Chapitre 19 (suite 1) - 1904 -

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***

Plein d’optimisme et avec impatience, j’ai attendu toute la semaine de pouvoir me rendre de nouveau au Puma. La présence de Bastian qui a décidé de se joindre à nous ne peut modifier mon humeur. Je suis si obnubilé par mon objectif de retrouver Agnès que mon rival est passé au second plan. Paco, toujours lié à lui, garde espoir de nous voir un jour réconciliés. En effet, cela est impossible puisque je tolère Bastian uniquement pour ne pas me fâcher avec mon frère. Assis, sur notre banquette, je ne m’en occupe pas, je surveille l’arrivée de mes amis afin de rejoindre au plus vite le coin VIP.

Finalement, c’est Bélinda qui se présente avec sa bande de cousines. Habituellement, elles ne se mettent jamais avec nous, mais « main de pied » lui fait signe et elle rapplique aussitôt en me dévisageant avec insistance. Ses yeux m’interrogent, elle veut savoir quelle position adopter quant à nous deux à l’égard du clan, elle cherche des réponses que je n’ai aucune envie de lui fournir. Devant mon absence de réaction, elle s’installe à côté de Bastian qui lui dégage une place.

J’observe d’un œil leur tentative de me rendre jaloux. Elle se colle contre lui et parle à son oreille. Elle ne connaît pas Bastian comme moi et elle devrait se méfier. J’ai envie de lui dire, mais finalement, je ne fais rien.

Bastian roule des mécaniques devant elle et cela m’agace de les voir faire. Il s’imagine me faire rager en s’attaquant à celle qui n’avait d’yeux que pour moi la semaine dernière. C’est l’occasion pour lui de reprendre un avantage, il doit penser que j’ai cédé, qu’il a gagné même, et je sais qu’il va s’en vanter et piquer mon orgueil.

Lorsqu’au bout du compte Stazek et Karlo entrent, c’est le signal que j’attendais depuis le début de la soirée. Je me lève d’un coup et laisse en plan ma famille pour les rejoindre. Mes frères n’ont pas le temps de me demander où je vais. Je fonce vers l’autre monde, celui auquel j’aspire, je vogue dans la salle mitoyenne, convaincu d’y retrouver enfin Agnès, négligeant au passage la parade amoureuse de Bastian et Belinda. Qu’il me débarrasse d’elle, cela m’arrange.

Je fais vite un tour d’horizon dans le coin VIP pour me rendre compte qu’Agnès brille par son absence. J’ai beaucoup espéré et j’en suis déçu au plus haut point. Je choisis de tenter de l’oublier et commence à me saouler au champagne en ressassant avec Stazek et Karlo mes nombreuses bagarres du collège, jusqu’à ce qu’un groupe de filles BCBG entre avec fracas dans la salle privilégiée.

Malgré la musique qui tonne fort, j’entends leurs rires exagérés par leur excitation et sans doute par l’alcool. La bande de nanas s’installe sur les banquettes à proximité de nous, suivie d’un serveur, chargé d’un plateau avec leurs boissons.

Au milieu d’elles, dans une robe fuseau noire, ses longs cheveux blonds retombant sur ses épaules, sur-le-champ je reconnais Agnès. Tout mon être s’enflamme, je fonds littéralement sur place. Mon âme vole au-dessus de mon corps, j’oublie qui je suis, ce que je raconte, je suis scotché sur le canapé, bouche bée. Malgré ma préparation mentale dans la perspective de la retrouver, sa beauté me foudroie de nouveau, je réalise que je suis toujours sous son charme.

— Hey Oscar, t’as vu un fantôme ou quoi ? m’interroge Karlo en cherchant ce qui me rend dans cet état.

Mes yeux ne peuvent pas quitter celle qui ne m’a pas encore aperçu. De manière classe et élégante, elle trinque et s’enivre avec légèreté sans se soucier de l’ébullition de la discothèque autour d’elle. Elle est magnifique, rayonnante, à peine maquillée, ses prunelles bleues espiègles s’amusent des blagues de ses amies. Tandis que je l’observe depuis mon repaire obscur, elle se lève pour aller danser.

— T’es complètement mordu, vieux ! commente Karlo.

Alors qu’il me tend une coupe de champagne, je l’ignore. Je cherche la façon dont je vais m’y prendre pour aborder celle que je n’ai jamais cessé de chérir.

— Et si on allait danser ? propose Stazek en se levant.

Impossible, je ne me suis jamais trémoussé sur une piste et bien qu’aviné, je ne saurais pas comment me comporter. À cet instant, j’ai plus que besoin de retrouver mes esprits pour approcher Agnès.

— Sans moi, les gars !

Karlo avale son verre cul sec et rejoint Stazek. Je m’allume une cigarette et observe la scène de loin. Comme toujours en présence d’Agnès, je me trouve ridicule. J’ai attendu tellement de temps, tant espéré que ce moment arrive et je suis bloqué, paniqué devant elle. Il n’y a rien à faire, je ne peux pas lutter, je reste l’éternel adolescent intimidé.

Mes amis se sont approchés d’Agnès qui les reconnaît et les salue. Stazek se penche vers elle et lui murmure quelque chose à l’oreille. Elle se fige sur place et regarde dans ma direction. Nos yeux se croisent. Le temps s’arrête, la musique s’éteint, plus rien n’existe autour de nous. Mon cœur bat en rythme avec la lumière des spots qui clignotent.

La magie est rompue par une amie d’Agnès qui souhaite lui présenter un gars. Je perçois qu’elle hésite, mais sa copine insiste et elle finit par détourner le regard. Elle salue le charmant jeune homme en minaudant et cela m’exaspère. Aucun geste de sa part ne me laisse imaginer qu’elle est heureuse de ma présence, elle continue sa soirée, sans se soucier de moi et cela brise mon âme.

Je préfère capituler, battre en retraite, la revoir n’était pas une bonne idée. Mes sentiments passent de l’amour à la haine, je ne sais plus si je dois la chérir ou la détester. Je ramasse mes affaires et quitte la salle où je ne me sens plus à ma place.

À l’extérieur, je ne tiens plus, je fais les cent pas, j’arpente le parking de long en large en fumant cigarette sur cigarette. Et si pour une fois, je cessais d’être un lâche, si je prenais les choses en main ? Si j’entrais à nouveau et osais lui parler ?

— Oscar ? m’interpelle une voix avec nervosité.

Je me retourne et mon regard s’enflamme en la découvrant les bras croisés sur le décolleté de sa robe.

— Oh mon Dieu, j’ai cru que tu étais parti ! lâche-t-elle. Je t’ai cherché partout…

Elle semble à la fois très fâchée contre moi, mais soulagée de me trouver. Lentement, je me rapproche d’elle sans vraiment réaliser qu’elle est devant moi. Face à face, les yeux dans les yeux, nous nous étudions sous la lueur du projecteur de la boîte de nuit. Je l’observe dans les moindres détails pour imprimer dans ma mémoire chaque trait de son visage, elle est toujours aussi belle.

Alors que je rêve de pouvoir la serrer très fort contre moi et lui déclarer mon bonheur de la retrouver, je reste de marbre. La peur qu’elle me rejette est trop grande, j’en crèverai de douleur. Je balance mon mégot par terre, l’écrase avec ma chaussure et je murmure sans la quitter des yeux :

— Je ne suis pas parti, je fumais une clope…

— Ça fait longtemps tous les deux !

J’approuve en laissant échapper un léger sourire et espère que je lui ai manqué. Je n’ose pas m’avancer davantage alors je lui demande comment elle va. Il n’y a que cela qui m’importe, son bonheur. J’aimerais tant savoir ce qu’elle a fait depuis notre séparation, comment elle l’a vécue, si elle a moins souffert que moi et si elle m’a oublié.

— Très bien ! Et toi ?

Je hausse les épaules devant sa froideur et son indifférence tandis qu’elle me dévisage, puis elle recommence avec ses airs supérieurs pour dire :

— Tu as changé physiquement !

J’ai dû prendre une dizaine de centimètres depuis que l’on ne s’est pas vus. J’ai également raccourci mes cheveux que je coiffe en arrière, je ne cherche plus à cacher ma tâche de naissance sur mon front. D’ordinaire, cela plaît aux filles que je rencontre, je ne comprends pas ce que me reproche Agnès.

Je me mets aussitôt sur la défensive, mon cœur se serre devant le constat que nous avons tous les deux changé depuis ces longs mois. Notre complicité a disparu, alors pour ne pas souffrir, je lui rends la pareille :

— Toi aussi !

Vexée du ton semi-agressif que j’ai employé pour lui répondre, elle pince ses lèvres et lâche :

— Je déteste le gitan que tu es devenu !

Elle broie mon cœur, maltraite mon esprit, torture tout mon être. Les sentiments qui m’assaillent sont violents, je la hais quand elle agit de cette façon. Je me détourne d’elle et lui lance avec tristesse :

— Il semblerait que celle que j’ai connue au haras et qui se moquait de mes origines a disparu !

Je m’allume une cigarette et m’éloigne d’Agnès pour me diriger je ne sais où. Je trouve cette situation affreusement injuste. Notre amour ne peut pas se terminer ainsi, sur le parking merdique d’une boîte de nuit, en se balançant des piques tout à fait ridicules. Je suis vraiment perdu, comme la fois où je suis revenu au domaine et qu’elle m’avait toisé du haut de son cheval.

Pourtant, elle a raison, j’ai changé ! Il n’est plus question pour moi de lui céder. Je ne me rabaisserai plus devant elle ni devant qui que ce soit. Je suis un gitan et je ne renierai pas mes origines, celles de ma famille qui a été si présente quand je n’allais pas bien. Ce temps est révolu même pour Agnès.

Chaque pas qui m’éloigne d’elle me noue le ventre. Pourquoi, a-t-elle ce besoin de me piquer si fort ? Pourquoi ne peut-elle comprendre qui je suis ?

— Oscar, attends ! crie-t-elle derrière moi. Je suis saoule, m’en veux pas !

Je soupire et finis par me retourner, je la regarde tituber à ma poursuite sur ses grands talons.

— Je ne voulais pas dire ça, pas comme ça ! Mais t’as tellement changé que ça m’a déstabilisée… Excuse-moi !

Ses yeux implorent le pardon. Je m’interroge quelques secondes, ou plutôt, je mime d’hésiter. Un infime espoir renaît et réchauffe mon cœur. J’ai tant envie de la prendre dans mes bras, de l’enlever. Je sais qu’à cet instant, malgré ma décision, je ne souhaite pas la perdre à nouveau.

— D’accord ! On oublie ça !

— J’ai foiré nos retrouvailles, je suis trop conne !

— C’est pas grave ! Laisse tomber !

Nous échangeons un sourire, puis je demande :

— Et maintenant, on fait quoi ?

Elle cherche dans la pochette noire qu’elle tient dans ses mains et en ressort un trousseau de clefs.

— Ramène-moi chez moi !

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