Lettre à Elise

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Elise tendit une main tremblante vers l’enveloppe. Le papier du front était reconnaissable entre mille. Mais cette écriture n’était pas celle de Fabian. La lettre provenait de Nathaniel, son frère. D’un geste fébrile, elle déchira le papier et commença la lecture :


11 novembre 1918,

Ma tendre Elise,

Cette lettre te causera, je m'en doute et je m'en excuse, un profond chagrin, aussi ne vais-je pas perdre plus de temps pour éviter l'inévitable, cette annonce si terrible dont cette lettre est porteuse : Fabian est mort. 

Mon ami, mon frère est mort. Ton ami, ton mari n'est plus. Pleure, mon Elise. Rien ne pourra te faire plus de bien que des larmes. J'ai essayé. La douleur est restée, mais mes pensées se sont éclaircies et j'ai pu enfin écrire cette lettre. Si tu savais le nombre de feuilles en boule par terre, dans les tranchées fortes de mille morts ! Trouver les mots justes est bien trop dur. Mais je ne pouvais laisser un autre se charger de cette nouvelle.

Sache qu’il n’a pas souffert. Ou si peu. Nous venions de sortir de notre trou. Une mission de repérage, de l’espionnage. Fabian était toujours désigné spontanément pour ce genre de missions parce qu’il… parce qu’il était lui. Bon partout. Discret. Direct. Tout. De nombreuses missions ont pu être menées à bien et de nombreux soldats sont encore en vie grace à ses interventions chez l’ennemi. J’étais avec lui parce que personne d’autre n’a été volontaire. Quel mauvais sort que j’en sois sorti vivant et lui non ! Nous étions près du camp ennemi. Nous n’avons pas vu les deux soldats qui nous contournaient. Pour nous prendre par lâcheté dans le dos. Par quel malheur ont-ils décidé de tire avant sur Fabian, je n’en sais rien. Mais je regrette indéfiniment ce choix tout en remerciant le ciel, en mon esprit égoïste, de pouvoir passer plus de temps avec Christine et Lou, mes jumelles. Deux ans que je ne les ai pas vues, et elles n’en avaient que trois lorsque je suis parti. Je me réjouis de pouvoir serrer Gabrielle dans mes bras, de pouvoir enfin  découvrir notre petit garçon né peu après mon départ.

Je m’excuse d’avoir étalé tout cela. Je ne voulais guère raviver ta douleur. Je sais que Fabian vous a laissé, Xavier et toi. Je sais aussi que, contrairement à moi, il ne connaitra jamais votre deuxième enfant. Si tu savais comme je m’en veux de ne pas avoir pris sa place…

Nos assaillants ont vite été tués par un ami que nous avions placé pour nous couvrir. J’ai ramené Fabian dans les tranchées, il a vite repris connaissance une fois à l’infirmerie. Il m’a dit ne pas souffrir. Il ne pouvait plus bouger. Seules quelques larmes s’échappaient de ses cils alors qu’il me parlait de Xavier, de toi, de Charlotte. Il m’a décrit votre fille comme il se l’imaginait, ne l’ayant jamais vue. Aussi belle que toi. Idéale. Il tâchait de se rappeler chaque détail de son fils, de toi afin d’avoir l’image parfaite et de pouvoir partir en vous ayant vu une dernière fois.

Ses derniers mots ont été pour vous. Il m’a rappelé ma promesse. L’an passé, alors que les combats devenaient de plus en plus durs et que nous avions de plus en plus peur de perdre la vie, nous nous sommes mutuellement promis de protéger la famille de l’autre, si l’un de nous venait à tomber. Et malheureusement, me voilà face à cette promesse. Je ne pensais guère devoir m’y confronter, je croyais Fabian assez fort pour résister jusqu’à la fin. Mais non.

Et, ironie du sort, à l’instant même où sa poitrine descendait pour la dernière fois, un officier est entré dans l’infirmerie en criant. La guerre était terminée. Les combats, évités. L’armistice, signée. Les larmes me sont venues : à quelques heures près, Fabian était sauvé. Mes pleurs ont été longs à s’arrêter. Très longs. J’ai réussi à négocier avec notre officier pour ramener Fabian chez vous, qu’il soit enterré loin de ce paysage qu’il haïssait tellement : la guerre.

Dans la semaine, on organisera notre retour. Avant même d’aller voir ma femme, c’est chez toi que je passerai. Si tu le souhaites, tu viendras t’installer chez Gabrielle et moi, je tâcherai de me montrer digne de Fabian. Tu peux aussi garder ton indépendance. Mais je continuerai à venir te voir régulièrement, ma promesse faite à ton mari et à mon frère étant sacrée.

Je regrette d’avoir dû t’annoncer cela, toi qui devais tant espérer de cette période de paix. Mais je ferai en sorte que le souvenir de Fabian reste à jamais dans nos mémoires. Quand vos enfants seront assez âgés, ils sauront qu’ils ont eu un père héro. Qu’il a sauvé de nombreuses vies.

Mon Elise, j’espère que tu tiendras le coup jusqu’à mon arrivée. Pense à tes enfants et sois forte pour eux.

Je t’envoie tous les baisers qu’a laissés Fabian avant de s’éteindre.

Ton dévoué, Nathaniel.


Alors que des larmes silencieuses coulaient sur ses joues depuis le début de sa lecture, Elise éclata en lourds sanglots, la sinistre lettre froissée contre son cœur. 

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