Chapitre 24 : Le retour du Père Noël

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Tout s’était emballé et déroulé à un rythme effréné. Nous étions désormais en décembre 2011. Noël approchait à grands pas. À Besançon, l’activité avait repris à marche forcée. Les lutins, désormais maîtres des usines Noël, avaient repris le travail avec un enthousiasme non dissimulé.

Étienne, était toujours gérant de l'entreprise, mais désormais, il en était aussi salarié. Son mandat avait été renouvelé par le vote des Lutins. Il avait complètement changé de stratégie. Parmi les contributeurs, certains avaient contribué à hauteur de quelques euros. Mais chacun avait une voix, peu importait combien il avait versé.

- C’est très court, comme délai, pour revoir tout votre appareil productif, Étienne, dit Daniel Lenoir.

- Je ne m’attends pas à ce qu’on soit rentables la première année. Mais tant que nos contributeurs soutiennent la démarche, je n’ai pas de raisons de m’inquiéter.

- En même temps, leur contribution, c’est aussi une façon de nous racheter.

- Voilà… Cette année, on fait un galop d’essai, et s’il est concluant, l’année prochaine, on essaie de développer l’affaire.

L’ancien banquier regarda le nouveau Père Noël avec un sourire satisfait. Étienne, qui avait pris connaissance de la véritable histoire de Lenoir, fut pris de compassion quand la banque Dreyer fit faillite. Il était décidé à un acte de bonté envers lui. Le financier en avait reçu si peu au cours de sa vie.

Reconnaissant, Lenoir n’avait pas totalement perdu son goût pour l’argent, mais au contact du fils Noël, qui était désormais son chef, commençait à découvrir d’autres valeurs. D’abord persuadé que tout le monde le détesterait au sein du groupe, il découvrit progressivement des gens ouverts au pardon. S’il pouvait être rabat-joie quand il était question d’argent, il avait perdu cette cupidité.

Quels que seraient les profits du groupe, il continuerait d’être bien payé et à l’abri du besoin. Il avait désormais quitté son bureau de la Défense, pour un petit centre d’affaires à Besançon. En fréquentant au quotidien ce nouvel environnement, à la faveur de la proximité avec les lutins et les ouvriers, il découvrit les personnes qu’il avait si longtemps méprisées. Il en fut pris de remords et se promit désormais de faire vivre le véritable esprit de Noël, lui aussi.

Le 10 décembre, les Pères Noël mis au chômage par la banque Dreyer avaient tous repris du service. En tant qu’ancien délégué du personnel, Norbert en avait conservé la liste : il fallait que ce soit eux. Chaque Père Noël avait développé un lien particulier avec ses rennes. S’ils étaient aussi bien payés pour quelques jours de travail par an, il y avait une raison.

Célestine arriva le 12 décembre. En tant que mémoire du Père Noël, elle se devait d’apporter un maximum de précisions sur le fonctionnement général de la tournée à Étienne. Elle aussi avait repris ses fonctions.

Contrairement à autrefois, la fée était venue seule. Églantine, désormais étudiante, la rejoindrait quand les vacances de Noël commenceraient.

Arrivée dans la gare flambant-neuve de Besançon-TGV, la fée fut accueillie par deux lutins. Les mêmes que dix ans plus tôt. Elle se retrouva à l’arrière d’une vieille Jaguar de 1986. Célestine fut séduite par cette voiture de luxe au charme désuet. La famille Noël s’était redécouvert un attachement aux objets anciens et élégants.

Sur le chemin, elle aperçut plusieurs lutins sur le bord de la route, qui la saluèrent de la main.

- Qu’est-ce qui me vaut tout cet enthousiasme ?

- Vous êtes trop modeste, Mme Célestine, dit le chauffeur. Vous le savez bien, ce qu’ils vous doivent.

- Vous surestimez mon rôle, Martin. Je n’ai fait que guider Étienne. Le reste, c’est vous qui l’avez fait.

- Vous avez joué un rôle indispensable dans l’affaire.

- Nous l’avons tous fait, nuança la fée.

Sur le chemin, Célestine aperçut les champs, toujours vides, avec des lutins dans l’attente du retour des rennes. Puis la Jaguar entra dans la résidence des Noël. Dans le parc, de nouveau, des Lutins s’affairaient à décorer le sapin, qui atteignait désormais les 15 mètres.

Célestine sortit son téléphone portable, prit une photographie et envoya la photo par MMS à Églantine. La jeune fée répondit par un cœur. Et Célestine eut un sourire en voyant sa réaction. Contrairement aux autres années, les enchanteurs avaient eux aussi mis la main à la pâte, en rupture avec la culture mondaine qui s'était déjà installée du vivant de Nicolas.

Certains enchanteurs n'avaient pas goûté le changement d'esprit instillé par les lutins, ceux-là même qui étaient restés jusqu'au bout. Mais la plupart approuvèrent. Globalement, tout le monde avait accepté de jouer le jeu. Certains mêmes, venaient participer aux festivités alors qu’ils ne l’avaient même pas fait du vivant de Nicolas.

Venait qui voulait, c’était désormais l’esprit de Noël attendu. Dans la cour, un chapiteau avait été dressé, juste à côté du manoir. Chauffé, il abritait un parquet où il serait possible de danser. Les enchanteurs, qui avaient mis la main à la pâte, avaient redoublé de créativité et semblaient engagés dans une course à qui ferait du réveillon un moment inoubliable.

Le parquet impeccablement ciré brillait de mille feux, grâce aux nombreux lustres qui avaient été suspendus sous la tenture. Des espaces privatifs avaient aussi été aménagés et la porte du manoir était grande ouverte. La transition de l’extérieur vers l’intérieur ne se remarquait pas vraiment. Et les petits trains électriques étaient désormais déployés en dehors du manoir, pour équiper les lieux comme il fallait le faire. Véritable château de toile, le faste du chapiteau n’avait d’égal que la simplicité du matériau dont il était fait. Mais devant tant de lumière, de beauté, on en oubliait le décor dépouillé qui se tenait derrière.

Circulant dans le chapiteau, au milieu des allées et venues, Célestine fut très enthousiaste. C’était différent de ce qu’elle avait connu, et en même temps très familier. Elle aperçut Étienne, en train d’utiliser sa magie pour entreposer des tables. Celles-ci étaient en bois massif, trop lourdes pour être soulevées par un homme seul. Mais avec la magie, cela devenait facile.

Une fois la table posée, il se tourna vers la fée et lui donna l’accolade.

- Célestine ! Je suis tellement content de vous voir.

- Bonjour Étienne. Je vois que vous vous donnez beaucoup de mal.

- Il fallait bien ça, pour fêter la résurrection de l’esprit de Noël.

La fée sourit.

- Tout semble se passer comme prévu, dit Célestine, souriante.

- Oui… Enfin presque.

- Qu’est-ce qui se passe ? Lenoir ?

- Non. Il a beaucoup changé, depuis que je l’ai recruté en interne. Je pense qu’il ne s’attendait pas à cette proposition de ma part. Il s’agit des rennes.

- Ils ne sont pas là ?

- Non… J’ai compté avec eux. J’espère que je ne me suis pas trompé.

Célestine le regarda d’un air grave.

- Que vous dit votre intuition ?

Le jeune Père Noël eut un moment de silence, avant de répondre.

- Ils vont venir, je le sens. Mais j’espère ne pas me tromper.

La fée eut un sourire rassurant.

- Faites ce que vous avez à faire, Étienne, conclut-elle. Et tout le monde en fera autant.

Et les jours défilèrent, Noël approchait, inexorablement. Le 19 décembre, ce fut le tour d’Églantine d’arriver à Besançon. La jeune fille était emmitouflée dans son duffle-coat et son écharpe, les mêmes que portait sa mère quelques années plus tôt. Toutes deux avaient à peu près la même taille, désormais.

Arrivant dans la propriété, à l’arrière de la Jaguar de la famille Noël, elle contempla, ébahie, l’immense sapin, recouvert d’immenses boules de Noël, de guirlandes lumineuses. À la faveur du froid, plusieurs enchanteurs, venus mettre la main à la pâte, s’étaient lancés dans un concours de sculpture sur glace. Le chapiteau, à l’origine une tente, était désormais recouvert de neige. Les dizaines d’enchanteurs venus en renfort s’étaient lancé un défi : en faire une réplique à l’identique du manoir Noël. Le résultat était plutôt réussi. Il fondrait dans quelques semaines, mais pour l’heure, l’illusion était quasiment parfaite.

Églantine, à l’intérieur, s’attendait à avoir froid. Mais en lieu et place de glace, c’était une tenture tout à fait classique qui s’y trouvait, par-dessus un parquet impeccablement ciré et de nombreuses tables en train d’être installées. Accompagnés de leurs enfants, Norbert et sa femme Géraldine étaient affairés à déployer le train électrique sur les différentes tablées, ainsi que des chemins de lumières un peu partout. Leurs deux enfants, Mathieu et Camille, avaient bien grandi. Mathieu était à l’université, comme Églantine. Lui aussi, désormais, était âgé de dix-neuf ans. Camille, sa petite sœur, était encore au lycée, en première. Comme tous les autres qui le pouvaient, ils étaient venus donner un coup de main. Les nombreuses fioritures décorant les piliers du chapiteau étaient réalisées par leurs soins. Géraldine leur avait enseigné les rudiments de l’ébénisterie. Et s’ils n’avaient pas atteint le niveau d’excellence de leur mère, les deux jeunes lutins étaient déjà très prometteurs.

- Eh ! Salut Églantine ! dit Mathieu.

Les deux adolescents la serrèrent dans leurs bras à tour de rôle. Puis la jeune femme salua Norbert et Géraldine.

- Si tu cherches ta mère, elle est en cuisine, en train de préparer 60 kg de sablés de Noël.

La jeune fée eut un sourire. Elle reconnaissait bien sa mère. Elle se fraya un chemin à travers l’immense chapiteau et entra finalement dans le manoir. Avec tous ces aménagements, c’était à peine si on reconnaissait encore la résidence. Elle en était ébahie. C’était comme dans ses souvenirs d’enfance, et même probablement mieux. Les lieux semblaient assez grands pour accueillir plusieurs milliers de personnes, et entre le jardin, le chapiteau, et le manoir, elle avait déjà l’impression d’en compter plusieurs centaines.

La jeune fille fut prise d’un doute, elle n’avait pas le souvenir que le château pût accueillir autant de monde, et se demanda aussi qui pouvait bien financer tout ça. Elle poursuivit son chemin jusqu’à la cuisine, où elle retrouva sa mère.

Célestine avait revêtu un tablier par-dessus une très élégante robe de laine. Elle montrait à David, le jeune frère d’Étienne comment préparer une bonne pâte sablée. Du bout des doigts, elle usait de sa magie pour séparer les blancs des jaunes. Réservant les blancs pour une mousse au chocolat et des tuiles aux amandes, elle travaillait ensuite les jaunes, les blanchissant au sucre avant de les incorporer à la farine et d’y ajouter le beurre.

- Parfait, dit-elle. Maintenant, il n’y a plus qu’à laisser reposer deux heures.

Puis la fée leva les yeux et lança un sourire à sa fille. Églantine, sa valise entre les mains, l’embrassa. Célestine avait un sourire jusqu’aux oreilles.

- Ma chérie… Tu as fait un bon voyage ?

­ Ouais. Pratique cette nouvelle ligne de TGV, on gagne beaucoup de temps. Par contre, c’est gentil de m’avoir payé le billet. C’est hors de prix !

- Tu pensais sérieusement que j’allais te laisser passer Noël seule à Paris ? Quel genre de mère je suis, pour toi ?

Églantine sourit, et vint se blottir contre sa mère.

- La plus merveilleuse des mamans.

Touchée, Célestine lui passa la main dans ses longs cheveux bruns. Quand elle croisa le regard d’Églantine, elle remarqua ses yeux humides, dépassés par l’émotion. De nouveau, elle posa ses mains sur ses joues et essuya ses larmes avec les pouces. Puis les deux fées échangèrent un sourire.

- Tu arrives pile au bon moment. On vient de finir la pâte à sablés. J’allais proposer du thé.

La cuisine était traversée, çà et là, par des trains électriques. Leur direction était indiquée, ce qui permettait de savoir quand charger une voiture ou non. Suivant l’une des deux voies ferrées, les deux fées prirent chacune une tasse de thé et arpentèrent le manoir. Églantine, les deux mains prises avec sa tasse de thé, s’arrêta devant le sapin de Noël. Fidèle à la tradition, elle posa une boule sur le sapin. Elle était devenue assez douée pour la télékinésie, et put la placer délicatement sur une des branches les plus hautes. Le hall central avait un sapin qui mesurait près de 4 m de haut. La jeune fée posa une boule bleu nuit sur une des branches les plus hautes.

- Il est immense, ce sapin ! S’étonna Églantine. Étienne a dû se ruiner.

- Penses-tu. Il l’a pris dans le parc. Il va le remettre en terre après la fête.

- Et le reste ? La tente ? Ça doit coûter une fortune aussi.

- Oui… Je suppose. Mais il n’a pas payé. Un de ses amis qui travaille dans l’événementiel lui a prêté le matériel. Tout le reste aussi, ce sont des prêts, principalement des enchanteurs.

- Ils sont nombreux, cette année.

- Oui. Mais ce qui change, c’est qu'ils mettent la main à la pâte, eux aussi.

- Comme toi ?

- Hein ? Ah oui… Les sablés… Oui. Comme moi.

Célestine eut un sourire. Églantine le lui rendit. Une voix retentit derrière elles.

- Églantine ! Content de te voir arrivée. Tu as fait bon voyage ?

La jeune fée se retourna. Étienne portait un long manteau rouge. Il portait un costume trois pièces rouge et une cravate. Il embrassa la jeune fée, tout étonnée de voir cet homme si enthousiaste.

- Je suis tellement content que vous soyez là toutes les deux. Et tellement content que vous n’ayez pas à choisir entre nous et les lutins.

- Étienne ? Ça va ? Vous avez l’air très enjoué, s’étonna Célestine.

- Si ça va ? J’ai eu un SMS de Marko. Il suit la transhumance des rennes. Ils sont en Belgique actuellement.

- En Belgique ? s’étonna Églantine. C’est loin ?

- Pour des rennes ordinaires, oui, dit Célestine. Mais ce sont des rennes de Noël. Ils volent.

- Et ça les fera arriver plus vite ?

- Oui, dit Étienne. Ils arriveront dans la nuit. On va pouvoir commencer à sortir les traîneaux.

- J’ai bien fait de vous dissuader de les vendre, n’est-ce pas, Étienne ?

L’héritier du Père Noël regarda Célestine et lui sourit.

- Oui, Célestine. Vous aviez raison. Mais vous le saviez déjà.

Dans la nuit du 23 au 24, Étienne était incapable de trouver le sommeil. Il ne dormait que d’un œil. Mais il n’était pas le seul. Puis un bruit se fit entendre. Certains enchanteurs, bien décidés à poursuivre les préparatifs jusqu’à une heure avancée de la nuit, continuaient, sans relâche, à préparer les festivités.

À travers la fenêtre de sa chambre, Étienne vit passer des lumières. Il alla vers la fenêtre. Et là, il comprit. À travers les persiennes, il vit des cervidés en train de voler. Ils n’étaient pas à la queue leu leu, comme un attelage. Ils étaient beaucoup plus libres. Mais tous suivaient un même plan de vol qui convergeait vers la même direction.

Des clameurs se firent grandissantes. Il avait beau être 4h00 du matin, bon nombre de personnes étaient debout pour accueillir les rennes. Celles qui dormaient jusque-là avaient cessé de le faire.

Célestine et Églantine, en robe de chambre, ouvrirent leur fenêtres pour contempler le spectacle. Un troupeau de rennes était bel et bien en train de voler dans les cieux. Le ciel, de nouveau dégagé, permettait de contempler pleinement le spectacle. Les deux fées contemplèrent le spectacle ébahi. Elles descendirent dans la cour, avec un manteau par-dessus une robe de chambre, et retrouvèrent Étienne, qui n’était guère plus habillé qu’elles. Il piaffait d’enthousiasme.

- Ils sont venus, criait-il, fou de joie. Ils sont venus !

Les rennes se dirigèrent vers lui, tous lui tournèrent autour, mais aucun ne semblait prêt à s’arrêter. Parmi les personnes encore debout, il y avait quelques-uns des Pères Noël réintégrés. Les rennes, désormais dans les prés, commencèrent à se disperser.

Parmi les Pères Noël, beaucoup se dirigèrent vers les clôtures, et les rennes, spontanément, commencèrent à se déployer. Les badauds observèrent qu’à chaque fois, un groupe de six se constituait et affluait vers un Père Noël en particulier.

- C’est ce que je te disais, dit Célestine. Les rennes ont un lien particulier à chaque Père Noël.

- Oui. Je vois ça. Et ils vont vers eux de leur plein gré.

Passé l’enthousiasme, certains retournèrent dormir, d’autres, sans transitions, retournèrent au travail. L’urgence, désormais, était de préparer les traîneaux. Il y en avait plusieurs centaines à atteler. C’était un vaste troupeau de rennes qui était venu. Chaque Père Noël s’occupait du sien, et une fois les traîneaux attelés, tout le monde contribua à les charger de cadeaux en tous genres.

Étienne Noël, maître de cérémonie, dut retourner aux préparatifs. Le temps que tout fût près, il était déjà 16h00, et le gros des invités arriva.

En réalité, nombre d'entre eux était déjà présent avant, pour apporter leur aide. Désormais, les lutins faisaient partie intégrante de la fête, et avait réussi à en imposer leur vision. Les plus aristocratiques des enchanteurs, ce soir-là, seraient donc logés à la même enseigne que le plus nécessiteux ou le plus malheureux.

Ce soir, chaque convive, indépendamment de sa classe sociale, mangerait à sa faim, serait entouré de générosité et d’amour, et dormirait au chaud.

Dans ce grand bal de Noël, l'enthousiasme était partagé par tous. Célestine et Églantine avaient participé à un enchantement puissant. Chacun serait vu pour ce qu’il avait de meilleur en lui-même. Célestine, malgré sa taille modeste, en imposait par son charisme. Églantine, elle, brillait par son esprit, son sens de la répartie et sa capacité à s’émerveiller.

Au détour des festivités, elles aperçurent Daniel Lenoir. Il était méconnaissable. Loin de son costume gris austère, l’homme commençait à se laisser pousser les cheveux. Il portait toujours ses lunettes, mais celles-ci étaient plus fantaisistes. Son costume, bien qu’élégant, était dans une couleur moins classique, en vert bouteille. Au lieu des sempiternelles cravates monochromes, il portait un nœud papillon bleu marine, orné de flocons de neige.

En croisant Célestine, il lui sourit.

- Bonsoir Célestine.

- Bonsoir, M. Lenoir, répondit la fée sur un ton poli, mais circonspect.

- Vous vous demandez comment m'aborder ?

- J’ai ma petite idée. Étienne vous a reclassé ?

- Oui. Je vous en ai beaucoup voulu à l’époque où la banque Dreyer a été mise en faillite. Je me suis retrouvé au chômage.

- Vous faisiez un travail nuisible, Daniel. Sans vouloir vous offenser.

- Vous ne m’offensez pas. C’est vous qui aviez raison. Depuis le début. J’ai été aveuglé par l’appât du gain. Tellement obsédé par ma carrière que je suis passé à côté de l’essentiel. Étienne m’a rappelé pour me proposer du travail. J’avais un crédit à rembourser. Je n’ai pas réfléchi longtemps.

- Vous n’êtes pas trop en panique devant toute cette débauche de moyens ?

- Si, un peu. Mais bon… Ce n’est pas seulement le groupe Noël qui dépense. C’est un peu nous tous. Vous, moi… Et au fond, est-ce que ce n’est pas un peu ça, finalement, l’esprit de Noël ? Un peu de partage et de générosité ?

- J’ai du mal à vous reconnaître, Daniel, dit Célestine.

- Moi aussi, j’ai du mal à me reconnaître. Amusez-vous bien, conclut-il en levant sa flûte de champagne.

Les deux fées levèrent leurs flûtes à leur tour. À 20h30, le dîner de Noël commença. Célestine et Églantine se retrouvèrent à la même table que Norbert et sa famille. Le repas fut fastueux, mais au-delà de la débauche de moyens, tout cela avait quelque chose de magique. Les grandes tables en bois massif, les sculptures de glace, le parquet, les lustres suspendus sous le chapiteau, le plafond étoilé, brillant de mille feux, les espaces isolés, les petits salons, les tablées en comité réduit, où on pouvait profiter d’un moment de silence, malgré l’afflux continu de convives sur les allées, elles-mêmes soulignées par un chemin de lumière.

À 22h30, le bal en tant que tel commença. Étienne et son épouse commencèrent à ouvrir le bal, sur un air de Casse-Noisette. Églantine dansa plus qu’à son tour avec Mathieu. Celui-ci se révéla d’ailleurs un excellent cavalier.

Puis à minuit vint l’heure de distribuer les cadeaux. Étienne prit la parole. Avec sa barbe de plus en plus fournie, il ressemblait beaucoup à son père, en blond. Pour assumer le rôle du Père Noël, tout en assumant ne pas être comme son père, il avait revêtu par dessus son complet rouge un manteau d’hiver de la même couleur, avec un col de fourrure, ainsi qu’une chapka.

- Mes chers amis, dit-il, je suis heureux de vous voir tous réunis ici pour la résurrection de Noël. Je suis conscient que depuis la mort de notre père, votre foi en cette merveilleuse fête a été mise à rude épreuve.

Je n’irai pas par quatre chemins. Je suis pleinement conscient de ma responsabilité dans cette situation et je vous demande pardon, à tous et à toutes. Notre père, Nicolas Noël, avait mis des siècles à trouver son style. Je ne pouvais pas espérer trouver le mien en un an, ou même en dix. L’époque a changé, et conscient de cet état de fait, j’ai écouté les représentants d’une banque, obsédés par le profit.

Ce que je n’avais pas compris, c’était le fait que Noël n’était pas une marque déposée. C’est devenu un symbole, qui appartient à chacun et chacune de vous désormais. En tant que fils aîné du Père Noël, j’avais une responsabilité particulière : faire vivre son esprit de Noël, par-delà la mort.

Je m’étais centré sur le fait de faire vivre une entreprise, en oubliant tout ce qu’elle représentait pour tant et tant de monde. Pour mon père, quand il était encore parmi nous, pour ma famille, et notamment pour ma mère, pour les lutins qui, pendant tous ces siècles, sont restés aussi dévoués envers nous. Et bien sûr, pour vous tous, enchanteurs ou non, riches ou modestes.

Noël, c’est d’abord un moment de partage, de don de soi, de générosité. Aveuglé par la banque Dreyer, j’avais complètement perdu cet aspect, et je me suis retrouvé renfermé sur moi-même, racorni. Si j’en suis sorti, c’est à plusieurs personnes en particulier que je le dois. Et je tiens à lever mon verre pour la remercier.

À Célestine, d’abord, la mémoire de mon père, qui m’a servi de boussole à une époque où j’avais complètement perdu mes repères…

Sur ces mots, Célestine, touchée sourit, cernée par les applaudissements. Puis Étienne poursuivit :

­ … À ma chère maman, qui malgré nos désaccords, a toujours fait preuve d’amour et de dévouement…

Anne-Marie, parfois surnommée la Mère Noël, eut aussi droit à une salve d’applaudissements.

- … À Norbert et sa femme, Géraldine, et avec eux, aux cohortes de lutins et d’ouvriers, qui ont su conserver l’esprit de Noël, quand moi-même je l’avais perdu, à Marko Koistinen, le gardien de notre maison originelle, en Laponie, qui m’a guidé jusqu’aux rennes, et qui m’a rappelé qui j’étais vraiment. Et bien sûr, je veux lever mon verre à vous, qui avez tous apporté votre contribution pour faire de ce dîner de Noël un moment extraordinaire. Si Papa vous voyait, tous autant que vous êtes, je pense qu’il serait heureux. Le groupe Noël devait nous revenir. Mais l’esprit de Noël, lui, appartient à tout le monde. Et notre groupe vivra à condition que nous, nous sachions nous en souvenir.

Odile et Alice Noël, présentes à ses côtés, commencèrent à présenter les cadeaux. Célestine et Églantine se virent offrir un merveilleux cadeau : une jeune chienne scottish terrier blanche. La jeune fée eut un coup de cœur immédiat pour l’animal. Après les suggestions de leurs convives, ils lui donnèrent le nom de Mélusine.

Il vint enfin l’heure de l’envolée des traîneaux. Tous les Pères Noël étaient sur le pied de guerre, prêts à partir.

Mais ils ne partaient pas.

Devant cette situation angoissante, Étienne commençait à paniquer. Il appela Marko.

- Koistinen ? entendit-il au bout du fil.

- Marko, c’est Étienne. Les rennes sont attelés mais ils ne partent pas. Vous avez une idée de la raison ?

- Pourquoi ne pas leur demander directement ?

- Vous pensez qu’ils vont me répondre ?

- Bien sûr, c’est toi, le Père Noël, maintenant, non ? Va à leur rencontre, et vois ce qu’ils te disent.

À moitié convaincu seulement, Étienne défila parmi les traîneaux attelés. Il constatait qu’il restait six rennes qui n’étaient pas attelés. Spontanément, ils se dirigèrent vers lui. L’un d’eux vint coller sa tête contre lui, affectueusement.

Étienne le caressa, il aperçut son mufle rougi par le froid. Et il comprit. Célestine et Églantine étaient sur ses talons. Il se tourna vers elles et leur dit :

- Je dois y aller avec les autres.

- Vous en êtes sûr ? demanda Célestine.

- Oui. Sinon, ils ne partiront pas. Norbert ?

- Monsieur ? répondit le lutin.

- Vous vous rappelez où est le traîneau de mon père ?

- Oui Monsieur. Mais il n’a pas servi depuis plus de cent ans.

- C’est un objet enchanté. Je pense que tout va bien se passer. Apportez-le moi.

Une demi-heure plus tard, un dernier traîneau était sur place, et d’eux-mêmes, les rennes vinrent se placer pour y être attelés. Étienne, déjà vêtu de son manteau, prit l’écharpe qu’il avait lui-même reçue en cadeau de la part de sa mère, et se tourna vers ses proches.

Il embrassa sa mère, Anne-Marie, qui lui dit :

- Ton père serait fier de toi. Vas-y, mon grand. On t’aime.

Ses frère et sœurs, à leur tour, le serrèrent dans leurs bras.

- Bon courage Étienne. On t’attendra pour le déjeuner demain. Rends-nous fiers.

Puis Étienne se tourna vers Célestine et Églantine.

- Je vous dois beaucoup, Célestine, Églantine.

- Les ressources pour prendre le relais, vous les aviez, il ne vous manquait plus qu’à les trouver, répondit Célestine.

Puis la fée lui tendit la main. Étienne la serra, puis sans crier gare, la fée lui donna une accolade.

- Félicitations, Étienne ! Maintenant vous êtes vraiment le Père Noël.

Puis Étienne Noël, sans attendre plus longtemps, s’installa dans le traîneau, puis commença à guider ses rennes. Ceux-ci avancèrent, puis prirent leur envol, le traîneau chargé de cadeaux derrière eux.

Et derrière ce traîneau, des centaines d’autres suivaient. Sous les yeux enthousiastes des convives.

La suite des festivités allait devoir se passer sans lui. Mais à sa manière, il serait avec eux cette nuit-là, avec son armée de Pères Noël.

Au manoir, la suite des festivités fut animée par Anne-Marie. Célestine et Églantine, heureuses avec leur chienne, étaient déjà prêtes à aller de l’avant.

- Maman ?

- Oui ma chérie ?

- Je repensais à l’époque où je me faisais charrier à l’école, parce que je croyais au Père Noël.

- Oui ?

- Finalement, ils avaient un peu raison quand même, quand ils disaient que c’étaient les parents ? Non ?

- En partie… C'était mon idée, la chienne, je l’ai susurrée à Étienne. J’ai aussi versé un gros chèque à l’ouverture du capital. La fête de Noël, c’est un peu à travers nous tous qu’elle vit.

- Mais du coup, à quoi sert le Père Noël ?

- Il incarne quelque chose, ma chérie. C’est celui qui nous invite à la fête, au don, à la générosité, à la joie. Étienne était passé à côté de ça, mais il l’a retrouvé. Et maintenant, il peut vraiment être le Père Noël.

- Mais il n’est pas si vieux.

- Non… Mais ça viendra un jour. Et en attendant, il a quand même repris le flambeau.

C’est ainsi, le 24 décembre 2011, que le Père Noël fit son grand retour. Avec lui, l’esprit de Noël revint s’ancrer dans tous les esprits.

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