Chapitre 8 - 1517 -

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Chapitre 8

Sans parvenir à lui répondre, je reçois en pleine face la réflexion hautaine d’Agnès. Tout à coup, la froideur qu’elle dégage m’impressionne et mes illusions explosent comme du pop-corn. Je suis assez surpris par son attitude, elle ne s’est jamais comportée de la sorte. Je la hais de prendre cet air supérieur pour me faire comprendre que je ne suis rien et me rappeler ma condition, de me dévisager de haut en bas et esquiver une légère grimace en découvrant mes vêtements.

Toujours à genoux, je reste planté devant le cheval qui me renifle avec ses naseaux grands ouverts. Je tends la main et caresse son poil court et lisse avec tendresse, jusqu’à ce qu’il pousse tout d’un coup un hennissement en secouant la tête. Elle finit par mettre un subtil coup de genou dans le flan de l’équidé qui aussitôt obéit et avance dans l’allée. Tellement désarçonné par nos retrouvailles que j’avais imaginées bien plus chaleureuses, je les regarde tous les deux tourner les talons, puis s’élancer lentement et avec fierté en direction du box.

— Ne lui en veut pas pour ça, elle a été très malheureuse à cause de ton départ… tente de me réconforter Loupapé.

Alors qu’il continue de démonter le moteur avec précision et patience, maîtrisant chaque geste qu’il accomplit, j’ai du mal à le croire. En quelques semaines, elle semble avoir renié tout notre vécu et nos souvenirs et cela me fend le cœur. Cette fille n’a pas de sentiments, elle est plus froide qu’un glacier de la banquise antarctique. Je préfère abandonner ma moto qui est désormais en pièces détachées et m’asseoir contre le mur en me disant que ce foutu engin ne me servira absolument à rien si Agnès ne veut plus me parler. Autant disparaître pour de bon dans le camp de gitans.

— Tu ne devrais pas te tracasser, ça lui passera ! poursuit le grand-père en me tendant son chiffon sale.

Je le saisis pour m’essuyer les mains en prenant soin d’éviter ses yeux ennuyés. Je me faisais une telle joie de cette journée ici et finalement, rien ne se déroule comme prévu.

— Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui ! On continuera demain, si tu veux, m’indique le vieil homme, le regard chargé d’affection.

Comme un outil rouillé, il se relève avec difficulté, puis du pied, pousse les quelques affaires éparpillées pour les ranger sur le carton. Il finit par soupirer en découvrant mon air vexé et me lance, accompagnant ses paroles d’un coup de menton en direction de sa petite-fille :

— Va le rejoindre ! Parle avec elle, tout va s’arranger !

Je suis dépité, contrarié et en même temps désireux de la voir. Dois-je persister comme le dit Loupapé ou rentrer pour ne pas rajouter encore plus de malaise ? J’ai vraiment peur de la façon dont Agnès va me recevoir et je ne voudrais pas altérer davantage nos retrouvailles. J’ai trop fantasmé sur sa tendresse. Avec nonchalance, je décide tout de même de me lever pour aller me laver les mains dans l’évier en pierre le plus près du box de Darkness.

J’ouvre le robinet un peu trop fort et éclabousse le vieux T-shirt que je porte. Je bougonne et me frotte les doigts de façon énergique avec le savon, sans prêter attention à ce que je fais, obsédé par Agnès qui brosse toujours la crinière de son cheval. Je l’observe à travers les barreaux du compartiment tandis qu’elle m’ignore. Elle a retiré sa bombe et je découvre avec admiration les traits de son visage si chers à mes yeux. Ses cheveux lui tombent sur les épaules, lui donnant un faux air de son actrice préférée de la série Beverly Hills 90210, Jennie Garth. En tenue de cavalière, mais légèrement maquillée, son mascara bleu a coulé, sans doute à cause de l’effort durant sa sortie.

— C’est comme ça qu’on s’habille chez les gitans ? me demande-t-elle en me tirant de ma rêverie.

Elle est désormais plantée devant moi dans l’allée, les bras croisés et le regard dédaigneux. Je sens dans le ton qu’elle emploie qu’elle souhaite me chercher des noises et je n’ai pas envie de rentrer dans son jeu. Je hausse les épaules sans tenter de me justifier, j’ai bien trop honte d’en être rendu à mettre les vêtements de mon frère. Je n’ai que les affaires que Paco accepte de me prêter, ses anciens joggings et quelques pantalons de chasse. Au haras, même pour nettoyer les écuries, je portais une toilette un minimum raffinée.

— Bon, je vais rentrer, salut !

L’expression de son visage reste figée et je prends son mépris en pleine face. L’affronter est beaucoup trop difficile, je préfère capituler et fuir lâchement plutôt que de laisser exploser mon courroux. En rongeant mon frein, je m’essuie au plus vite les doigts sur mon pantalon et enfonce mes mains au fond de mes poches. Pourtant, au moment où j’arrive à sa hauteur, inconsciemment, je ralentis. Agnès me scrute, à la recherche d’une nouvelle réflexion à m’asséner, mais je ne détourne pas mes yeux des siens. À cet instant précis, je veux qu’elle y lise tout mon désarroi et ma colère. Mais l’effet est inverse et je comprends lorsqu’elle plisse les yeux en pinçant les lèvres qu’elle prend cela pour une ultime provocation. Tel un orage qui se prépare, la tension entre nous est à son comble, la dispute prête à éclater. Nous continuons de nous jauger pour savoir lequel de nous deux est le plus résistant, qui va céder le premier et accuser la défaite. Perdre ce combat signifierait pour moi disparaître du haras pour de bon, ne plus jamais revoir Agnès et je ne désire pas en arriver là.

Elle ouvre la bouche, puis semble se raviser et finit par baisser les yeux pour contempler ses bottes. J’ai eu ce que je souhaitais : je suis convaincu qu’elle a maintenant des remords ; j’abandonne aussitôt la partie, car je ne veux pas rajouter plus d’amertume. Je file paisiblement vers la sortie, en espérant de tout mon cœur qu’elle me retienne. Finalement, elle ne met pas longtemps à réagir et tente de me rattraper.

— Attends, Oscar ! J’ai quelque chose à te montrer !

— J’ai pas le temps !

Bien sûr que si, mais je choisis de lui mentir délibérément pour me venger de son accueil glacial. Le cœur brisé et vexé par son comportement de gamine capricieuse, je trace dans l’allée tandis qu’elle m’emboîte le pas et se positionne à mes côtés.

— C’est hyper important, viens voir ! S’il te plaît, Oscar !

L’azur de ses yeux me fait chavirer, son charme opère toujours sur moi et toute la pression cumulée jusqu’à présent retombe d’un seul coup. Finalement, je capitule sans lui tenir rigueur de son attitude. J’accepte sans avoir vraiment résisté, après tout, c’est bien pour elle que je suis là. Agnès m’entraîne vers un box ouvert, le premier à côté de la grande réserve de foin. Dans un coin, allongée, Lucrèce dort en toute sérénité, pendant que ses six petits grouillent sur son ventre.

— Oh, Lucrèce, ma gentille chienne ! Ça y est, tu as eu tes bébés !

L’explication de son absence à mon arrivée est sous mes yeux. J’avais carrément oublié ce détail. Je m’avance, le sourire aux lèvres, pendant que l’animale, pas soucieuse le moins du monde, ouvre enfin un œil. Elle me reconnaît, moi son compagnon de ballades, mais je comprends vite que je ne suis plus sa priorité. Je me baisse à sa hauteur pour la caresser sans oser toucher les petites bêtes fragiles qui pompent toute l’énergie de leur mère.

— Y a cinq mâles et une seule femelle !

— Ils sont trop mignons ! Quel âge ont-ils ?

— Bientôt trois semaines… Vas-y, choisis-en un !

Parmi les six chiots, il y en a un qui m’attire, son ventre est plus rond et il pousse des couinements affamés quand son frère lui vole sa tétine. Je le saisis avec délicatesse et le porte contre mon cœur alors que Lucrèce me jette un coup d’œil inquiet.

— Il est beau ton petit, lui dis-je en caressant son flanc pour la rassurer.

— Petite ! Tu as attrapé la femelle… déclare Agnès en s’accroupissant plus près de moi.

— Comment tu sais ?

— C’est la plus vorace et la plus grosse ! Je la reconnais…

Nous rions ensemble et retrouvons sur-le-champ la complicité d’autrefois. Je suis apaisé que notre relation ne se soit pas dégradée malgré ma disparition et la dispute qui semblait se profiler. Nous restons un long moment à admirer les chiots quand je trouve enfin le courage de demander :

— Tu penses que ça serait possible que je récupère quelques affaires ?

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