2. Perte de mémoire - 1/3

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  Un bruit sourd perturba le sommeil d’Ethan. Il se tourna sur son matelas, enfouissant son visage dans les draps. Il avait l’impression qu’il venait seulement de se coucher. Ce ne pouvait pas déjà être le matin.

— Thobois, l’interpella une voix grinçante à travers la porte, debout. Ne m’oblige pas à venir te sortir du lit moi-même.

  Il s’agissait de sœur Madeleine. Cette fois-ci, pas de doute, la nuit était bel et bien terminée.

— Je me lève, réussit à répondre Ethan.

— J’aime mieux ça, rétorqua-t-elle sèchement avant de s’éloigner dans le couloir.

  Ethan resta étendu un instant sur sa couche, son regard fixé sur le plafond de sa chambre. Il ne tarda cependant pas à se mettre en mouvement. Il était préférable de ne pas contrarier sœur Madeleine de si bon matin.

  Malgré son jeune âge, il avait rencontré son lot de personnes déplaisantes, mais sœur Madeleine était vraisemblablement la championne toutes catégories confondues. D’aussi loin qu’il pouvait s’en souvenir, il ne l’avait jamais vu sourire. Toujours mécontente et jamais satisfaite, peu importe les efforts que l’on pouvait fournir.

  Il éprouvait des difficultés à comprendre comment une femme qui avait décidé de dédier sa vie à une religion qui prône l’amour, la tolérance et le pardon, pouvait être si détestable. Peut-être s’était-elle trompée de voie ?

  Il soupira longuement. Rien ne servait de se morfondre, il fallait prendre son mal en patience. Il le savait, il n’allait pas quitter l’établissement de sitôt. Pourtant, bien qu’il détestât de nombreux aspects de son quotidien à l’orphelinat, celui-ci était ce qui se rapprochait le plus d’un foyer. À vrai dire, il s’agissait de l’unique endroit dans lequel il avait vécu.

  Ethan était orphelin depuis toujours. Il n’avait jamais connu ses parents. Il s’était, bien entendu, interrogé sur ses origines et avait demandé des informations au père Daniel, mais sans succès. Celui-ci lui avait répondu qu’il n’avait, également, jamais rencontré un seul membre de la famille d’Ethan.

  Il l’avait tout simplement trouvé, un chaud matin d’été, devant le perron du refuge. Ethan habitait entre ces murs depuis exactement douze ans. « Le petit miracle », il suffisait d’y vivre pour se rendre compte que rien dans cet établissement n’avait l’air miraculeux.

  Ethan quitta sa chambre pour aller prendre son petit-déjeuner au réfectoire. Il choisit l’une des tables vides. Il n’aimait pas tellement se mêler aux autres enfants. Pas qu’il soit de nature solitaire, au contraire, mais certains se révélaient presque aussi désagréables que sœur Madeleine.

  Tom et Nadia ne tardèrent, cependant, pas à le rejoindre. Il s’agissait des deux seuls amis qu’il s’était faits ici, à l’orphelinat. Du même âge que lui, ils étaient frère et sœur et étaient arrivés au refuge, il y a trois ans, suite au décès de leurs parents dans un accident de voiture.

  Quelquefois, sœur Constance venait aussi s’installer à sa table. Elle était le parfait opposé de sœur Madeleine. Douce, souriante, elle semblait s’entendre à merveille avec chacun des résidents, même ceux qui se montraient particulièrement difficiles à apprécier.

  Elle s’inquiétait pour Ethan, soucieuse de voir qu’il avait si peu d’ami. Elle avait donc pris la décision de venir prendre son petit-déjeuner avec lui au moins une fois par semaine.

  Ethan l’aimait beaucoup, elle n’était ici que depuis deux ans, mais son arrivée avait été un véritable rayon de soleil. Elle donnait un peu de vie à ce triste lieu. Peut-être était-ce dû à son jeune âge ? En effet, elle ne devait pas avoir plus d’une trentaine d’années.

  Mais ce matin-là, ce n’est pas sœur Constance qui vint à leur rencontre, mais quelqu’un de bien plus déplaisant.

— Joyeux anniversaire, Thobois, lança un garçon blond à forte corpulence en se rapprochant de la table d’Ethan.

— Merci, Cédric, répondit froidement celui-ci.

  Il détestait presque autant Cédric que sœur Madeleine. Il avait intégré le pensionnat depuis six ans et cela faisait autant d’années qu’il prenait un malin plaisir à faire d’Ethan son souffre-douleur. En réalité, tous les enfants de l’orphelinat lui servaient de défouloir. L’unique moment où il lui accordait un peu de répit était le jour de son anniversaire. Visiblement, même les brutes avaient un certain code de l’honneur.

— Sois plus aimable Thobois, le prévint Cédric. Après tout, c’est ta fête aujourd’hui. Tu es tranquille pour la journée, ajouta-t-il avec un sourire mauvais laissant entrevoir ses dents de travers.

— Tu ne veux pas plutôt m’offrir un vrai cadeau ? Je ne sais pas moi, faire comme si je n’existais pas de manière définitive ?

  Tom et Nadia pouffèrent de rire.

— Tiens, en voilà une idée étrange, s’exclama Cédric avec un air faussement étonné. Mais comme je suis gentil, je vais y réfléchir. En attendant, sœur Madeleine me remplacera.

— Je lui souhaite bien du courage, répliqua Ethan avec amusement. Ce n’est pas comme si elle allait beaucoup me voir aujourd’hui.

  Cédric ne craignait personne, il le disait volontiers à qui voulait l’entendre. Excepté, peut-être, une certaine femme particulièrement laide et sévère. Il fronça les sourcils.

— Tu ne comptes pas encore sortir de l’orphelinat sans autorisation ?

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu serais le plus heureux si je partais et que je ne revenais pas. Et crois-moi, ce serait réciproque, ajouta Ethan avec un sourire en quittant la table avec Tom et Nadia, laissant Cédric seul.

  Les anniversaires n’avaient que peu d’importance à l’orphelinat puisqu’ils n’étaient jamais fêtés. Cependant, Ethan n’avait pas l’intention de rester à l’intérieur du bâtiment en cette date. Si on le trouvait dans les couloirs, on ne tarderait pas à lui confier différentes tâches. Ses deux amis le savaient bien et, en cette journée particulière, avaient accepté de s’occuper de ses corvées. Ils se séparèrent dans le hall d’entrée.

— À ce soir, lui dit Nadia avec un signe de la main. Profite de ta journée.

  Ethan acquiesça avec un sourire puis remonta à l’étage et s’engagea dans le couloir qui menait à sa chambre. Sur le chemin, il passa devant l’une des salles de télévision. Elle était déserte, mais l’écran était allumé et diffusait un journal télévisé. Il s’arrêta un instant pour écouter.

— Et le prix de l’essence qui continue d’augmenter pour le troisième mois consécutif, et selon les spécialistes la courbe ne devrait pas s’inverser tout de suite. Une mauvaise nouvelle pour tous les automobilistes, conclut-il avec un sourire triste. Voici maintenant l’heure de la météo avec les prévisions de Violine Daliah. Alors, Violine, les températures, comme le carburant, grimpent en flèche, n’est-ce pas ?

— En effet mon cher Marc, nous assistons à un épisode de forte chaleur assez rare pour une fin de mois d’août. Une sécheresse qui dure depuis quelques semaines déjà, mais qui devrait disparaître dans les jours à venir pour laisser place à un temps pluvieux. Attention cependant, aujourd’hui et demain, la météo restera très favorable avec trente-deux degrés, cet après-midi, sur la grande majorité du pays. La nuit prochaine ne sera pas plus fraiche avec des températures qui devraient avoisiner les vingt degrés. Alors, pensez à bien vous hydrater et surtout protégez-vous du soleil !

  Des bruits de pas parvinrent jusqu’aux oreilles d’Ethan. Il les reconnut facilement, c’étaient ceux de sœur Madeleine. Je dois filer ! Ce n’est pas le moment de se faire repérer. Il traversa le couloir à vive allure et entra dans sa chambre.

  La pièce était modeste. Seulement un lit, une armoire, une table et une chaise. La vitre de sa fenêtre était légèrement fissurée et laissait passer de l’air frais en hiver. Il ne s’en plaignait pas. Au moins, il ne dormait pas dehors.

  Il ouvrit un tiroir de sa penderie et en sortit une petite boite en fer, qu’il déverrouilla. À l’intérieur se trouvaient son repas pour ce midi et un livre. Ethan avait prévu son escapade depuis la veille et avait prétexté une grosse fringale nocturne à sœur Constance la nuit dernière. Elle lui avait alors préparé un sandwich. Il le savait, celle-ci avait tendance à être beaucoup trop généreuse. Cette fois-ci, il avait profité de sa bonté.

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