38. Joy, entre père et fils

9 minutes de lecture

Bon Réveillon et Joyeux Noël à toutes et tous :)

En espérant que Santa Claus soit généreux avec vous ahah !

Prenez soin de vous.

_________________________________________________________

Alken

J’écoute Sarah qui vient de s’installer face à moi dans mon bureau. Elle ne s’est pas changée suite à son cours de danse classique et elle s’est donc présentée à l’entretien qu’elle a sollicité avec un justaucorps bien moulant. Elle a un peu la même morphologie que Joy et je n’arrête pas de m’imaginer que c’est la jolie brune que j’ai en face de moi et non sa camarade de classe aux cheveux blonds.

— Professeur, je suis venue vous voir car j’aimerais passer le concours royal belge de danse contemporaine en mars. Cela me permettrait de réaliser mon rêve, mais j’ai besoin d’aide.

— C’est très bien, ça, Sarah ! C’est un concours très réputé, tu as raison d’essayer ! Et comment souhaites-tu que je t’aide ?

— Est-ce que vous pourriez me donner des cours particuliers afin de me proposer un entraînement intensif ?

La façon dont elle papillonne des yeux, se penche en avant vers moi et insiste sur les mots “particuliers” et “intensif” ne laissent que peu de doute quant à ses intentions réelles.

— Tu sais que je n’ai pas beaucoup de temps, Sarah. Entre les cours ici, la préparation de mon spectacle, ma vie personnelle…

— Oh s’il vous plaît, Professeur. C’est le rêve de ma vie ! Je ferais tout ce que vous voulez ! s’exclame-t-elle en attrapant mes mains dans les siennes.

— Ecoute, Sarah, lui dis-je doucement en dégageant mes mains. Je vais y réfléchir, d’accord ?

— Merci ! Merci beaucoup Professeur ! crie-t-elle presque alors que je n’ai rien accepté de concret. J’espère vraiment que vous allez accepter ! J’ai déjà hâte de commencer !

Elle se lève et j’ai l’impression qu’elle est à deux doigts de contourner le bureau pour venir me remercier quand la porte s’ouvre, laissant place à mon épouse qui regarde la scène avec suspicion et jalousie. Sarah ne se fait pas prier et sort rapidement en nous saluant tous les deux.

— Tu sais, mon Chou, que ces petites jeunes ne seront jamais à la hauteur de ce que nous avons pu connaître tous les deux ? minaude-t-elle en venant se placer juste à côté de moi, sa main venant caresser mon bras. Je suis sûre qu’aucune d’elles ne pourrait te sucer comme je sais si bien le faire.

— J’ai signé mes papiers pour le divorce et j’ai tout transmis à mon avocat. Tu devrais bientôt les recevoir chez toi, Elizabeth.

Tout de suite, elle se raidit et se rétracte. Mes mots lui font l’effet d’une douche froide et je retrouve quasi instantanément l’expression à laquelle je m’étais habitué à la fin de notre relation : de la colère mêlée à du dégoût ou de la jalousie, difficile à réellement cerner.

— Bien, je vois que tu es toujours aussi borné, me dit-elle avant de sortir.

Je regarde l’heure et vois qu’il est déjà bientôt dix-sept heures. Kenzo m’a confirmé qu’il avait réservé une salle pour qu’on répète pour le spectacle de Noël. Je soupire car avec l’indisponibilité d’Enrico, j’ai dû accepter plus de demandes que d’habitude et c’est compliqué de trouver du temps pour toutes les sollicitations. Sans compter qu’il faudra aussi que je trouve du temps avec Joy pour revoir un peu notre chorégraphie sur la salsa afin de la proposer pendant le spectacle, Elise y tenant particulièrement.

Je passe aux vestiaires me changer et rejoins un peu en retard Joy et Kenzo qui ont déjà commencé la répétition. Ils sont tous les deux à terre quand j’arrive et j’ai l’impression qu’ils sont en train de se caresser. Alors que je vais intervenir pour leur dire de se calmer et d’avoir un peu de tenue, ils bougent en mouvement et je comprends que ça fait partie de leur chorégraphie. Qui a eu cette idée ? Et moi, pendant qu’ils font ça, que suis-je censé faire ? J’admire la fin de leur danse et apprécie quand je vois que tous les deux reproduisent le mouvement du sombrero que j’ai inventé et créé pour mon spectacle.

— Bravo ! applaudis-je quand la musique se termine.

— Oh, bonjour Prof, sourit Joy en allant chercher sa bouteille d’eau. Ravie de voir que tu te souviens de nous.

— Comment vous oublier ? C’est pas mal ce que vous faites, mais vous voyez comment ma participation à votre danse ? On dirait un morceau couple et pas trio.

— On a fait comme on a pu sans toi, Papa. L’idée c’est d’ajuster, maintenant que tu es disponible pour nous. Je suis sûr qu’on peut trouver des idées, et on est prêt à remodifier la choré pour t’inclure.

— J’espère bien, ris-je en m’approchant d’eux. Bon, l’important pour une chorégraphie réussie, c’est de raconter une histoire avec la danse. C’est comme ça que l’on pourra créer des émotions et les transmettre au public. Là, vous voulez raconter quoi ? De ce que j’ai vu, ça va être une histoire qui fait monter la température, non ?

— Oui, enfin on essaie. On est parti sur une histoire d’amour tragique… Peut-être qu’on peut virer sur un triangle amoureux, rit mon fils, nerveux.

— Ah oui, avec la jolie sirène qui hésite entre les deux mâles aussi beaux l’un que l’autre ! Parfait, expliquez-moi ce que vous avez en tête pour la chorégraphie.

Nous passons les quarante minutes suivantes à décortiquer la chorégraphie et à analyser mes mouvements afin qu’ils s’intègrent aux leurs. Plusieurs fois, je constate que mon fils est gêné par rapport à certaines positions qu’il doit adopter avec Joy. J’ai l’impression qu’il est dans la retenue et cela ne va pas le faire pour la chorégraphie.

— Bon, je pense qu’on est prêt à essayer. Par contre, Kenzo, il va falloir te lâcher un peu. Je te rappelle que c’est la femme de ta vie avec qui tu vas danser. Celle qui est en train de se faire voler par ton concurrent qui ne pense qu’à la mettre dans son lit. Il faut te battre et faire tout pour la séduire, sinon la chorégraphie va être déséquilibrée. Je peux te dire que moi, je vais tout faire pour être crédible, expliqué-je alors que mes paroles ne sont pas si figuratives que ça. Joy, prête à jouer la femme fatale ?

— Oui, oui, je suis prête. Ça fait des jours qu’on répète, on n’attendait plus que toi. N’hésite pas à nous dire si ça ne colle pas à certains endroits, j’ai l’impression qu’on manque parfois de profondeur, me répond-elle de manière très professionnelle, concentrée sur notre travail.

— Oui, s’il faut de la profondeur, je serai là, rétorqué-je de manière beaucoup moins sérieuse. En place.

Nous nous mettons en cercle et je lance la musique, Quatre mots sur un piano, avec Goldman, Fiori et Christine Ricol qui interprètent cette histoire que nous allons illustrer par notre danse. Dès le début, le regard que me lance Joy met le feu. Alors que mon cœur s’emballe, c’est un coup de poignard que je ressens quand elle adresse le même à Kenzo. Elle est entrée pleinement dans sa danse et je sens que ça va être compliqué de ne rester que dans l’interprétation professionnelle de ce morceau.

Nous commençons par nous tenir par la main et, tout de suite, je m’intercale entre Kenzo et la jolie brune. J’ai vraiment l’impression que la féline danseuse va me sauter dessus alors que Kenzo démontre son désespoir d’être mis à l’écart en exécutant des gestes grands et éloquents dans mon dos. J’attrape Joy par les épaules et l’attire vers moi, mais elle utilise cette énergie pour me contourner et se retrouver dans les bras de mon fils qui l’accueille avec un sourire ravageur. Il enchaîne alors plusieurs portés et mouvements avec elle et je ne peux que me contenter de leur tourner autour, mes mains se portant sur le corps de notre partenaire qui semble frissonner sous l'effet de nos caresses combinées.

Nous continuons ensuite la danse qui gagne en intensité et en sensualité avec Joy qui virevolte entre nous, ses deux hommes, qui semblons lutter sans jamais nous toucher. Seule Joy crée du lien entre nous, ce qui fait monter la tension globale. Lorsque je l’attrape et la fais glisser sous Kenzo qui l’enjambe avant que que nous n’enchaînions tous les trois avec la position du Sombrero, dans une parfaite simultanéité, c’est comme si la seule chose qui nous permettait de tenir debout tous les trois, c’était ce fragile équilibre créé par notre ménage à trois.

Cet équilibre se brise lorsque Joy s’effondre à terre, rejointe rapidement par Kenzo qui semble avoir gagné la partie de séduction. Notre jolie brune s’offre en effet à ses caresses, mais je me décide à sortir le grand jeu et enchaîne une série de pas et de sauts qui mettent en valeur mes capacités athlétiques et ma souplesse. Je surprends le regard de Joy vers moi et j’ai du mal à savoir si elle est dans sa danse ou si elle est vraiment admirative de ce que je propose. Toujours est-il qu’elle exécute un magnifique bond pour se retrouver dans mes bras. Je la soutiens et me penche vers elle comme pour l’embrasser, ce qui provoque la colère artistique de Kenzo qui saute au-dessus de nos deux corps entremêlés. Je repousse Joy comme pour la protéger et viens affronter mon rival dans des mouvements à la fois agressifs et virils, qui se terminent par moi qui repousse Kenzo. Celui-ci, avec l’agilité de son âge, réussit à faire un salto arrière et se retrouve sur ses jambes. Joy, impressionnée, vient se positionner entre nous et nous enlace le cou à tous les deux dans une étreinte qui continue alors que la musique s’est arrêtée.

Je suis le premier à retrouver mes esprits et fais mine de m’écarter des deux autres, mais Joy me retient et vient déposer un baiser sur ma joue, au bord de mes lèvres, avant de faire de même à Kenzo. Elle relâche enfin son étreinte et le contact entre nous se rompt, créant chez moi un sentiment de vide comme seule la danse peut le provoquer.

— Eh bien, pour un coup d’essai, c’était vraiment pas mal. On a quelques transitions à travailler, quelques échanges à améliorer, mais ça s’est plutôt bien passé, là. Kenzo, il faudrait juste que tu t’affirmes un peu plus quand même. Je pense, mais dites-moi si je me trompe, que l’idée à la fin, c’est que Joy n’ait choisi aucun des deux car nous sommes aussi séduisants l’un que l’autre. Là, j’ai l’impression sur la fin que tu t’effaces malgré le splendide salto que tu fais. Je pense que c’est juste dans le regard ou la retenue dont tu fais preuve. Lâche-toi un peu et ce sera parfait.

— J’essaie. J’y travaille, soupire Kenzo. Mais entre vous deux… J’ai l’impression d’être le clown de la bande, de pas être légitime. Regardez-vous, vous assurez comme pas possible.

— Ne dis pas n’importe quoi, Kenzo, intervient Joy en se lovant contre lui avant de déposer un doux baiser appuyé sur sa joue. Tu es tout aussi légitime que nous. Tu n’es pas là par hasard, et tu es un formidable danseur. Arrête de douter de toi, parce que nous, on a confiance en toi. J’y vais les yeux fermés, moi.

— Oui, moi aussi, j’ai confiance en toi, Kenzo. Je suis fier de ce que tu es capable de faire, avec ton père en plus. A la place de Joy, je ferais comme dans la danse, je ne choisis pas. Tu es aussi fort et légitime que moi ! Bravo. Bravo à toi aussi, Joy. C’est la même magie qui opère que pendant le concours de Salsa. Tu trouves parfaitement ta place. Il faut juste que tu fasses un peu plus attention à ta technique sur quelques mouvements, mais les émotions que tu nous partages font oublier ces petits défauts. Merci à vous deux pour ce beau moment.

— C’est noté, sourit la jolie brune en glissant sa main dans celle de mon fils. On va encore bosser, et savourer, surtout. Elle est top, cette choré, et on a assuré, Kenzo. T’imagines qu’on est parti de rien et qu’on a fait ce truc rien qu’avec nos cerveaux ? Pour des danseurs, on s’en sort pas mal, je trouve. Une pizza à la maison pour fêter ça ?

Mon fils accepte la proposition et entraîne Joy avec lui. Ils me saluent tous les deux avant de s’éloigner, bras dessus, bras dessous. Je me demande si nous n’avons pas interprété cette danse aussi bien simplement parce qu’elle reflète la réalité de notre relation. Egoïstement, je n’ai pas envie que dans la vraie vie, ça se termine comme dans la danse, sans choix de la femme au centre des attentions des deux hommes. J’ai envie de Joy. Mais comment parvenir à ça sans blesser mon fils ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0