revanche, leva la main.

— Ton prénom, mon garçon ? demanda Sullen.

— Derek.

— Je t’écoute.

— Merlin ? répondit-il sans conviction.

  Un sourire sembla se dessiner sous l’épaisse barbe de Sullen.

— Nom d’un filon d’or, s’exclama-t-il en tapant de poing sur son bureau. Ils se sont enfin décidés à sélectionner des élèves qui possèdent un cerveau, ça change.

  Derek qui s’attendait presque à se faire réprimander soupira de soulagement.

— Merlin, en effet, reprit-il. Il reste, et restera, le sorcier naturel, le plus puissant que le monde n’ait jamais connu. C’est une figure clé, voire, le personnage le plus important de l’histoire des sorciers. Vous allez très vite comprendre pourquoi.

  Il ôta la pipe de sa bouche, la vida dans un petit cendrier et la reposa sur son bureau pour la laisser refroidir.

— Comme je l’ai dit, les hommes et les sorciers vivaient ensemble. Mais au début du douzième siècle, la cohabitation s’est grandement dégradée. Nous sommes à une époque où les sorciers gagnent en puissance, devenant capable de prouesses dépassant l’entendement de simples humains. Bien sûr, ces derniers prirent peur et commencèrent à chasser et brûler les sorciers. Dans la panique et la confusion générale, certains humains furent, eux aussi, condamnés, comme Jeanne d’Arc pour ne citer qu’elle. Merlin, lui, était bien trop puissant pour être inquiété, mais voir ses pairs se faire abattre, on peut l’imaginer, ne lui faisait pas franchement plaisir. Par conséquent, il réfléchit à une solution et trouva une idée prodigieuse qui dépassait l’étendue de ses pouvoirs, cependant. Néanmoins, ses facultés lui permettaient une chose, communiquer avec les divinités. Il mit donc en place un rituel et, par chance, Thanathos, dieu du chaos et la destruction répondit à son appel. Il lui exposa ainsi son plan. Une idée du projet ?

  Personne ne semblait avoir la réponse parmi les élèves, alors il reprit :

— Son objectif n’était rien de moins que la création d’un univers parallèle, celui où vous vous trouvez actuellement, où vivraient tous les sorciers afin d’éviter leur extinction.

— Vous voulez dire qu’Isthos n’existait pas depuis le début ? demanda Emma totalement abasourdie.

— C’est exactement ce que je suis en train de dire, jeune fille. Difficile de connaître précisément l’âge de notre monde, mais il est au minimum vieux de neuf siècles.

  Tous les élèves écoutaient d’une oreille attentive, même Derek qui bâillait auparavant avait l’air captivé.

— Réclamer de l’aide aux Dieux n’est d’abord pas à la portée de tous mais surtout, ce n’est jamais gratuit. Ils acceptaient de créer cet univers parallèle à condition qu’à l’intérieur de celui-ci soient réintroduits tous les monstres et créatures qu’ils avaient été obligés de bannir dans le but de laisser à l’homme une chance de prospérer sur Terre. Merlin qui n’avait aucun doute en ses pouvoirs approuva et avait déjà une autre idée derrière la tête. Il réussit à contacter tous les sorciers du monde pour leur dire de se réunir afin de partir dans un lieu où ils seraient à l’abri des hommes. Les dieux constituèrent des centaines et des centaines de portails à travers le monde et ainsi, beaucoup furent sauvés.

— Comment ont-ils fait pour se comprendre s’ils venaient de différents endroits de la Terre ? demanda Anna.

— Toute personne qui arrive sur Isthos est automatiquement dotée de la capacité à lire, écrire et parler en Isthosien. En revanche, à cette époque, la langue la plus répandue en Europe occidentale, une région du monde des humains, était le latin. Ce qui explique pourquoi tous vos sortilèges ont des formules qui proviennent du latin. Ignis, pour ne vous citer qu’un exemple, signifie simplement feu.

  Ethan prit conscience qu’il ne s’était, en effet, jamais posé la question. Il comprenait, lisait et écrivait comme s’il avait utilisé l’Isthosien toute sa vie. En revanche, une interrogation le taraudait et il fronça les sourcils sans s’en apercevoir.

— Garçon, l’interpella Sullen, je te sens sceptique. Il y a un problème ?

— Je me disais juste que Merlin a demandé aux sorciers de le rejoindre sur Isthos et pourtant des centaines de personnes continuèrent d’être condamnées au bûcher bien après.

— Une remarque intéressante, salua Sullen, qui a une réponse assez simple. Certains n’ont pas voulu obéir à Merlin et n’ont donc pas emprunté les différents portails, tandis que d’autres ont décidé de rester parce qu’ils étaient tombés amoureux d’humains et arrivaient à demeurer dans l’anonymat. D’ailleurs, encore de nos jours, quelques sorciers vivent parmi les hommes. De la même manière, certains humains ont été autorisés, par la suite, à venir sur Isthos pour rejoindre leurs conjoints, ce qui explique leur présence aujourd’hui.

  Leah leva la main et Sullen lui donna la parole.

— Vous avez dit que Merlin avait une autre idée derrière la tête au moment de la création d’Isthos. Laquelle ?

— Les sorciers étant plus à même de se défendre que de simples humains, les Dieux réintroduisirent toutes les créatures qui avaient été bannies. Certaines comme les centaures, les faunes ou encore les licornes, pour ne citer qu’elles, qui étaient pacifiques, refirent donc leur apparition. Mais malheureusement beaucoup de créatures et monstres très dangereux effectuèrent également leur retour et Merlin le savait. Une fois arrivé sur Isthos, Merlin rassembla tous les sorciers et sorcières qui avaient emprunté le portail avec lui et tous ensemble ils bâtirent le tout premier édifice d’Isthos.

  Il quitta son bureau, fit quelques pas en direction du mur à sa droite, posa sa main dessus puis annonça d’une voix solennelle :

— Ce bâtiment, vous vous trouvez à l’intérieur aujourd’hui.

  Ethan n’en croyait pas ses oreilles. D’abord, il apprenait la vérité derrière la construction d’Isthos. Ensuite, l’existence d’êtres tels que les centaures, qui n’apparaissaient que dans ses livres de mythologie. Et maintenant, il découvrait qu’il se trouvait dans un lieu imaginé par Merlin lui-même, le sorcier le plus puissant de tous les temps. Toutes ces informations lui donnaient un peu le vertige. Sullen se retourna vers les élèves.

— Pour conclure, Castel-Lapis avant de devenir une école était simplement une forteresse créée dans le but de faire face aux futures batailles qui attendaient les sorciers. Merlin mit notamment en place un enchantement formidable qui rend impossible la destruction du château puisqu’il se répare de lui-même.

  Il alla s’asseoir sur son bureau et regarda à nouveau sa montre.

— À la fin des différentes guerres, Castel-Lapis fut laissé à l’abandon puisque plus personne n’avait besoin d’une base consacrée à la résistance. La nature reprit ses droits et les créatures et les animaux l’aidèrent un peu. C’est donc durant cette période que la Forêt Noire fit son apparition et que les gobelins, kobolds et farfadets décidèrent de s’y installer. Bien sûr, certains affrontements continuaient cependant de faire rage, notamment la guerre contre les géants, mais elles n’empêchaient pas la vie de perdurer. Il s’agissait, si l’on veut, de batailles de territoires.

  La fin du cours approchait et cela se ressentait, la plupart des élèves commençaient à être moins attentifs.

— Pour terminer, le manque d’éducation se faisant gravement sentir au début du dix-neuvième siècle, puisqu’il n’y avait aucune académie de magie depuis la fin des guerres, le roi de l’époque décida de mettre l’accent sur l’enseignement et permis la construction de plusieurs établissements et choisit d’utiliser le bâtiment créé par Merlin afin d’en faire l’école la plus prestigieuse d’Isthos. C’est à ce moment qu’il fut baptisé Castel-Lapis avec en tant que premier dirigeant Salmonius Foubadil, un ascendant direct de notre directrice actuelle. Des questions avant la fin du cours ?

  Le cours avait été si captivant que personne n’avait vu le temps passer. Ethan, qui pensait que Merlin n’avait toujours été qu’un personnage de légende, leva la main.

— Et Merlin, il est devenu quoi ensuite ?

  La barbe hirsute de Sullen tressaillit puis son regard s’assombrit. Il n’ouvrit la bouche que de longues minutes plus tard.

— Il a eu une bien triste fin, lâcha-t-il amèrement

  Les élèves semblèrent avoir un soudain regain d’intérêt.

— Que lui est-il arrivé ? demanda Leah.

— Merlin avait une acolyte à l’époque, une amie qui le suivait partout où il allait. Une jeune femme prénommée Morgane. Avant qu’Isthos soit créé, toute sa famille fut brûlée devant ses yeux. Merlin la sauva à temps, mais à cet instant précis, elle voua une haine éternelle aux humains. Après être arrivée sur Isthos cependant, elle combattit aux côtés de Merlin durant les nombreuses batailles pour pacifier leurs nouvelles terres.

  Il secoua tristement la tête avant de reprendre.

— Une fois le calme de retour sur Isthos, le besoin de vengeance de Morgane envers les humains refit surface. Évidemment, Merlin n’avait pas l’intention de la laisser faire. Bien qu’elle fût moins puissante que lui, elle pouvait faire de gros dégâts parmi les humains si jamais elle revenait dans leur monde. Merlin et Thanathos décidèrent alors de placer un maléfice lui interdisant de retourner dans le monde des hommes. Folle de rage, elle sombra dans la folie et commença à utiliser la magie noire. Particulièrement douée en alchimie, elle créa une pierre capable d’emmagasiner les pouvoirs des sorciers afin de devenir toujours plus dangereuse. Ainsi, elle déclencha une guerre contre Merlin. Elle pensait que si elle arrivait à le tuer, le sortilège prendrait fin et sa vengeance pourrait débuter. D’innombrables magiciens périrent durant cette guerre et ultimement, Merlin aussi.

— C’est horrible, commenta Leah avec tristesse.

— Et Morgane ? Comment se fait-il qu’elle n’ait pas réussi à atteindre son but ? l’interrogea Ethan qui était témoin que le monde des humains se portait aussi bien qu’il le pouvait.

— C’est un mystère, admit Sullen. À la suite de la mort de Merlin, elle disparut simplement. Certains illuminés pensent qu’elle se cache toujours quelque part, mais après tout ce temps, l’hypothèse la plus probable est qu’elle est morte et enterrée.

— Et ce n’est pas plus mal, ajouta Evan. Elle avait l’air complètement cinglée celle-là. Vous imaginez sa puissance ? Elle était devenue tellement forte qu’elle a pu tuer Merlin, c’est dingue.

— Rassurez-vous, à présent, il ne s’agit que d’histoires que je me dois de relater afin qu’elles ne soient pas oubliées.

  Il descendit de son bureau et retourna s’asseoir dans son fauteuil en cuir.

— Bien, c’est tout pour aujourd’hui. À la semaine prochaine, dit-il à l’adresse des élèves en rallumant sa pipe.

— Je ne pensais pas que Merlin avait véritablement existé, dit Ethan sur le chemin vers le cours de sortilèges.

— Les humains aussi connaissent Merlin ? l’interrogea Leah, surprise.

— Oui et non, ils le considèrent plutôt comme un personnage imaginaire.

— C’est terrible ce qui lui est arrivé tout de même, se désola Nate. Assassiné par sa propre amie.

— C’est vrai, renchérit Ethan. C’est effroyable ce qu’elle a vécu, je ne le nie pas, mais… la réaction est quand même disproportionnée.

— Évidemment. Elle est devenue tarée, fit observer Leah.

— Ce qui est sûr c’est que je suis bien content qu’elle soit morte ou disparue. Elle peut rester où elle est, conclu Nate d’un air assuré.

— Bon, dépêchons-nous, trancha Derek, on n’est pas en avance pour le prochain cours. Décidément, Sullen est aussi bavard que toi, Leah.