29. La Salsa du désir

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Joy

Je remets mon pantalon de jogging par-dessus mon legging et ma veste en pestant mentalement. C’est la poisse. Vraiment trop la poisse. Elle ne pouvait pas débarquer après le concours, la secrétaire cochonne ? Parce que niveau complicité, on vient de faire une chute libre et ça pue pour le concours.

Alken m’attend patiemment et nous rejoignons Théo et Kenzo dans le grand hall du théâtre dans un silence pesant. La tête de mon colocataire ne me dit rien qui vaille, et je sais qu’il me connaît assez bien pour savoir que quelque chose cloche, même si je doute qu’il puisse une seule seconde imaginer la réalité des choses.

— Verdict ? soupiré-je en m’asseyant sur les marches à leurs côtés.

— Ça ira mieux ce soir, ce n’était qu’un entraînement, émet Théo qui cherche à nous rassurer.

— Papa, tu es sûr que tu veux pas laisser ta place à Théo ? demande son fils qui ne fait pas preuve de la même diplomatie. Là, on dirait que tu fais peur à Joy. Franchement, t’assures pas.

— C’est pas si terrible que ça, arrête, marmonné-je en jetant un œil à mon partenaire qui fusille son fils du regard en s’asseyant devant nous. On y est allé mollo, il ne faut pas trop fatiguer le grand-père quand même.

— Le temps d’octobre n’aide pas pour trouver le ton caliente nécessaire… Et le grand-père fait ce qu’il peut, mais la danse, ça se fait à deux. Là, on n'était pas dedans. Il nous reste quelques heures pour nous y remettre.

— Peut-être que vous devriez tirer votre coup ensemble. Elle est sensuelle cette chanson, ça aiderait sans doute, s’esclaffe Théo alors que je manque de m’étouffer.

— Dis pas de conneries, s’indigne Kenzo. Il pourrait être son père ! Et en plus, c’est son prof, tu dis n’importe quoi.

Je jette un œil à Alken, particulièrement silencieux. Nul doute que les mots de son fils lui tournent en tête comme ils le font pour moi. Certes, la différence d’âge est bien présente, mais nous sommes au vingt-et-unième siècle, il y a bien longtemps que ça ne devrait plus choquer, ce genre de choses, non ? Surtout quand on étudie un peu l’histoire et les mariages des siècles précédents.

— Ça va le faire, j’en suis sûre, dis-je avec aplomb. On va rentrer, se reposer, manger un bout, et tout ira bien. J’y crois, je crois en nous.

Sur la danse, tout du moins. Pour le reste, on en est loin.

Seize heures trente, nous sommes revenus sur place. Cette loge est minuscule. C’est tout ce que j’arrive à me dire à cet instant alors que je me maquille devant une petite coiffeuse et que mon partenaire de danse se déshabille derrière moi. Malgré tout, le grand miroir m’offre tout le loisir de le voir enfiler ce pantalon bleu marine très ajusté qu’il va porter et son torse nu qui appelle irrémédiablement chaque parcelle de mon corps.

Je sais que je dois garder en mémoire ces émotions, ces envies, mais chaque fois que je croise son regard, je me remémore avec quel aplomb il m’a menti dans ce bar, et je me dis qu’il peut en faire de même quand bon lui semble. C’est ça, le pire au final : je n’ai plus confiance. Peut-être qu’il n’est pas avec Marie et qu’il ne me ment pas, mais tout me fait douter. Alors peut-être vaut-il mieux lâcher l’affaire et se contenter d’une relation basique entre un professeur et son élève.

Je récupère mon téléphone qui vibre, posé sur la coiffeuse, et lis les messages d’encouragement de mes amis. Un sourire s’imprime sur mon visage et je constate qu’Alken a l'œil curieux.

— Quoi ? Tu veux lire les messages coquins de Markus ? lui demandé-je en lui tendant mon téléphone.

— Il t’écrit même si tu lui as posé un lapin hier soir ? me demande-t-il, amusé, sans toutefois regarder le téléphone.

— Oui, je lui ai dit que je devais m’occuper de mon grand-père, ça passe crème comme excuse.

— Bien, tant mieux pour toi. Tu pourras comparer comme ça, me répond-il, amer. Ne te gêne pas si ça te met dans le bon état d’esprit pour tout à l’heure.

Lui n’a clairement pas l’air dans le bon état d’esprit et, le regard un peu vide, il est en train de boutonner sa chemise blanche qui met en valeur ses pectoraux bien dessinés.

— Ça va, je plaisante, soupiré-je en me levant. Ce sont Théo et ton fils qui m’envoient des conneries pour me détendre Je ne suis pas une Marie-couche-toi-là. Enfin, j’insinue pas que Marie… Enfin, tu vois quoi ? Merde.

Je bafouille, mal à l’aise de ma bévue, et lui tourne le dos pour me déshabiller et enfiler ma robe, d'un violet assez tape à l'œil qui souligne mes formes par son côté moulant, son décolleté en V et ses bretelles, tout en mettant en valeur mes jambes nues.

— Tu veux bien… Enfin… Tu peux remonter la fermeture, s’il te plaît ? J'espère qu'elle n'a pas rétréci au lavage, pas dit qu’on nous autorise à recommencer si je tombe dans les pommes, ris-je alors que je le vois avancer à travers le miroir.

— Bien sûr, tu sais que j’aime prendre soin de ma partenaire. Et si tu tombes dans les pommes, tu connais le pouvoir de ma bouche pour raviver tes énergies, ajoute-t-il se plaçant derrière moi pour s'exécuter.

— Je rêve ou vous faites des allusions sexuelles à votre étudiante, professeur ?

— Mon nom est Smith. James Smith, énonce-t-il d’une voix grave qui réveille mes hormones.

— Et donc, votre super gadget, c’est votre bouche, Agent Smith ? ris-je en reculant suffisamment pour sentir son corps contre mon dos.

— Go, go, Gadjet au bisou, me répond-il, toujours aussi joueur en déposant ses lèvres dans mon cou alors que ses mains s’emparent de mes hanches.

Je penche la tête et ferme les yeux pour profiter de ce rapprochement, et tente de m’imprégner de cette envie qui se manifeste immédiatement au contact de Smith. Tout était tellement plus simple lorsqu’il n’était que Smith. Si Smith et moi avions dansé ensemble, nous aurions remporté ce concours haut la main, je crois.

Je finis par me retourner au creux de ses bras et m’empare de sa bouche avec empressement. Alken ne reste pas inactif bien longtemps. Passé la surprise, je sens ses mains agripper mes fesses et me presser tout contre lui alors que sa langue vient caresser la mienne. Elle est là, la sensation qui m’est nécessaire pour cette chorégraphie, juste là, contre son corps, alors que l’envie nous submerge tous les deux, que le besoin de ne faire plus qu’un se ressent dans chaque parcelle de nos corps.

Son regard enfiévré plonge dans le mien lorsque je me détache de lui, et je prends le temps d’essuyer sa bouche de mon pouce alors que mon rouge à lèvres a laissé une trace de mon passage.

— Essaie de ne pas te planter dans les pas, je te promets que de mon côté, le mood est le bon, là, souris-je.

— Joy, je te promets que moi aussi, je suis dans le mood. On va danser comme des rois et ensuite, je te fais oublier tout le reste.

Je ne relève pas sa dernière remarque, pas certaine de devoir lui dire que je n’ai aucune envie d’oublier alors que nous allons aller danser l’amour. Je prends le temps de remettre une couche de rouge sur mes lèvres alors qu’on vient nous chercher. Le stress se fait brusquement ressentir, mon ventre se tord durant le trajet qui nous mène jusqu’au bord de la scène. J’essaie de respirer profondément en faisant mes échauffements, mais j’ai du mal à me concentrer alors que j’ai réveillé mes hormones il y a peu et que le réveil n’est autre que mon partenaire de danse.

Nous montons sur scène dans un noir quasi complet et mes sens sont aux aguets alors que nous nous mettons en position. Je sens le torse d’Alken se coller dans mon dos comme il y a quelques minutes, et ses lèvres se posent une fois encore dans mon cou pendant que sa main gauche se pose sur mon ventre et que la droite noue ses doigts aux miens.

Je crois que j’ai bien fait de chercher le rapprochement, peu importe ce qu’il s’est passé. Lorsque la musique commence, j’ai l’impression de revivre nos séances d’entraînement tardives. Il n’y a pas tout un public qui nous observe, pas cinq personnes qui nous jugent et vont déterminer notre position dans le classement. Il n’y a que la musique, la danse et mon désir. Il n’y a qu’Alken et moi, que son corps qui appelle le mien. Nos pas sont assurés, justes et appuyés, nos yeux se trouvent systématiquement, nos gestes sont sûrs. Et nos corps se percutent délicieusement. Juste ce qu’il faut de passion, de désir, juste ce qu’il faut pour que je crève d’envie de lui, tout simplement. A défaut de faire l’amour dans le sens premier du terme, nous dansons l’amour, nous vivons l’amour et, à cet instant, peu m’importe le concours. Seuls comptent notre complicité, notre désir et nos pas qui s’ajustent l’un à l’autre. Je crois que mes hormones dansent avec les siennes et je pourrais gémir rien qu’en le sentant me surplomber, son torse contre le mien alors qu’il me renverse en arrière, sa cuisse entre mes jambes. Je pourrais gémir en sentant ses doigts frôler ma poitrine lorsqu’il me soulève pour le porté, ou lorsqu’il se presse derrière moi et que nous ondulons en rythme. Somme toute, danser avec lui me vaudrait presque un orgasme et je ne sais pas si je finis essoufflée par les quatre minutes de danse ou par l’overdose de stimulations sur l’ensemble de mon corps au contact du sien.

Je sens son souffle lourd sur mon visage lorsque nous terminons. Je suis une nouvelle fois renversée en arrière, et sa main, en bas de mes reins, me serre fortement contre lui alors que sa bouche est à quelques centimètres de la mienne. Dieu merci, les applaudissements qui viennent de la salle me rappellent que je ne dois pas craquer, parce que j’étais sans doute à un demi-doigt de l’embrasser à nouveau alors que la Directrice ainsi que plusieurs enseignants de l’école sont dans le public, tout comme certains de mes amis, sans compter le fils d’Alken.

Il me redresse délicatement et me sourit alors que nous saluons. Alken m’entraîne finalement dans les coulisses et nous retrouvons notre loge rapidement. Je me laisse tomber sur la chaise sans pouvoir arrêter de sourire. C’était fou, c’était tellement intense, tellement excitant, tellement… Les mots me manquent. Si seulement tout pouvait être beaucoup plus simple, nous pourrions danser et finir au lit, répéter et soulager toute cette tension qui s’accumule à jouer avec le feu. Parce que tout ceci a beau être puissant, terriblement naturel et sensuel, il manque quand même la petite mort à la fin.

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