Jean-Edouard (3ème partie)

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Mais ce vaillant sacrifice, tourné du mieux qu’il put à son avantage, ne lui permit de mener une vie à peu près normale que l’espace de quelques jours, à peine plus. Bien maigre sursit en fait, en regard du temps et de l’argent investit dans cette piteuse affaire ! Car assez vite, et il fallait sans nul doute s’y attendre, le simple foulard ne suffit plus. La tumeur grossissait toujours, grossissait sans cesse, jusqu’à devenir impossible à cacher aux autres plus longtemps. Elle pendait, lamentable, à la racine du cou, et bien malin celui qui serait maintenant capable de proposer une solution susceptible de la voiler au reste du monde.

Planté devant son miroir, Jean-Edouard observait maintenant son malheur d’un air dépité. On était très, très éloigné de la piqure de moustique des premiers jours, maintenant on voyait clairement une… une chose, comment appeler ça autrement ; une espèce de truc fin à sa base et qui enflait sur l’autre bout, un peu à l'image d'une ampoule électrique. En plus, comme s’il y avait vraiment besoin de rajouter à l’horreur, on aurait dit qu’un gros bouquet de poils commençait à pousser sur le sommet, hirsutes, d’une taille et d’un volume allant toujours croissants. C’était à en perdre la raison.

Envahi d’un sentiment où se mêlaient subtilement refus, colère et désespoir, définitivement usé par cette bataille qui s’avéra, au final, totalement stérile, Jean-Edouard se résigna à retourner sur le champ parler un peu plus sérieusement de ce problème, devenu majeur au fil des semaines, à son docteur attitré. Après tout il était maintenant largement temps que ce maudit disciple d’Hippocrate dise haut et fort ce qu’il cachait au fond de lui, et Jean-Edouard se fit la promesse qu’il ne le laisserait pas en paix avant qu’il n’ait lâché le morceau…

Et c’était reparti pour un tour ! Scanners, examens ; on tourne, on retourne, on inspecte ; on classe les nouveaux clichés, on les range à la suite du joli dossier jaune puis on dit, d’une voix gorgée d’assurance:

— Ce n’est rien.

Àces mots Jean-Edouard se vit comme subitement vidé de son sang. Il sentit une puissante poussé d’adrénaline qu’il ne put, hélas, complètement réprimer, Mais… Mais, enfin ! Docteur! Merde à la fin !... Si... si vous me permettez cette digression un brin cavalière… Le Docteur ne se laissa pas impressionner le moins du monde, il en avait entendu bien d’autre durant sa prestigieuse carrière, Ne vous inquiétez pas Monsieur Jean De L’Edouard, j’ai presque trente ans de pratique et je peux vous assurer que je connais bien mon métier. Vous pouvez me faire confiance. Si je vous dis que ce n’est rien, c’est que ce n’est rien !

Voyant toujours le doute briller dans les yeux de son patient, le docteur, presque agacé, s’abaissa à ouvrir quelques livres, à contre cœur, et parla beaucoup, beaucoup, en cherchant les mots qui puissent porter. Et il en ressortit que la chose était définitivement claire, preuves à l’appui : le cas présent n’existait dans aucun de ses manuels renommés donc, de toute évidence, son patient n’avait effectivement rien. On ne pouvait être plus explicite. Moyennement convaincu et complètement lessivé, Jean-Edouard s’inclina. Il demanda timidement un arrêt de travail qui lui fut accordé sans discussion, puis paya le spécialiste érudit avec sa carte JPMorgan Palladium, avant de s’en retourner chez lui, un brin décontenancé, il fallait bien reconnaître.

Une semaine passa encore ainsi. Puis un matin, alors qu’il se coiffait devant son miroir, quelle ne fut pas sa surprise de voir deux yeux commencer à se dessiner sur sa tumeur ! Ainsi qu’une bouche, un nez… et… et même des oreilles! Une chose pareille était-elle Dieu possible ? Sentant la panique frapper aux portes de son esprit, Jean-Edouard courut illico montrer cette ignominie à sa femme. Il la trouva dans le salon, en plein repassage, la mine renfrognée devant les images de vibromasseur facial que Téléachat proposait à une gent plutôt féminine, avec un code promotionnel destiné à faire flancher les plus réticentes d’entre elles. En l’apercevant, Mathilde sursauta, Oh Mon Dieu!, presqu’au point d’en lâcher son fer des mains. Comprenant qu’il ne s’agissait que de son mari, elle se ressaisit aussitôt puis, marmonnant, reprit son exercice à l’endroit exact ou elle l’avait arrêté, Non mais franchement, je rêve… Comme si j’en avais pas assez d’un à la maison!

Cette fois Jean-Edouard se permit d’insister un peu. Il savait qu’il avait raison, qu’il était de bonne foi, et en cette heure rien ni personne n’aurait pu le faire taire, Mais enfin tu vois bien qu’il se passe quelque chose de pas normal, quand même! Allez, lâche un peu ce maudit ustensile ménager et accorde-moi quelques secondes d’attention ! Regarde un peu ! Regarde-moi ça ! Une tête, Mathilde, une tête ! Quand même, merde, ça ne pousse pas comme ça, non ?

Mathilde posa nerveusement le fer dans son logement, et se tourna lentement vers son mari avec un regard sévère, Ah Jean-Edouard ! Mon pauvre Jean-Edouard… Bon sang, mais quand cesseras-tu donc de te rendre intéressant ! Il faut toujours que tu ramènes tout à toi, il faut toujours que tu sois le centre du monde !... Tu payes la peau du cul un docteur pour qu’il pose un diagnostique mais non, monsieur est plus intelligent que tout le monde, monsieur est seul à décider de ce qui est grave ou non… avec humeur, elle arracha une nouvelle chemise de son panier de linge, franchement, tu es désespérant, et reprit son travail interrompu avec une rage à peine dissimulée. Non mais, pour qui il se prenait celui-là, avec ses grands airs de serpent à deux têtes.

Ce fut le lendemain même, dès le réveil, que les choses prirent vraiment mauvaise tournure...

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