Sandra

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  • Mais où traines tu encore Sandra ? Viens t’occuper de ta petite sœur. Je vais être en retard chez le coiffeur.

La comtesse a encore besoin de moi comme baby-sitter. Elle exagère ! Heureusement, j’aime bien ma demi-sœur, Maya. A onze ans, elle est adorable. Ma belle-mère exagère, je dois toujours être là pour elle. Impossible de chercher un job d’étudiant. Quand elle est seule, elle déprime. Je dois toujours être à son service. Mais, comme c’est mon père qui me donne ma seul source de revenus, mon argent de poche, j’essaie de ne pas la contrarier.

  • Oui, Charlotte, j'arrive... Papa est déjà parti ?
  • Encore, oui ! Pourquoi crois-tu que je t’appelle, bougonne-t-elle. Je suis en retard. Dépêche-toi.

Je quitte mon portable avec regret et j’entends claquer la porte d’entrée en descendant dans la salle de séjour. Mon père joue à l’autruche. Derrière le masque de Charlotte, il y a une horrible belle-mère. Et sa fille ainée, Julie, me martyrise aussi à l’école. Une teigne cette fille, et je me demande parfois si mon choix d’option n’est pas un peu lié à la possibilité de ne plus être dans la même classe toutes les deux. Les tensions entre nous ont commencé à l'adolescence et cela a sans doute contribué à la fuite de mon père. Il consacre de plus en plus de temps à son activité professionnelle et j’ai l’impression de ne plus exister pour lui. Pourtant, il était tellement présent pour moi après la mort de maman.

  • Sandra, tu veux bien me faire une tresse, demande Maya.
  • Oui, ma puce.

Maya me tend sa brosse en poils de bisons, idéal pour discipliner ses fins cheveux blonds. Elle a un physique quelconque, comme sa sœur, mais son sourire angélique la rend jolie. Julie, c’est autre chose. Elle passe son temps à retoucher ses selfies avant de les publier sur les réseaux sociaux. Comme sa mère, elle semble avoir été conditionnée à trouver un beau parti pour, plus tard, vivre aux crochets de son mari. J’espère que Maya ne deviendra jamais comme elle.

  • Et toi, Sandra, tu ne vas pas chez le coiffeur comme maman ?
  • Pourquoi ? Tu n’aimes pas ma crinière rousse domptée par un simple crayon ?

Joignant le geste à la parole, je regroupe mes cheveux avant de les enrouler et d’y piquer un crayon oublié sur la table basse.

  • C’est joli, admet-elle. Mais maman n’aimera pas.

Elle a raison. A l’inverse de ma belle-famille, j’aime me donner un air bohème. Surtout depuis le jour où mon père a souligné la ressemblance avec ma mère lorsque je porte cette coiffure. Tout le monde prétend qu’elle était belle, contrairement à moi.

  • Tu n’as pas peur de te faire gronder si maman trouve que tu lui fais honte ?

Mon père a voulu que je sois introduite dans le monde de ma belle-mère et demain soir je vais découvrir un de ces rallyes organisés par la noblesse pour favoriser les rencontres entre leurs rejetons. Ils préfèrent rester dans leur milieu sauf, comme dans le cas de mon père, s'ils trouvent un roturier avec un confortable compte en banque. Albert est convaincu de l’importance des relations et des possibilités offertes par ce monde fermé. C'est un atout supplémentaire, d’après lui. Charlotte a fini par lui céder, pour ma dix-huitième année. Après tout, j'ai l'âge où les jeunes filles sont introduites dans cette société à l'occasion de leur premier bal officiel.

Comment peut-on encore perpétuer de telles traditions ?

  • Charlotte trouve toujours un prétexte pour me réprimander ma puce. Ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude.

Je dépose un baiser sur sa petite tête blonde mais, je suis moins rassurée que je n’en donne l’impression. La comtesse est très à cheval sur le protocole. Et sa rancune est tenace. Parfois, je me protège en imaginant des discussions avec ma mère. Son discours serait probablement à l’inverse de celui de la comtesse. Ensuite, je conseille Maya, essayant de lui apprendre à connaître les gens avant de les juger.

  • Regarde ma puce, lui dis-je en soulevant la jambe de mon pantalon.

Maya semble horrifiée par mes longs poils bouclés. Je suis opposée à tous les diktats patriarcaux : pas d'épilation, de talons hauts et de tout ce qui pourrait nous faire souffrir inutilement. Le maquillage ? Une perte de temps et une tromperie. Souvent vêtue d’un pull ample pour cacher mes formes et d’un pantalon en lin, je préfère le confort. Julie et sa mère me traitent parfois de souillonne. Est-ce que je les juge, moi, lorsqu’elles sont engoncées comme des oies dans leurs apparats étriqués ?

Ma mignonne petite sœur est sur le point de pleurer. J’ai probablement un peu exagéré dans ma provocation matinale. Elle prend tout au premier degré.

  • T’inquiète, je vais éviter les engueulades avec Charlotte. Un petit rasage pour le retour des beaux jours ne fera pas de tort.
  • Et peut-être que tu pourras te trouver un amoureux alors.

Maya a retrouvé le sourire. Elle a l’âge des princesses et des contes de fées. Moi, je sais que la vie peut être cruelle. Les femmes doivent se battre pour être indépendantes et j’ai des ambitions professionnelles, des rêves de grands reportages à la rencontre des peuples du monde entier. Il n’est pas né celui qui pourra m’enchaîner. Mais en attendant, il y a un petit bout dont le cœur mérite d’être encore être un peu protégé.

  • Je suis comme la princesse et la grenouille. Un crapeau me laissant suivre ma destinée à plus de chance de gagner mon cœur qu’un prince voulant m’enfermer dans une cage dorée.

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