Tout commença sur un minuscule îlot de sable à la lisière de l’océan. On pouvait le traverser d'un bout à l'autre en très exactement onze pas, avec comme mesure un pied taille 36, celui de Katy pour être précis. La jeune femme était arrivée le matin même, suite au naufrage du Splendide, le frêle esquif qui lui servait à voguer sur les flots impétueux. La barque avait hélas percuté quelques hauts fonds abrités juste sous la surface de l'eau et s'était échouée sur la minuscule plage de sable fin.

Son seul compagnon était un palmier, certes massif, mais à la conversation peu fournie. Rémy le cocotier, comme Katy l'avait prénommé, trônait donc au centre de Marianne, l'île également surnommée par ses soins. Elle avait besoin de nommer les choses, c'était comme ça. Tenez, il y avait aussi Sauvage, son fidèle coutelas à sa ceinture avec lequel elle avait coupé des feuilles de Rémy pour attirer l'attention d’une embarcation de passage.

Heureusement, le coin était quand même régulièrement visité. Marianne était généralement évitée, il fallait bien qu'un jour, quelqu'un s'y échoue !

Donc, Katy était seule résidente de Marianne, en compagnie de Rémy, blessé par Sauvage, et avec ce qu'il restait de Splendide échoué sur Donna, la plage de sable fin.

Vous suivez ?

Reprenons tranquillement. Katy avait la ferme intention de se sortir de ces onze mauvais pas taille 36. Elle était motivée et prête, scrutant avec attention les flots depuis plusieurs heures, quand enfin, ce qu'elle espérait s'offrit à elle.

Là-bas ! Une voile ! Elle était sauvée !

Sans attendre, elle agita deux des grandes feuilles vertes de Rémy, haut dans le ciel, en s'époumonnant du mieux qu'elle pu.

• Je suis làààà !!!

La voile finit par se diriger dans sa direction. Sauvée ! Elle s'affala sur Donna, heureuse. Dès qu’il fut à portée de voix, un habitant des îles la héla.

• Qu’est-ce que vous fichez ici, demanda-t-il en gardant un oeil sur les flots.
• J’étais sur Splendide, quand je me suis pris les frères Dorian et Molière en plein dans la coque !
• Vous n’êtes pas seule ?!

La barque louvoyait sur les faibles vagues, le marin tentait de rester attentif aux dires de Katy et à son chemin.

• Oui ! Ils sont droit devant vous !

Katy avait répondu d’un ton naturel en pointant un point devant son bâteau. Le pêcheur, du nom de Joris, cru qu’elle parlait d’autres survivants et se précipita donc sur… les récifs !

Dorénavant se trouvait sur Marianne la jeune Katy, en compagnie d’un Joris bougonneux, bras croisés sur le torse et pieds enfouis dans Donna. Il scrutait l’horizon à la recherche d’une autre embarcation pour le sortir de ce mauvais pas. Les restes de Splendide et de son propre barque, Fendeur, avaient permis de doubler la surface de Marianne grâce au travail de Sauvage et avec le soutien involontaire de Rémy.

Le soleil finit par se coucher, les ombres s’allongèrent paresseusement quand Joris se résigna à rejoindre Katy qui allumait déjà un feu avec Raoul, trouvé sur Fendeur. Elle y faisait cuire Lario et Muigi, deux poissons brillamment attrapés dans l’après-midi.

Ils mangèrent à la lumière des étoiles. Katy semblait joyeuse d’avoir quelqu’un à qui parler, elle dont on fuyait la compagnie. Elle n’en finissait pas de raconter sa vie au pauvre Joris qui tentait d’assimiler qui était quoi.

• Je te jure, Margaud m’a seulement proposé quatre Romain en échange de ma Gertrude ! Je suis donc allé ailleurs dans l’espoir de trouver un meilleur acheteur, et c’est comme ça que je suis tombée sur Marianne à cause des deux nigauds là. Molière, j’aurais pu l’esquiver, je pense, mais Dorian… impossible, à croire qu’ils s’étaient délibérément placés ainsi !

La nuit passait, lentement. Joris finit par l'assommer d’un bon coup contre le tronc de Rémy pour avoir la paix. Il se coucha, épuisé, se jurant de la baillonner et de fermement l’attacher à Rémy pour éviter qu’elle ne piège un autre voyageur.