La boucle: desert  

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J’avance. Droit devant moi, sans jamais dévier de ma route. Ce chemin sans fin, pavé de pierres lisses et dorées au milieu d’un paysage désertique. Et je marche, un pas après l’autre. L'énergie du début m'a quitté pour la plus profonde des lassitudes. Où ce voyage me mènera-t-il ? Quand a -t’il démarré exactement ? Je ne sais même pas qui je suis... Je force les souvenirs à éclore, mais peine perdue. À chaque fois, mon crâne menace d’exploser et me contraint à stopper ma marche. Pourtant, si je m’immobilise, je meurs. De cela, j’en suis certain. Pourquoi ? Je n’en ai aucune idée, mais j’ai essayé un jour – cela pourrait être des heures ou bien un siècle, le temps n’existe pas ici – une tornade est apparue au-dessus de moi dans une bourrasque assourdissante. Monstre prêt à m’engloutir dans sa bouche tourbillonnante. Une peur profonde s’est alors emparée de mon corps et de mon esprit, me poussant à me relever et continuer cette excursion interminable. Je n’ai ni faim ni soif. Mais je suis las, si las. Mes pieds me portent difficilement. Je ne sens pas non plus le froid ou la chaleur malgré les rayons de l’astre rouge au souffle brûlant qui règne dans le ciel, et ce, malgré mon corps nu au milieu de la fournaise.

Je marche sur ce chemin doré et ma seule occupation se résume à observer mon environnement. Ce désert de pierres rouges infini. Ma route n’est pas unique dans ces lieux désolés. Autour de moi, différents chemins se croisent, chacun d’une couleur différente. J’en remarque un vert émeraude, un rouge rubis, un bleu saphir et un noir de jais. Des silhouettes humaines, aussi nues que moi, circulent dessus tant bien que mal, elles aussi. Parfois, nous nous observons, intrigués. Nous cherchons souvent à communiquer mais, de nos bouches ne sort que le silence le plus complet pour celui qui cherche à écouter. Comme si un mur invisible insonorisé nous séparait. Alors, incapables de nous entendre les uns les autres, nous continuons notre route. Seuls.

Un homme attire mon attention sur ma gauche. Il fait du sur place. Il semble hésiter sur l’action à entreprendre. Soudain, il regarde dans ma direction et lève la main dans un signe de salut amical. Je vois sa bouche s’ouvrir. Je me contente de plisser les yeux. Je suis incapable de saisir ses paroles. J’ai l’impression qu’il est en train de hurler mais bientôt il clôt ses lèvres, l’air désespéré. Ici, tout le monde finit par se taire. Il secoue la tête puis la redresse brutalement à nouveau vers moi et, avec un sourire éclatant, lève sa jambe et franchit la limite de son chemin de pierres noires. J’écarquille les yeux et tente de crier, de l’avertir.

— « Retourne sur ton sentier ! Vite ! »

En vain. Je serre mes poings de rage face à mon impuissance. L’homme commence à courir, l’air heureux, il gesticule ses bras dans tous les sens. Croyant s’être libéré. Comme si c’était aussi simple. Comme si personne n’y avait pensé avant. Soudain, sans aucun préambule, son corps nu se désintègre en de multiples grains de sable emportés par le vent. La dernière chose que je vois de lui, avant qu’il ne disparaisse à son tour, est son visage figé d’horreur et de consternation. Mon dieu, cette image est gravée pour toujours sur mes paupières, se greffant à toutes les autres. Mes larmes coulent sur mes joues. Encore un ! Je n’ai rien pu faire pour lui non plus. Je me remets à cheminer droit devant. Vers elle. Mes larmes redoublent d’intensité. Cette fois encore, je serai condamné à la voir mourir, telle une malédiction s’acharnant sur mes épaules, de plus en plus écrasées par le poids du fardeau de sa mort inéluctable.

Au loin, je reconnais sa silhouette féminine et sensuelle sur son chemin carmin. Mes pas accélèrent leur cadence dans un effort incommensurable. Un de mes pieds traîne derrière, il n’arrive plus à suivre. Ce visage familier, qui me tourmente encore et encore, se tourne vers moi et me supplie de son regard azur que je connais maintenant par coeur. Ses cheveux blonds ébouriffés volettent librement sur sa poitrine opulente, qu’elle tente en vain de dissimuler avec ses mains. Une pudeur qui serait touchante dans un autre contexte mais qui me laisse de marbre dans ce scénario récurrent dont moi seul connait le déroulement. Elle s’immobilise en me fixant, elle ignore tout de l’issue fatale qui l’attend.

— Cette fois… s’il-te-plaît, continue de marcher… MARCHE !

Mes hurlements n’ont aucun impact mais j’ai toujours espoir qu’elle parvienne à lire sur mes lèvres. La tornade apparaît au-dessus d’elle. Vortex aux volutes sombres qui aspire nos vies comme s’il s’agissait de grains de poussière. Sur mon sentier d’or, aucun son ne me parvient, mais je suis ébranlé par le regard terrifié qu’elle me lance. Elle se bouche les oreilles et hurle dans le plus grand des silences. Elle tend son bras dans ma direction. À mon tour, je tends mon bras vers elle, les yeux brouillés par les larmes. Elle est si proche et pourtant si loin. La tornade l’emporte, impitoyable. Autour de nous, sur les autres sentiers, les silhouettes continuent de marcher comme si de rien n’était. Un tsunami émotionnel m’envahit tout entier : la colère me ronge, la culpabilité m’étreint dans ses bras d’acier acérés, la honte m’étouffe, mais c’est la tristesse qui finit par l’emporter cette fois. Un désespoir insondable jaillit des tréfonds de mon âme.

Le décor disparait peu à peu, comme si une main invisible en effaçait le contenu avec une gomme, m’enfermant dans un néant abyssal. Tout va à nouveau recommencer. Jeu cruel et interminable telle une boucle sans fin dans mon cœur meurtri.

Je me sens comme le Prométhée des temps modernes. Condamné encore et encore à vivre la même scène.

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