57. En attendant mieux

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Joy

— Elle n'arrête pas de le coller, c'est fou !

Sarah observe Alken en train de déjeuner avec Jenny et j'avoue que j'ai du mal à ne pas avoir l'œil posé sur eux également. Dire qu'il peut dîner avec elle alors que nous n'arrivons pas à nous voir. Ça me frustre. Ça m'agace. Ça réveille indéniablement ma jalousie.

— Mon père a une meuf, il s'en fout de Jenny.

Kenzo, silencieux jusqu'à présent, intervient et c'est un mélange d'émotions qui m'assaillent. La satisfaction, tout d'abord, puisque la meuf, normalement, c'est moi. Et surtout la culpabilité, parce qu'il n'a aucune idée de qui est la nana en question. J'ai envie de me gausser, presque de me vanter d'être la nana en question, juste pour faire taire toutes ces foutues groupies du fameux Alken O’Brien. Mais je suis certaine que cela aurait l'effet inverse. S'il se tape une élève, pourquoi pas les autres, après tout ? Pourquoi a-t-il fallu que j'ai un crush sur LE prof qui fait apparemment fantasmer toutes les femmes à la ronde ?

— Qu'est-ce que tu sais sur cette nana ? demande Sarah. Tu l'as déjà rencontrée ? Si la pauvre savait qu'il drague à tout va.

Elle le sait. Enfin, elle sait surtout qu'il est dragué à tout va, c'est clair. Pour le reste, elle espère qu'il ne fait pas une crise de la quarantaine suffisamment prononcée pour vouloir s'assurer qu'il séduit toujours, voire se taper toute chatte prête à le recevoir. Et que cette même crise de la quarantaine ne le pousse pas à se taper une jeune pour se prouver qu’il est encore séduisant, capable d’assurer au lit, et tout le tintouin. En même temps, qu’est-ce que j’attends de cette relation, au juste ? Qu’est-ce qu’elle va m’apporter ? Nous ne posons même pas de mots sur ce que nous vivons ensemble, et à chaque fois que nous nous voyons ou presque, c’est pour coucher ensemble. Donc, sex-friends ? Parce qu’à part le sexe et la danse, nous partageons très peu de moments que l’on pourrait associer à un couple.

— Pas grand-chose, si ce n'est qu'elle porte des jolis sous-vêtements qu'elle laisse traîner.

Je suis à deux doigts de lui dire que s'il arrêtait de nous déranger, je ne laisserais pas traîner mes culottes dans le salon, mais je me retiens in extremis et plonge le nez dans ma salade.

— Au pire, il fait sa vie, non ? marmonné-je. Qu'est-ce que vous avez toutes, sérieux ? On parle de lui à chaque fois qu'on déjeune ensemble, quand ce n'est pas dans les vestiaires avant et après son cours. Donc, on parle de lui tous les jours en fait. Il faut arrêter de focaliser sur O’Brien père.

— Ben il est trop beau, soupire Jasmine. Et jusqu’à ce que Kenzo nous dise le contraire, on le pensait célibataire. Moi, je vous l'avoue, je m'imagine bien serrer son joli petit cul entre mes mains ! Mais là, je crois que c'est l'américaine qui va en profiter. Je les ai entendus parler en anglais et l'accent d'Alken est trop chou.

Je confirme. Pour l'accent. Et encore, elle ne l'a pas entendu parler pendant l'amour. Et je crois que je vais vriller si la blondasse américaine pose ses sales pattes sur lui. Je pense n'avoir jamais été aussi jalouse de ma vie. Ça m'énerve. Il m'énerve, en fait.

— Il fait bien ce qu'il veut, soupiré-je en regardant l'heure sur mon téléphone. Tant qu'il est à l'heure pour notre répétition, c’est tout ce qui m’importe, personnellement.

Menteuse. Mais je la joue détachée, il le faut bien. J'en profite pour le déverrouiller et envoyer un message au professeur qui semble bien occupé avec l'américaine.

— Au cas où tu l'aurais oublié, nous répétons dans vingt minutes. Désolée de t'arracher à tes occupations.

Alken regarde son téléphone lorsqu'il vibre sur la table et un sourire se dessine sur ses lèvres en le prenant. Satisfaction. Oui, oui.

— Vous devriez arrêter de fantasmer sur mon père. C'est un vieux quand même. Et puis c'est votre prof, poursuit Kenzo.

— C'est vrai, intervient Émilie. Moi, je préfère les jeunes. Et de beaucoup ! minaude-t elle en le regardant.

— Il y a quand même une expérience non négligeable avec un homme plus mûr, ne puis-je m’empêcher de dire en souriant.

— Joy, tu as déjà couché avec des vieux, toi ? demande Sarah, curieuse.

— Pas avec "des" vieux, avec un déjà. Enfin, il n’est pas si vieux que ça. Mais je t'assure que ça vaut le coup, lui dis-je en sachant très bien qu'elle rêverait de se taper Alken. Lui, en tous cas, y a pas photo.

— Vous pensez qu'au sexe ou quoi ? Je vous ai dit que mon père avait une meuf. C'est pas le genre à courir plusieurs lièvres à la fois. Et comme l'a dit Émilie, il y a des jeunes qui sont disponibles. Moi, je vous le dis, je suis open à tout. Je n'ai pas forcément l'expérience de mon père, mais il paraît que j'embrasse divinement. A bon entendeur… finit-il en s'éloignant avec son plateau.

— Je crois que tu devrais tenter ta chance, Émilie, intervient Jasmine avec le sourire alors que je peux voir du coin de l'œil Alken se lever. Merde, le prof vient vers nous !

Qu'il est beau, qu'il est séduisant ! Il en impose et les yeux se tournent presque tous dans sa direction à son passage. Agaçant, encore une fois… Mais c'est devant notre table qu'il se plante et ses beaux yeux croisent les miens.

— Joy, tu viens ? commence-t-il en ignorant les autres. On a une répétition et il faut qu'on aille se mettre en tenue. Je ne voudrais surtout pas être en retard.

Je me lève et souris sous le regard jaloux de mes camarades qui ne vont certainement pas se gêner pour dégoiser sur mon dos une fois que j’aurai quitté la pièce.

— Je vous attends dans la salle, déclare Sarah qui doit assister à notre répétition. A tout de suite.

J’acquiesce et vais déposer mon plateau alors que le beau professeur m'attend à l'entrée de la cafétéria, puis le rejoins rapidement en enfilant mon manteau.

— Elle est sympa, Jenny, lui dis-je alors que nous prenons le chemin du bâtiment D dans le froid de janvier.

— Elle a une culture impressionnante, surtout. On se partage un vestiaire ? me demande-t-il, les yeux brillants.

— Bien sûr, avec Sarah qui doit débarquer ? Tu veux qu'on se fasse virer dans la journée ? soupiré-je, bien que la proposition soit tentante.

— Elle a dit qu'elle attendrait dans la salle… Mais oui, tu as raison. C'est trop risqué. Il faut qu'on arrive à se voir, Joy. Tu me manques trop.

— Je vais voir avec Roan pour prendre une soirée, ou finir plus tôt, mais… Enfin, il m’a sortie de la galère à une époque, je ne veux pas trop le lâcher, tu comprends ?

— Oui, je comprends que tu fais tout pour ne pas me voir, Joy. Tu me diras quand tu seras décidée, soupire-t-il, résigné.

— Que je… Hein ? Tu es sérieux, là ? Alken, je te signale, juste au passage, que je passe mes journées ici à danser et que j’enchaîne sur mes soirées au bar pour aider mon patron qui a un bras en moins, m’agacé-je en m’arrêtant au beau milieu de l’allée, piquée par sa remarque. Excuse-moi d’être super crevée, de vouloir faire attention à mon hygiène de vie et de m’effondrer à peine rentrée chez moi ! Et puis… Merde, tu veux qu’on se voie où, au juste ? A l’hôtel pour tirer un coup ? Je te jure que je vis mal ces propositions, manquerait plus que tu me laisses un billet sur l’oreiller ou que tu me vires de la piaule après l’avoir glissé dans mon soutif, putain.

Je reprends ma marche en direction du bâtiment, le laissant derrière moi alors qu’il s’était arrêté pour m’écouter débiter mon monologue. Comme si je faisais tout mon possible pour ne pas le voir, il est fou lui ou quoi ?

— Eh, Joy ! m’appelle-t-il en accélérant le pas pour me rattraper. Excuse-moi, je ne voulais pas te froisser. C’est juste que j’ai envie de plus et que là, je ne peux pas. Cela me rend fou. Tu crois qu’on pourrait se confier à Kenzo ? Cela nous simplifierait les choses, non ?

— Je… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Enfin, j’ai vraiment peur qu’il réagisse mal, soupiré-je. Quand je vois comment il peut être quand les filles parlent de toi… Mais peut-être, je n’en sais rien…

— je ne vois pas d’autre solution si on veut avoir une vie normale… Mais tu as raison, je ne sais pas comment il réagirait. Et s’il en parle à sa mère ou à quelqu’un à l’école, ce serait dramatique pour nous deux. Joy, pourquoi tu n’es pas restée que serveuse ? La vie était simple en ce temps-là.

— J’avais trois boulot à cette époque-là, il n’y a que pour nos petites nuits de plaisir que c’était plus simple pour moi, ris-je. Je vais voir avec Théo pour qu’il me remplace un soir de la semaine prochaine, mais je n’accepte l’hôtel que si on se fait un restau, un ciné ou je ne sais quoi avant.

Peut-être que j’abuse et que je demande trop ? Je ne sais pas, j’ai l’impression de marcher sur des œufs dès qu’on sort d’une simple relation de cul. Il va vraiment falloir qu’on prenne le temps de discuter de ce que l’on attend de ce truc entre nous. Si j’ose aborder le sujet à un moment.

— Et si on se faisait ça à Bruxelles ? On y est vite et là-bas, aucun risque de tomber sur quelqu’un qui nous connaît. Ça te dirait ? Je prends tout à ma charge, bien sûr, sauf si tu insistes pour payer ta part. Mais j’ai un salaire, moi, ce serait normal que je paie plus.

— J’insiste quand même, marmonné-je. Et je ne dis pas non à Bruxelles. L’idée me tente bien, si c’est avec toi.

— Parfait, alors. Mais avant Bruxelles, il va falloir travailler notre salsa et ne pas craquer devant Sarah, répond-il tout sourire.

— Elle saoule, elle, soupiré-je en entrant dans le bâtiment. On ne peut même pas danser tranquille.

Je regarde autour de nous pour vérifier qu’il n’y a personne et l’enlace pour poser mes lèvres sur les siennes. C’est un baiser rapide, mais tout ce qu’il y a de plus agréable. C’est trop court, trop peu, mais tout ce que l’on peut se permettre. Alors, à défaut de pouvoir nous exprimer librement dans la “vraie” vie, nous allons une nouvelle fois profiter de la danse pour que nos corps se trouvent et se parlent. A défaut d’avoir davantage, il va falloir nous contenter de cela, pour le moment. Je pense, et j’espère surtout, que Théo va bien vouloir me remplacer au Nouveau Départ. Il me suffira de lui dire partiellement la vérité. Il ne peut pas me priver d’une nuit de sexe avec mon comptable, après tout !

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