Chapitre 11 - 1/2

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NdA : Ouais, je sais, je viens de dire que je mettais en pause, mais que voulez-vous ? Raph me manque, je me sens pas super, alors... Voilà. Ce sont des chapitres expérimentaux, je sais vraiment pas ce que ça va donner, vous n'êtes pas obligés de lire. Le début de celui-ci date de plusieurs mois alors c'est vraiment n'importe quoi. Sincèrement, je sais pas trop ce que je fais en ce moment. Juste, je n'abandonne pas, c'est déjà ça, hein ? (oui, oui, c'est de l'autopersuasion). Prenez soin de vous <3

Mon sac tombe au sol sans un bruit. J’insère les clefs dans la serrure, tourne lentement et déverrouille les sécurités jusqu’à entendre ce « clac » familier. J’ouvre le battant, endosse mon sac et sors dans la nuit.

Je songe que dans ces moments, il faut laisser un mot. On s’excuse, on dépose une lettre sur l’oreiller, sur la table de chevet, on la glisse sous la porte… Toi, tu ne ‘as pas laissé de lettre. Pas d’excuses, pas de « je suis désolé », « pardon », « je m’excuse » … Non, non. Tu ne m’as rien laissé. Alors que puis-je encore offrir aux autres ?

Même la chaleur d’une nuit d’été ne peut réchauffer un corps abandonné. Je frissonne, resserre les pans de mon gilet contre moi et bascule la tête en arrière. Je marche les yeux tournés vers les étoiles, en maudissant ces boules de gaz déjà éteintes d’exister. Le ciel noir fait monter des larmes à mes paupières. Je les garde toutes pour moi. J’aimerais que l’aube se dépêche de poindre. J’aimerais… tellement de choses. Que le vent se lève, voir une étoile filante, croiser ton regard, sentir tes mains contre les miennes, nos souffles qui s’entremêlent, rejoindre la mer et m’y noyer avec toi. Tu voulais mourir, n’est-ce pas ? Alors pourquoi pas avec moi ?

De rage, je donne un coup de pieds dans un caillou. Non seulement je me fais mal, mais en plus je perds l’équilibre. Je trébuche en arrière, m’affale par terre et finis par m’allonger, sac serré contre ma poitrine. J’observe la voûte céleste. J’attends un signe, quelque chose, n’importe quoi. Une étoile filante. Mais ces dernières n’apparaissent jamais lorsqu’on le désire.

J’attends, longtemps. Et rien. Le croissant de lune qui s’est levé me nargue d’un regard argenté. Je souris, un sourire de super nova sur le point d’exploser. Une main vers la Voie Lactée, vers toi, une main vite retombée car jamais attrapée. Trop tard.

Mes pas m’entraînent jusqu’à la gare déserte. Seul un bus encombre à lui seul trois places de parking. Je me dirige vers lui, attiré par les lumières et les silhouettes endormies des passagers. Le chauffeur remarque ma présence avec un rictus de dédain et m’ouvre la porte du véhicule. Je monte timidement, muet et immobile face au regard mauvais qu’il me lance.

— Quoi ? crache-t-il. Tu payes ou tu sors.

Je baisse les yeux, serre la bandoulière qui me scie l’épaule. Sans trop réfléchir, je sors un billet de dix euros qu’il empoche. Il me rend quelques centimes et me fait signe d’aller m’asseoir. J’incline la tête en guise de remerciement, pars me faufiler entre les rangées de siège et trouve une place libre avec un siège où poser mon sac.

Soudainement, le chauffeur quitte son fauteuil. Je me raidis, près à supplier pour qu’il m’emmène, peu importe la destination, mais l’homme rondouillard quitte simplement le bus pour fumer une cigarette. Un bref soupir de soulagement m’échappe et je laisse ma tête aller contre le dossier en attendant le départ. Celui-ci est reporté jusqu’à ce que le chauffeur ait fini sa clope. Long…

Pour patienter, je sors de ma veste la dernière page arrachée de mon ancien carnet. Celle où Nathan s’est déclaré. Je prends également entre mes mains son portable délaissé en France. Il est déchargé. Je tripote la coque noire et blanche, avant de l’enlever complètement. Un papier plié s’en échappe et tombe sur le sol satiné. En me penchant pour l’attraper, je remarque l’aspect glacé. Une photo.

Le bus démarre soudainement. Je range la photo dans ma poche sans l’ouvrir, ayant bien trop peur de ce que j’y découvrirai. Les vitres vibrent, le sol branlant fait remonter des frissons le long de ma colonne vertébrale. Je serre dans mes poings ce qu’il me reste de Nathan. Si peu. Et beaucoup trop.

Depuis son départ, j’ai écouté des tas de musiques, des playlists à la pelle. Des chansons tristes, des chansons drôle, des chansons d’amour, des chansons violentes. Beaucoup de chansons qui gueulent, dégueulent et s’esseulent. Assez pour y noyer mon âme, y noyer son image et pleurer sans larmes. Je place l’ancien casque de mon cousin sur les oreilles, murmure le titre de la chanson à défaut de pouvoir en murmurer les paroles. Moutains de Hans Zimmer.

Il est bientôt 5 heures du matin, je suis dans un bus à destination inconnue, des larmes sur les joues comme des roses aux épines flamboyantes. J’ai cette impression d’être une coquille vide. Que reste-t-il de moi désormais ? La tempête a ravagé mon monde. Que puis-je offrir ? Je tourne en boucles, je tourne autour de moi, autour de toi. Je n’avance pas, je ressasse à l’infini les mêmes pensées, les mêmes regrets, les mêmes rancœurs. Les jours, les visages sont identiques. Les mots, eux aussi sont d’un ridicule. Toujours mal utilisés, bancals, fébriles, laids, idiots, fades. Fades, tellement fades. Je les emploie toujours de la même façon, à l’identique, dans un bégaiement incompréhensible, dans un murmure pathétique. « Pathétique », n’est-ce pas la meilleure façon de me décrire ?

Mes yeux se ferment et le sommeil m’emporte. Des centaines d’images se forment à l’infini derrière mes paupières et creuses des sillons qui s’enfoncent dans mes poumons et descendent jusqu’à mon cœur. On m’étrangle, on me vide, on me bat, on me roue de coup, je dégueule, je crache mes tripes. Puis, c’est à mon tour. Je me moque, je ris, je tue, j’enfonce le couteau, je torture. Oui, je suis coupable. Non, je ne suis pas la victime. Oui, je suis satisfait du mal que je fais aux autres, satisfait de les écarteler, de faire gicler du sang sur le parquet. On sort l’estomac, les entrailles, le cœur, on les poignarde, on les coupe en morceaux, comme le cerveau d’Einstein. Oui, oui ! NON !

Je me réveille dans un sursaut, de la bile au bord des lèvres. Le bus continue inlassablement sa route, indifférent aux cauchemars qui secouent mon être. Le paysage obscurci par la nuit m’est inconnu et en regardant mon portable, je découvre que je n’ai dormi que 5 petites minutes…

Je desserre les doigts où est logé le morceau de mon ancien journal. Je déplie lentement le papier où Nathan a ébauché trois bombes, artifices, trois armes de guerre ressorties le jour de l’armistice. « Je t’aime ».

La feuille se corne sous mes mains rageuses. Des déchirures, des éclats, des fêlures dans les confettis. Froisser, craquer, brûler, déplier, lisser, réparer, et tout redétruire. Je suis un idiot. Et je ne comprends pas comment tu as pu m’aimer.

*******

Une voix grave tonne comme l’orage. Je sursaute, ouvre les yeux sous les secousses du chauffeur. Il annonce d’un ton bourru la fin du voyage. Le temps que je reprenne pleinement conscience, il est déjà retourné s’installer dans son siège, se dandinant entre les rangées de fauteuils. Je finis d’émerger de mon sommeil cauchemardesque et me lève d’un bond : je suis le dernier passager. Sac sur l’épaule, mon portable, celui de Nathan, la feuille, les écouteurs… Toutes mes affaires à la main, je descends du bus, adresse un dernier signe au conducteur dont le regard s’est perdu dans la fumée de sa cigarette. Je ferme les yeux un instant et hume l’odeur dans l’espoir d’y retrouver un bout de toi.

Le soleil brûle les pavés et me rappelle la dure réalité : l’été a envahi le monde et mon cœur est resté en hiver. Je marche jusqu’à un banc à l’ombre. La matinée bien entamée laisse présager des températures caniculaires dans l’après-midi. Je retire mon gilet et le noue autour de ma taille.

— Merde.

Je répète à trois reprises le mot, le temps de sentir chaque lettre vibrer entre mes dents, de saisir les nuances et le ton que Nathan utilisait lorsqu’il le prononçait.

Perdu. C’est ce que je suis. Dans l’espace, dans ma tête, dans mon cœur. Les cauchemars, les souvenirs, la réalité, l’illusion, tout se mélange. Je suis paumé, je me heurte dans le noir à la recherche de l’interrupteur. Dans une boîte minuscule à me noyer. Pourquoi ? Pourquoi ne puis-je l’oublier ? Pourquoi je reste emprisonné par son regard ? Pourquoi suis-je incapable de parler ? Qu’ai-je en moins comparé aux autres pour ne pas savoir faire comme eux ?

Mes poings bloquent douloureusement mes paupières. Non, je ne pleurerai pas. Pas encore. Je me lève, marche dans des rues inconnues. Je ne croise personne, juste mon ombre qui ne cesse de me poursuivre. J’ai l’impression de devenir fou. Je n’ai plus rien à briser, plus rien à offrir. Alors il ne me reste qu’une seule chose à faire pour tenter de t’oublier.

*******

— Dégage j’te dis !

On me pousse au sol. Je m’étale sur les pavés pour me relever. Non, je ne peux pas partir, pas maintenant, je n’ai pas encore oublié, je dois encore boire, boire un peu plus, juste un peu…

Les lumières dansent entre elles, les silhouettes sombres organisent un ballet. Je donne un coup de poing vers l’une d’elle dans l’espoir qu’elle me retourne le coup. J’ai besoin qu’elle me frappe à son tour, qu’elle me casse la gueule et que je ne puisse plus m’en relever. Mais à mon contact, l’ombre disparaît aussitôt et je suis emporté par mon élan. Je tombe piteusement, face contre terre. Foutus fantômes.

— Il est totalement bourré, remarque quelqu’un.

C’est faux. Je ne suis pas assez bourré, il m’en faut plus. Je m’apprête à répliquer, un haut-le-cœur m’en empêche et je déverse mes tripes, mon chagrin et ma colère sur le trottoir.

— Beurk.

— Barrons-nous.

C’est ça, cassez-vous. Un nouveau spasme me parcourt. Je dégueule tout ce qui pourra sortir. De la bile et des larmes. Tellement de larmes.

— T’es majeur au moins ?

Mes yeux remontent le long d’une grande masse noire. Une femme me toise d’un air impassible et repose sa question. Je secoue la tête de droite à gauche, elle m’empoigne par le bras et me tire après elle. Je n’ai pas la force de la repousser, encore moins d’appeler au secours. Mes pieds butent contre les renfoncements des pavés. Ma kidnappeuse râle parfois, mais elle m’attend toujours. C’est une gentille kidnappeuse, me dis-je.

On marche quelque temps, puis elle me pousse à l’intérieur d’un petit appartement. J’espère ne pas avoir besoin de m’enfuir car je n’ai pas la moindre idée du chemin que nous avons emprunté pour venir jusqu’ici.

— Tu peux aller te laver, je te prépare une serviette et des vêtements. Ne vomis pas sur mon carrelage. Et s’il te plaît, ne meurs pas sous ma douche.

Elle insiste bien sur la dernière phrase, et me désigne la salle de bain. Devant mon manque de réaction, elle me traîne jusque devant le robinet et claque la porte derrière elle. Penaud, je fais un tour sur moi-même, laisse mon regard dériver du sol au plafond. Je réprime un spasme.

Mes habits s’affaissent les uns après les autres, devenus chiffons, tissus arrachés, rapiécés, entités sans vie. L’eau qui glisse sur ma peau est trop chaude. Elle brûle mon monde d’hiver. Ma logeuse balance une serviette et des vêtements par l’entrebâillement de la porte et repart aussi vite. Je finis de me laver, m’habille et retourne dans le salon.

— Comment tu t’appelles ?

La réponse que je tente de lui fournir ne franchit jamais mes lèvres. Les syllabes, bloquées dans ma gorge, manquent de m’étouffer.

— Je m’appelle Iris, m’apprend-t-elle. Tu peux rester ici le temps que ça aille mieux, mais il faut que tu partes rapidement, j’ai…

La sonnerie de la porte d’entrée l’interrompt. Iris jure entre ses dents et se lève d’un bond. Son regard s’est fait grave, ses mains tremblent presque.

— Cache-toi, m’ordonne-t-elle.

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