Chapitre 12 : "Chaussette"

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Vendredi 7 décembre, vers 22h.

Comment se pouvait-il que le meurtrier fasse autant de gaffes. Il voulait se faire coincer peut-être ? Laisser une de ses victimes vivantes. Ça c’était bien une première ! Parfois, les tueurs en séries, après toute une série de crime sans être attrapés, deviennent beaucoup plus confiants, pensant agir en toute impunité et, justement, c’est là que la police peut les coincer. Mais à quel prix ? Combien de vies humaines sacrifiées pour arrêter un tel malade. Pour Garcia, c’est inacceptable. Mais peut-être que ce soir, enfin, il aura le fin mot de l’histoire.

Le capitaine Garcia arrive en trombe au commissariat du 4ème arrondissement de Paris. Il espère peut-être voir ou croiser sur son chemin Lisa Mauragnier. Cependant, arrivé au poste, le réceptionniste, un bleu sorti tout frais de l’école de police, l’informe qu’elle vient de partir avec une patrouille. Et merde ! Tant pis je la verrai demain.

Alors qu’il fait demi-tour pour rentrer chez lui, l’agent à la réception l’arrête à la sortie en le hélant :

- « Capitaine ! Il y a un autre témoin. Elle est en ce moment en salle d’interrogatoire avec la lieutenante Kairouan. »

Encore un autre témoin ! Non, décidemment, le gars veut vraiment se faire chopper. Ou alors, il s’est grillé lui-même les neurones à un tel point qu’il a maintenant un QI négatif. Se dit Garcia. Mais bon, ce n’est pas moi qui vais me plaindre…

- « Je peux voir le témoin ?

- Comme je vous disais, elle est en salle d’interrogatoire avec la lieutenante Kairouan. Elles viennent juste d’y entrer. Mais si vous voulez, je peux vous installer dans l’arrière-salle qui donne sur la salle d’interrogatoire.

- Oui ! Tout de suite. »

Le jeune agent de police accompagne Garcia jusqu’à l’antichambre. La salle est sombre et exigüe. Mais une fenêtre, surement un miroir sans teint, permet de voir, sans être vu, la pièce où se trouvent le lieutenant Kairouan et une dame d’âge moyen qui ressemble vaguement à une petite fouine. En revanche, on n’entend rien. Ce que remarque immédiatement Garcia.

- « Vous pouvez allumer le micro ?

- Euh oui… pardon »

Le jeune officier s’exécute et tourne l’interrupteur qui permet d’écouter en toute discrétion la conversation.

- « … Il était nu comme un ver... »

- « C’est qui elle ? C’est le témoin ? » demande le capitaine.

- Oui. C’est Madame Martin. Elle est concierge au 3 rue du Pressoir. C’est l’immeuble où vit Mademoiselle Mauragnier. Elle dit qu’elle a vu un homme nu dans l’appartement de la victime. »

- « … Il avait plein de cicatrices dans le dos… »

- « Et, qu’est-ce qui s’est passé exactement ? C’est vous qui avez accueilli Mademoiselle Mauragnier ?

- Oui. Elle était sacrément secouée ! Elle dit qu’elle s’est faite agresser chez elle. Elle avait des contusions sur le visage. Le Lieutenant Kairouan a pris sa déposition. Vous pouvez la consulter si vous voulez. »

- « …Il tenait un plaid dans ses mains… »

- « Et elle peut faire une description de son agresseur ?

- Elle doit revenir demain je crois, pour faire un portrait-robot.

- Et quel type d’agression ? Sexuelle ?

- Apparemment non. Ou du moins elle était très clair là-dessus. Je ne sais pas, peut-être un simple vol qui aurait mal tourné, ou pire… Peut-être qu’il n’a pas eu le temps de terminer le travail ? »

- « … On aurait dit un homme de l’Est vous savez ? Peut-être un mafieux russe… »

Soudain, Garcia s’exclame :

- « Quoi ?! Elle vient de dire quoi là ?

- Euh… Un mafieux russe ?

- Je veux parler au témoin. TOUT DE SUITE !

- Mais Capitaine, je ne peux…

- Je suis Capitaine de la Criminelle. C’est une affaire de double meurtre dont on parle là. C’est mon affaire et cette dame est un témoin clef, elle avait peut-être le meurtrier en face d’elle. Je veux reprendre l’interrogatoire MAINTENANT. C’EST UN ORDRE ! »

Garcia a les yeux qui lui sortent presque des orbites, tellement l’adrénaline lui est montée à la tête. Il le tient, peut-être. Et ses soupçons pourraient bien être confirmés.

- « Bien, Capitaine. »

Le jeune agent s’exécute, sort de la pièce, toque de trois coups à la porte du bureau des interrogatoires et l’entre-ouvre. Garcia est derrière lui, fulminant. Après quelques brefs échanges, l’agent laisse entrer Garcia, qui dans l’excitation du moment, renverse presque le jeune homme contre la porte et rentre comme une furie dans la salle, posant brusquement ses deux mains sur le bureau, face à Madame Martin qui ne comprend pas ce qui est en train de se passer, bousculant la lieutenante Kairouan installée confortablement sur sa chaise.

- « Bonsoir Madame Martin. Je suis le Capitaine Garcia de la Criminelle. Décrivez-moi EXACTEMENT ce que vous a avez vu dans l’appartement de Mademoiselle Mauragnier, ce soir. »

Madame Martin reste bouche bée, prostrée dans le fond de sa chaise métallique.

- « Ben… j’ai vu un homme…

- Super ! Et il était comment cet homme ? Il faisait quoi ?

- Il était tout nu et il regardait l’ordinateur en tenant un plaid dans ses mains ? » Répond Madame Martin, toujours sous le choc.

- « Vous dites que c’était un mafieux russe ?

- Euh, je ne sais pas moi ! Je voulais dire qu’il avait l’air de l’Est. Il était très blanc avec pleins de cicatrices dans le dos… et… ses yeux… ils étaient bizarres… ils brillaient et ils étaient jaunes ou … en or ! »

Garcia se relève brutalement, sort de la salle d’interrogatoire et commence à pianoter d’une main sur téléphone portable qu’il porte immédiatement à son oreille, alors qu’il se dirige vers la sortie du commissariat.

- « Mandrin ? Je veux que tu contactes le proc immédiatement. Il me faut un… Quoi ? Oui je sais il est bientôt minuit… ET ALORS ?? Je veux un mandat d’arrêt immédiatement contre Gidrìs Egon Farkas… Hein ? OUI ! GIDRIS ! On le tient, Mandrin. On a un témoin direct qui l’a formellement identifié et une victime qui a survécu…. La jeune secrétaire, Mauragnier… Je t’envoie toutes les infos tout de suite sur ligne sécurisée. Et demain matin, je veux une patrouille à l’étude de Lemaitre. On va le cueillir quand il arrivera au bureau. »

Garcia raccroche, glisse son téléphone cellulaire dans sa poche et dans son for intérieur, jubile. Enfin ! Un suspect. Un vrai cette fois. Avec des témoins en plus ! Et au pire, si ce n’est pas lui, il est mouillé jusqu’au cou et lui donnera des informations. Garcia voit enfin une issue à la plus horrible affaire qu’il ait dû traiter dans sa carrière. Les traites de l’Est, les enfants, les meurtres, les soit-disant démons… ça se tient ! Il imagine déjà les félicitations, la potentielle promotion et surtout, surtout sa conscience apaisée sachant que ce monstre ne pourra bientôt plus recommencer ses crimes abjects, alors qu’il démarre son véhicule en direction de son appartement.

Lisa est assise sur le siège arrière de la voiture de police, les paupières se refermant doucement, serrant contre elle un sac de voyage contenant quelques effets personnels, de quoi faire sa toilette et se changer pour le lendemain. Les policiers lui ont aussi remis son sac à main, après une vérification en règle. Tout y est : son portefeuille, son argent, ses cartes, son téléphone, ses cigarettes, le briquet bleu. Ils ont gardé les clefs. Son appartement est sous scellé. Elle ne peut plus y accéder jusqu’à nouvel ordre. Elle devra dormir chez des amis en attendant. Mais pour ce soir, ce sera un lieu choisi par la police. Elle ne sait pas où ils l’emmènent. Dans un endroit sécurisé, lui ont-ils dit. Un hôtel, dans le 17ème, dans le quartier des Batignolles. Elle a reçu aussi les instructions comme quoi elle est convoquée au centre de la Criminelle, le lendemain, en fin de matinée. Ce n’est pas très loin de son hôtel justement. Le capitaine Garcia a quelques questions à lui poser et veut entendre sa version des faits. Elle n’en sait pas plus et elle s’en moque. La seule chose qu’elle souhaite maintenant c’est dormir pour oublier.

- « Voilà Mademoiselle. On est arrivé. »

La jeune femme sort doucement de sa torpeur et regarde par la vitre. Elle voit des néons lumineux indiquant « HOTEL » et une lourde porte en bois entrouverte.

- « Nous vous avons réservé une chambre au nom de Dusol. C’est mon nom, en fait… et… euh…

- Merci agent Dusol. C’est gentil. »

Elle tire la poignée de la portière, ignorant les plates tentatives de séduction de l’agent Dusol et sort du véhicule, serrant son sac contre elle.

Alors qu’elle avance vers l’entrée de l’hôtel et que la voiture de police s’éloigne, elle entrevoit, sur son champ de vision à droite, une ombre. Elle s’arrête, les sens en éveil et tourne la tête dans la direction de l’ombre. Elle voit alors un énorme chien-loup gris, les yeux mordorés et écarquillés qui ne la quittent plus, la bouche grande ouverte et la langue pendante, comme si l’animal tentait d’imiter un grand sourire, la queue se balançant frénétiquement de gauche à droite.

Le chien ! Il est là. Encore ! A côté de lui, une petite forme gigote. On dirait une grosse souris. Ou un rat. C’est comme si ces deux-là étaient amis de longue date et étaient venus accueillir leur nouvelle amie. Mais ce ne sont que des animaux. Malgré tout, Lisa est touchée par tant d’attention et se dirige vers les deux compères. Elle se place devant le chien-loup et sans vraiment savoir pourquoi, se met à genoux devant lui, le serre dans ses bras, enfouissant son visage dans la douce et épaisse fourrure et fond en larme.

L’animal, comme pris d’un élan de compassion, lui lèche le visage, pour lui sécher ses larmes. Le rat s’approche alors d’elle, lui reniflant les genoux à terre et pose sa minuscule patte sur elle, cherchant apparemment lui aussi à la consoler. Puis, après avoir pu décharger son chagrin, Lisa reprend peu à peu ses esprits, et réalisant le surréalisme de la scène, en regardant simultanément le loup et le rat, se met à rire.

- « Mon Dieu ! J’ai l’impression d’être une héroïne de conte de fée ! » Dit-elle de sa voix cristalline.

Le loup la regarde alors, toujours haletant, la queue balayant le sol puis se lève de son séant et pousse un léger hululement de contentement, ce qui fait rire de plus belle Lisa. Le rat se met à tourner sur lui-même, comme pour exprimer sa joie.

Lisa, tout en caressant doucement la tête du loup, lui dit tendrement :

- « Merci. Merci, de m’avoir sauvé la vie. Tu n’es qu’un animal mais force est de constater que vous êtes plein de ressource. Peut-être est-ce le destin qui t’a amené jusqu’à moi ? Ou peut-être es-tu mon ange gardien ? En tous les cas, merci mon ami. Et je ne connais même pas ton nom. Comment t’appelles-tu magnifique animal ? Mais tu ne peux pas me répondre. Tu n’es qu’un chien. »

Puis une idée lui vient à l’esprit. Un nom. Elle regarde les pattes de la bête puis ses beaux yeux mordorés.

- « Je vais te donner un nom, moi. En gage de remerciement et pour sceller notre amitié. Et aussi, si tu veux bien, je t’amènerais chez moi où tu pourras avoir toutes les croquettes et les pâtés du monde. Et aussi mon canapé où tu seras bien au chaud. Ça te dit d’avoir un foyer ? »

Puis elle fait une pause, prend un air solennel, prenant la tête du loup entre ses mains et plongeant son regard dans le sien, lui déclare :

- « Je vais t’appeler… Chaussette ! »

A ce moment-là, le loup pousse un gémissement aigu, en signe de protestation. Il dégage sa tête des mains de Lisa et s’en va, laissant la jeune fille à genoux sur le bitume. Au même instant, elle est sûre d’avoir entendu un couinement aigu, comme si le rat s’était pris d’un fou rire.

- « Mais… Chaussette ! Reviens ! C’est parce que tu as les pattes blanches, on dirait des chaussettes… C’est mignon Chaussette, non ? » s’exclame Lisa en direction des deux animaux.

Elle regarde alors s’éloigner, dans la rue, le loup, accompagné de son ami le rat.

Ce ne sont que des animaux, après tout. Ils ne nous comprennent pas.

A y regarder de plus près, alors que les deux animaux avancent droit devant eux, sur la route s’éloignant de l’hôtel, Lisa est sûre d’avoir vu le rat continuer de s’esclaffer tandis que le loup l’écrase d’un brusque coup de patte pour le faire taire.

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