31. Savannah 

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Les jours ont laissé place aux semaines, qui sont elles-mêmes devenues des mois. L’été est déjà loin derrière moi et pourtant ses initiales sont toujours ancrées dans mon cœur, malgré toutes mes bonnes résolutions pour ne plus penser à Lui ou du moins aussi peu que possible. C’est préférable, surtout que lorsqu’Il hante mes cauchemars, il me nargue en couchant avec l’autre blondasse devant moi. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes au bord des cils et mon estomac se révulse. Pour éviter de sombrer, je chasse cette pensée et replonge le nez dans mes notes. À cette heure, la bibliothèque est déserte. J’y suis habituée, c’est la seule occupation que j’ai trouvée pour éviter de me mêler à la vie étudiante. Ça et les cours. La boxe aussi. Mais là, je n’ai pas eu mon mot à dire, Callie m’a menacée de me faire la tête le restant de l’année si je ne m’y inscrivais pas. Est-ce que ça me plaît ? Si ça ne me faisait pas autant penser à lui, je crois que je pourrais apprécier. J’admets que ça aide à faire le vide en soi et à reprendre confiance.

Plongée dans mon cours d’anatomie, je perds la notion du temps. Un raclement de chaise juste en face de moi me fait relever le regard. En découvrant Kurt assis à califourchon, je referme mon écran. Pourquoi est-il ici ? Ce n’est pas trop le genre de gars à être un rat de bibliothèque. Surprise, j’arque un sourcil et joue avec un stylo en attendant qu’il m’explique la raison de sa présence.

— Tu lâches la boxe ? demande-t-il en me lançant un de ces sourires en coin qui ne laissent aucune fille sur le campus indifférente sauf moi.

À force de traîner le midi avec eux, sans avoir mon mot à dire, j’ai bien remarqué que le trio plaisait beaucoup aux nanas. Je suis navrée pour elles, mais Jamie est pris depuis peu par ma meilleure amie. Voilà la raison pour laquelle je dois me coltiner les boxeurs tous les jours, alors que je préférerais largement déjeuner en tête à tête avec elle.

— Pourquoi ? 

— Visiblement, t’as trouvé bien plus intéressant à faire – il désigne mon ordi d’un signe du menton – plutôt que de te rendre à l'entraînement.

Dans mon envie d’échapper à mes souvenirs, j’en avais oublié que nous étions mardi. Callie va me tuer. Je jette un coup d’œil à ma montre afin de savoir si c’est vraiment cuit pour ce soir ou si j’ai une chance de me rattraper.

— J’allais y aller. Après tout, je n’ai qu’un quart d’heure de retard.

Face à ma mauvaise foi, il se met à rire.

— Ok, ma belle. Dans ce cas, ramène ton joli petit cul dans la salle, les gars vont se demander ce que je fous s’ils me voient pas rappliquer dans la minute qui suit. Ils ne savent pas que je suis venu te chercher. 

Il se lève, pose un baiser sur ma joue et disparaît la seconde suivante. Ce mec est adorable avec moi, c’est lui qui m’entraîne à chaque séance. J’ignore pourquoi il agit de la sorte avec moi, mais une chose est sûre, il n’obtiendra rien de ma part. J’ai tiré un trait sur les mecs depuis le jour où une partie de moi est restée auprès d’un beau brun qui savait faire battre mon cœur comme personne.

Je range mes affaires en prenant tout mon temps. D’un signe de la main, je salue la bibliothécaire, avant de sortir. Le temps est clément pour cette fin octobre. Les oiseaux chantent tandis que des groupes d’étudiants discutent entre eux. Je croise même un guitariste solitaire qui joue assis, adossé à un arbre. La mélancolie de son morceau me frappe en pleine poitrine. Je me revois quelques mois en arrière, lovée dans ses bras. Je déglutis avec peine avant de filer sans demander mon reste vers ma chambre. Je pose mes affaires sur mon bureau, puis pars récupérer ma tenue de sport dans mon armoire. Je m’apprête à les ranger dans mon sac dédié quand j’aperçois un mot sur mon lit. Callie y a laissé une note sur un post-it jaune fluo : 

Désolée ma belle, ta mère m’a donné ce mot et j’ai complètement zappé de te le donner. Je viens juste de tomber dessus en rangeant des affaires.

Curieuse, je le déplie pour découvrir ce que ma mère a tenu à me dire sans le faire de vive voix. Je pense vraiment que c’est elle jusqu’au moment où mes yeux tombent sur la signature. Ashton. La douleur qui étreint ma cage thoracique est atroce. Après tous ces mois, je pensais qu’elle deviendrait supportable. Je dois avouer que c’est loin d’être le cas. Je ferme les yeux et inspire un long coup pour éviter toute forme d’angoisse de tenter de me prendre au piège. Quand je les rouvre, je froisse la feuille et la jette sur mon lit. Si elle me l’avait passé plus tôt, j’y aurais peut-être jeté un œil. Là, c’est trop tard, on ne se reverra plus. Alors à quoi bon se faire du mal ?

J’attrape mon sac, hisse la bandoulière sur mon épaule et déguerpit le plus vite possible de ce qui pourrait me ramener à lui. Arrivée à la salle, c’est totalement essoufflée que je pars poser mon sac dans les vestiaires. J’ai à peine repris mon souffle quand je pousse la porte après m’être changée. Callie m’avise aussitôt. Devant son regard noir, je me contente d’hausser les épaules. Kurt me rejoint en trottinant, son éternel sourire à mon égard toujours accroché sur ses lèvres. 

— Tu t’es perdue dans les vestiaires ? me taquine-t-il en jetant un œil sur sa montre. 

— Ah ah ! Très drôle. Tu sais que si je me suis inscrite à votre cours, c’est seulement à cause de Callie, n’est-ce pas ?

— Oh, merde, fait-il en posant sa main sur son cœur, tu viens de gâcher mon rêve. Moi qui croyais que c’était pour mes beaux yeux !

Je pouffe derrière ma main pour ne pas lui montrer qu’il parvient à me tirer un sourire. D’habitude, je suis la fille qui tire la tronche en permanence, celle qui ne parvient pas à se détacher de son spleen habituel. Je peux dire que c’est un exploit de sa part.

— Même si tu te planques derrière ta main, je vois bien que j’ai réussi à te faire rire. Et le dicton dit, femme qui rit, à moitié dans ton lit.

— Rêve pas, mon coco, ce n’est pas prêt d’arriver !

— Et pourquoi pas ? T’es célibataire, moi aussi, on pourrait s’amuser tous les deux.

— Parce que les mecs et moi, c’est terminé ! grondé-je. Alors, va te chercher une de ces pouffes qui te bouffent dans la main.

Furax, je me dirige vers le premier sac de frappe sur mon passage. Puis je cogne et cogne, encore et encore. Plus vite. Plus fort. Je ne veux plus de mecs ! Je ne veux plus de douleur ! Je veux qu’Il me rende l’oxygène qu’Il m’a volé en me larguant comme une moins que rien. Je ne veux pas penser à Lui, à ses sourires enjôleurs, à ses mains sur ma peau. Je ne veux plus rien de tout ça. Ne Plus tomber amoureuse de qui que ce soit. Et en même temps, je voudrais qu’il soit là, qu’il m’embrasse pour me rendre mon souffle, qu’il me serre fort contre lui en me promettant que plus personne ne nous séparera.

Cesse de penser et frappe !

J’imagine la tête de cette garce qui m’a séparée de Lui et enchaîne les mouvements en étant proche de la frénésie. Pourquoi les paroles de Kurt ont eu un tel effet sur moi ? Pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur un mot écrit de sa main ? 

Des bras s’enroulent autour de ma taille et me tirent en arrière.

— Tu vas te blesser ! m’explique Kurt en me dévisageant visiblement navré pour moi.

Je me dégage de son étreinte et le repousse avec force de mes deux mains sur son torse.

— Je hais les boxeurs ! explosé-je.

Le silence se fait d’un coup dans la salle et tous se tournent dans ma direction. Ils m’observent comme si j’étais devenue une de ces curiosités d’un siècle passé.

— Qu’est-ce que vous avez à tous la fixer comme ça ? grogne Callie en venant m’entourer de ses bras. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Le mot que tu m’as laissé et Kurt…

— Eh, je n’y suis pour rien si tu pètes les plombs, moi ! se défend l’intéressé.

Je me mords la lèvre et baisse la tête, honteuse qu’il ait pu mal interpréter mes paroles.

— Vas-y, dit moi, qu’est-ce que Kurt a fait ?

Je regarde Callie, puis Kurt. Mal à l’aise, il croise ses doigts derrière son crâne et joue avec les muscles de sa mâchoire. Jamie nous rejoint à cet instant.

— T’as plutôt pas intérêt à avoir fait le con ! lui reproche-t-il.

Je dois réagir. Après tout, ce n’est pas de sa faute si je me suis mise à penser à Lui, bien au contraire. Chaque fois qu’on se voit, il tente de se montrer sympa avec moi et essaie de me rendre le sourire.

— Kurt m’a juste fait penser à mon ex sans le vouloir.

— Je suppose que ça c’est mal fini pour que tu ne laisses la chance à aucun autre ? me questionne Kurt.

Je le lui confirme d’un signe de la tête en portant mon regard sur ma meilleure amie. Elle est en train de glisser quelques mots à l’oreille de son mec, avant qu’il ne me dévisage avec une drôle d’expression.

— Kurt, faut qu’on parle, lui lance Jaimie, l’obligeant à le suivre.

J’ignore ce qu’il lui dit, cependant j’ai l’intuition que ça me concerne. 

— Et si on rentrait, me propose Callie. Je ne pense pas que nos coachs nous en veuillent de partir plus tôt vu comme tu as cassé l’ambiance dans la salle.

— Je suis désolée.

— T’inquiète, mais je crois qu’il est vraiment temps que tu tournes la page sur cette histoire. Et j’ai bien l’intention de tout faire pour que tu sortes de ta bulle. Finis de dire non chaque fois que je te propose de sortir. Demain soir, les gars font une soirée et tu vas venir.

Que puis-je répondre à ça ? Un non ne sera pas accepté, elle vient de me le dire clairement.

— On verra.

Son air courroucé me confirme que je n’ai pas voix au chapitre. 

— Bon, d’accord, finis-je par accepter.

Elle sautille et tapote dans ses mains comme une enfant de primaire. Je lève les yeux au ciel, dépitée. Toutefois, sa bonne humeur est contagieuse et je finis par sourire.

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