Instant (II)
De quels mots userai-je pour forcer ma mémoire
A écrire un instant que je ne comprends pas,
Et s'oscille en mon coeur entre peine et espoir ?
Comment décrire ainsi ce jour qui restera
A tout jamais pour moi un temps d'éternité
Où j'ai senti mon corps être pulvérisé ?
Une journée d'été au cœur d'un vieux pays
Et l'éclat du soleil inonde un champs de blé
Venant le transformer en un océan d'or
Dont les vagues clapotent à mesure des efforts
Indolents de ce vent qui semble paresser
Porté par la chaleur dans le temps qui s'enfuit.
C'est une journée d'été et puis moi je suis là
Sur mon vélo je crois, à faire les cent pas,
Ou plutôt les cent roues, autour de ce garage
Ouvert aux quatre vents et qui dans son ombrage
Abrite cet engin qui malgré moi m'attire
Ce très grand toboggan que j'aimerais gravir.
Et il y a ce levier qui est comme un appât
Pour l'enfant curieux s'ennuyant un peu trop.
Un instant et j'hésite, et puis je fais un pas,
Et puis m'y voila presque et je pourrais bientôt
Le toucher de mon doigt. C'est là que je le vois,
Ce cran qui le retient. J'y dépose mon doigt.
J'ai tout juste sept ans, et d'un coup le néant
Vient s'emparer de moi. Quelqu'images confuses,
Mon père penché sur moi, la peur chez tous ces grands,
Des sons trop assourdis, des lumières diffuses
Et le pont d'Aquitaine. Sirène qui rugit,
Et puis je la ressens, cette vie qui s'enfuit.
Je n'ai pas vraiment mal, j'ai juste l'impression
De ne plus être moi, de sombrer lentement
Que je dois me forcer à chaque inspiration
Quand j'aimerais partir, m'en aller doucement
Rejoindre ce néant dont on veut m'arracher,
Retrouver cette paix dont on veut me priver.
Et soudain on me laisse et je pourrais enfin
Me couler dans l'oubli, rien ne me retient
Il suffit seulement d'arrêter de penser,
De cesser d'éprouver, et oui, abandonner.
Sursaut de fierté ? Folie de ma jeunesse ?
Il n'y a plus de paix, rien que de la détresse.
J'ai souvent entendu décrire une lumière
Aux abords de la mort, une main nourricière
Désirant vous étreindre et vous envelopper
Pour enfin à jamais pouvoir vous protéger.
Je ne vois rien de ça, rien que le néant
Et des images éparses de la vie d'un enfant.
Je reste là des heures à affronter la mort
Sur la table en métal, entre les mains de gens
Que jamais je n'ai vu, redoublant leurs efforts
Pour me tirer de là, repousser le néant,
Pour sauver cette vie à laquelle j'accroche
Moitié contre moi, Moitié pour mes proches
Je ne vois que mon âme et les assauts diffus
De cette obscurité qui en moi s'insinue.
Il n'y a que mon cœur et toutes les terreurs
Qu'avale goulument l'insatiable néant.
Dois-je encore m'accrocher? Ai-je encore les moyens
De conserver ma vie ne tenant plus à rien?
Le temps n'a plus de sens, il est incohérent
Tout comme les images hantant ce délirant
Cloaque que devient ici mon esprit endormi.
Peut-être est-ce la mort, enfin, cette lumière
Ou alors je me trompe et ce n'est que la vie
Venant de l'emporter et qui me récupère.
J'ai tout juste sept ans, et mon corps est brisé
Mais je me reconstruis au rythme d'un été
Où les rayons jetés d'un soleil brulant
Là sur les champs de blé que le vent indolent
Courbe négligemment balisent de leur cadence
Le chemin malaisé de ma convalescence.
Une plume de vie
Le 20/02/2011
Repris le 15/03/16
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