Mike Malloy, l'homme qui ne voulait pas crever

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Les cas récents d’intoxication au botulisme dans un bar bordelais ne sont pas sans rappeler une affaire autrement plus insolite, mais tout aussi tragique, cette fois à New York au début des années 1930. Dans cette affaire, les sardines ne font que de la figuration de façon anecdotique, mais elles font partie de l’arsenal inhabituel utilisé dans les nombreuses tentatives pour tuer un homme.

 Au début des années 1930, la Prohibition est encore inscrite dans la Constitution américaine bien qu’elle soit largement ignorée dans de nombreuses localités. C’est d’ailleurs une des aberrations du pays autoproclamé de la Liberté que d’être allé jusqu’à inscrire dans sa Constitution, au milieu des droits de vote, à la libre expression, de porter une arme à feu ou d’exercer sa religion, cette interdiction totale de consommer de l’alcool.

 S’il est admis que cette Prohibition a surtout profité aux trafiquants, cette période a également alimenté une défiance du public envers la loi et la police. Parce qu’une interdiction totale ne fonctionne jamais, que les sanctions étaient jugées injustes pour ce que beaucoup considéraient comme une activité festive et bénigne alors que l’alcool était disponible un peu partout sous le manteau. Une autre conséquence sera de brouiller certaines frontières morales et criminelles, de mêler d’autres activités plus violentes au trafic d’alcool. Enfin, la chasse aux distilleries illégales s’avèrera un gaspillage de ressources policières et juridiques au niveau local et fédéral. Par bien des aspects, la Prohibition a façonné à la fois le monde criminel et l’institution judiciaire américaine moderne.

***

Retour au début des années 1930, dans un bar clandestin du Bronx à New York. Tony Marino, le patron, l’a mauvaise : les affaires ne sont pas au beau fixe. Trop de bars clandestins qui lui font concurrence, mauvais emplacement dans un quartier qui craint ; son rade pue, il est moche, ses clients sont moches et personne ne paie vraiment. Bref, il va être temps de mettre la clé sous la porte.

 Ce qui tomberait au poil, ce serait un héritage d’un oncle mystérieux et plein aux as. C’est là que le patron, l’employé et deux habitués se tournent vers Mike, un clodo avec une ardoise longue comme un jour sans pain. Plutôt qu’un héritage, une assurance-vie, ça, c’est la garantie de toucher le pactole. Et puis c’est vrai que de loin, Mike ressemblerait presque à l’oncle du barman qui n’a pas d’oncle.

 On met dans le secret un coroner pour qu’il établisse un certificat de décès avec pour cause « mort naturelle », on réquisitionne une connaissance de celui-ci qui travaille dans une compagnie d’assurance, on met aussi au parfum, ou plutôt, on laisse le parfum s’éventer vers d’autres clients qui laissaient trainer leurs oreilles dans le minuscule bouiboui de moins de 20m². Finalement, on s’avise qu’une seconde assurance-vie ne serait pas de trop vu tout le beau monde qui ne cracherait pas sur une part du butin.

 Les assurances sont contractées après quelques péripéties qui font s’accumuler les échéances à payer chaque mois. Vient le moment de passer à l’acte. Comment tuer Mike et faire passer ça pour un accident ? La solution est vite trouvée. Mike est un poivrot. L’un des complices suggère de faisons boire Mike jusqu’à lui faire perde connaissance, puis de le jeter dans un autre quartier, dans un parc, sous la neige. Plan simple et sans failles. Tout le monde dit banco.

***

Le premier soir, Mike boit toute la réserve d’alcool si généreusement offerte. Il repart chez lui en titubant à peine, laissant les autres dépités. Le manège se répète les soirs suivants : Mike boit l’alcool offert en quantités gargantuesques, rentre chez lui en marchant presque droit. Tout le monde se regarde dans le blanc des yeux, plus sobres qu’un défilé Helmut Lang.

 Quelques jours plus tard, le barman a mis la main sur des conserves oubliées de sardines, un peu trop bombées pour miser sa santé dessus. Le barman en fait des sandwichs et y ajoute des bris de verre et de ferraille accumulés par le balai. Le coroner propose aussi des huitres oubliées plusieurs jours au soleil et marinées dans de l’alcool. Mike colmate son bide avec ce festin, rentre chez lui, revient quelques jours plus tard. Le patron finit par aller acheter de l’alcool de bois, autrement dit, du méthanol, et on coupe la gnole avec. Mike boit, déclare « ça a jamais été aussi bon » avant de finir par s’écrouler. Enfin. Tard dans la soirée. En hâte, on transporte son corps dans un autre quartier de New York, on le désape, on lui jette de l’eau glacée et on abandonne le gusse dans la neige.

 L’idée d’arroser d’eau glacée une personne ivre morte n’est pas nouvelle. Tony Marino a déjà fait le coup avec une clocharde pour laquelle il a empoché une petite somme grâce à une autre assurance-vie bien placée.

 Mais le lendemain du coma (m)éthylique, Mike reparait alors que le barman vient d’ouvrir le bouiboui. Le vieux soiffard lui raconte cette histoire folle comme quoi il se serait réveillé à poil dans la rue, recouvert de neige. Incroyable, non ? Le barman en convient, il ne parvient pas à y croire. Au fait, il vous reste de la gnole d’hier ? Elle était vraiment pas mal. Mike finit par demander à dormir sur le canapé. Le barman laisse faire, sidéré.

***

Le temps passe, les échéances sur les assurances vies se succèdent et Tony doit payer s’il veut espérer toucher le pactole. Il est au bord de la ruine. Après le méthanol, on essaie la mort-aux-rats et d’autres poisons. Sans succès. Mike continue de boire et de rester debout. Entre en jeu un nouveau complice, un chauffeur de taxi. Le plan sera alors de faire boire le poison à Mike, puis de le conduire dans un autre quartier et de le faire tenir debout pendant que le taxi lui fonce dessus. Le taxi le renverse du premier coup, tout le monde se carapate, Mike ne reparait plus. Mais les jours suivants, aucun journal ne parle du corps d’un clodo retrouvé dans le caniveau. Tout le monde s’inquiète. On en vient à appeler les morgues et l’hôpital pour demander si on n’a pas le cadavre d’un inconnu. Finalement, Mike franchit la porte du bar clandestin avec un pansement sur la tête. Il était bien à l’hôpital, mais sous un autre nom parce qu’il n’avait pas les bons papiers sur lui. Tout le monde lui paie sa tournée pour fêter ça.

 Entretemps, un autre poivrot ayant les papiers de Mike sur lui est retrouvé au milieu de la nuit, lui aussi renversé par une voiture qui a pris la fuite. L’idée était que puisque Mike ne voulait pas mourir, autant prendre quelqu’un d’autre que lui et de le faire passer pour Mike. Ce ne sont pas les ivrognes qui manquent. L’autre poivrot s’en sortira avec quelques côtes cassées.

 Il faut à nouveau payer une échéance. Cette fois, trop c’est trop. On ressert la mixture qui assomme Mike, on le ramène dans son appartement, on lui colle un tuyau dans la bouche et on ouvre à fond les gaz de la cuisinière. Cette fois, après tout l’automne à conspirer et tout l’hiver à essayer de le tuer, Mike Malloy, plus tard surnommé par la presse L’Increvable ou L’Homme de fer, ne se relèvera pas. En baclant la préparation du cadavre, le coroner fait l’impasse sur l’embaumement, car il n’y a pas de petites économies. Or l’embaumement aurait vidé le corps de tout gaz et de tout fluide compromettant, laissant ainsi la preuve de l’intoxication au gaz dans les poumons de Mike.

 Rapidement, les compagnies d’assurance soupçonnent une fraude. Des rumeurs circulent aussi dans le milieu de la pègre jusque dans les oreilles de la justice. La bande ne profitera pas longtemps de leur méfait. Entre ceux qui se vanteront du crime, les délateurs cherchant à alléger leur condamnation et les rivalités intestines pour s’accaparer le magot, la police ne tarde pas à leur mettre la main sur tout le monde impliqué. Les quatre principaux comploteurs finiront électrocutés le même jour.

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