Toi et moi

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Je regardais impatient la pendule sur le tableau de bord. Le vieux coupé Peugeot affichait encore des aiguilles avec des pastilles phosphorescentes. Le temps semblait ne pas vouloir avancer. Les kilomètres s'étiraient. Les bretelles de sortie de cette autoroute se faisaient de plus en plus rares. Les phares de la voiture jetaient deux faisceaux pour montrer l'asphalte qui par endroit portait des traces brillantes et caractéristiques de gel.

Les grands sapins montaient la garde de chaque côté de la chaussée en gravissant le col de Saverne et se confondait avec la nuit. Parfois, des bancs de brouillard forçaient à ralentir. Ils s'étiraient en belles écharpes laiteuses. Et en raison de l'éclairage, ils renvoyaient des myriades de particules humides qui semblaient inonder l'habitacle.

La fatigue s'intensifiait.

Il devenait plus sage et très urgent de stopper. D'autant que mon esprit s'égarait dans des souvenirs et sans m'en rendre compte, mes paupières s'abaissaient. Alors, je me redressai d'un bond tout en serrant les mains sur le volant. J'avais alors décidé de faire une pause sur une aire d'arrêt d'urgence sans station service pour profiter de la clarté de la nuit car une fois, la brume dissipée, le spectacle de "la voie lactée" était à couper le souffle.

Je coupai le moteur.

Parfois une voiture passait. Et son halo lumineux semblait courir le long de la lice centrale. À cette heure tardive ou très matinale, le froid s'immisçait partout et une fois sorti du véhicule, je fus presque saisi par tous les interstices de mes vêtements sous ce ciel d'hiver. J'enfonçai mon bonnet en couvrant mes oreilles. Je serrai les extrémités d'un cache-nez en laine. Puis après avoir chaussé mes gants, je glissai mes mains dans les poches profondes à hauteur de poitrine de mon parka.

Pour oublier cette solitude mélancolique du conducteur et échapper à ce curieux supplice d'un froid si pénétrant, je fermai les yeux en enfonçant ma tête dans le col moelleux de mon manteau. Je pus ainsi mieux me plonger dans mes réminiscences. Peu à peu la chaleur de mon corps se diffusa et me permit de rejoindre une fenêtre d'entrée dans le passé.

Aujourd'hui, ce n'était certes pas au vieux singe qu'on apprendrait à faire des grimaces. Mais à cette instant de ma vie, rien ne me semblait louche. Au contraire, tout devenait possible. Le monde m'appartenait et cette naïveté, cette candeur propre à la jeunesse des années 70, sans doute facilitaient les choses. Du moins en apparence. Car il n'était pas facile de se déclarer à l'élue de son coeur. On essayait de savoir en interrogeant les potes, et les filles faisaient de même.

Je me souviens qu'à cette époque je fumais, sans doute pour me donner une contenance. Profitant d'un séjour de vacances à l'étranger, je m'étais assis à une table à la terrasse d'un café bordant une place en limite du mur d'enceinte de la médina. La fin d'une belle journée s'étirait doucement. Mais la chaleur occupait tout l'espace.

Le moindre effort se traduisait par un ruissellement de sueur dans l'instant. Aussi, c'était avec un plaisir immense que je sentis les effluves portées par une brise fraîche du soir, une belle odeur de jasmin. Sans doute des arbrisseaux d'un jardin privé, pas très loin. Le café offrait des glaces en cornet et des préparations superbes. Alors, on commanda un banana split avec deux cuillères.

L'appel d'un muezin invitait à la prière. Son chant amplissait tout l'espace.

Moi, je ne voyais que toi.

Tu étais si belle, très typée, un mélange d'orient et d'occident. Je fondais de plaisir comme la vanille et le chocolat dans la coupe et toi tu riais de bonheur. Et sous le bleu du ciel sans aucun nuage, je n'avais qu'une idée en tête.

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