Le Préféré du Père Noël

7 minutes de lecture

Inspiré d’une histoire vraie et de tant d’autres…

Le préféré du Père Noël

 Depuis qu’il était à la retraite, Paul Jorrain s’était senti revivre. Sa vie passée comme postier lui avait permis de prendre un repos mérité dans la maison qu’il avait pu acheter en province, du temps où l’immobilier était encore avantageux. Marié, Paul avait eu quatre enfants et dix petits-enfants qu’il aimait de tout son cœur.

 Il était devenu papy-Paul, discernable des autres grands-pères par la longue barbe blanche qui faisait sa fierté. Couplé à cela, le temps et l’âge lui avait fourni un ventre rondouillard malgré une carrure encore solide. Si ses enfants gardaient tout de même de leur père ce visage sévère qu’il avait dû aborder lorsqu’ils étaient plus jeunes, pour ses petits-enfants, il était toujours apparu comme le papy gâteau, souriant, bonhomme et bon vivant.

 Désormais retraité, Paul s’était trouvé une autre et plus surprenante occupation en plus de s’occuper de sa collection de timbres. Il se portait également régulièrement volontaire comme père Noël de grandes surfaces. Son allure avenante et le sourire sous sa barbe en avait fait une référence auprès des magasins dans sa petite ville de province.

 Et cette année, alors que les neiges commençaient seulement à tomber, ne ferait pas exception. Il avait été contacté par son ami Viviane, une amie de sa première fille, responsable d’une enseigne en grande surface. Viviane avait entendu au détour de la grande surface que le recrutement du « papa Noël » allait commencer et, par souci de courtoisie, avait prévenu le père de son amie.

 Encore peu familier avec la technologie, Paul avait néanmoins reçu l’email et remercié Viviane de sa sollicitation, lui assurant que sa barbe et lui-même seraient présents, sinon sur le stand, au moins à l’entretien.

 Sans réelle surprise, Paul passa sans problèmes l’entretien. Parmi les responsables, il retrouvait Robert, un ami de longue date dont il avait gardé les enfants lorsqu’ils étaient en bas âge. Robert lui avoua même avec légèreté compter sur sa présence chaque année. Après six décembres passés dans l’uniforme rouge, Paul connaissait très bien les ficelles du métier. Bien qu’il ne soit pas comédien de profession, son rôle lui allait comme un gant. Après des années à traverser lui-même de nombreuses difficultés pour lui et sa famille, il éprouvait une joie et un engouement sincère à passer du temps avec les enfants.

 Il aimait retrouver en eux cette innocence, cet émerveillement à chaque fois qu’il le voyait, couplé à cette timidité maladive que certains avaient de l’approcher. La plupart cependant, finissaient par se laisser attendrir par son attitude générale, sa voix bienveillante et son rire parfaitement joué.

 Pendant les deux heures assis sur son fauteuil rouge et doré, Paul voyait des enfants défiler, lui confiant les listes de jouets qu’ils avaient demandé. Il restait dans son rôle, incarnant le vieil homme bienveillant et à l’écoute qu’on lui demandait d’être. Plusieurs parents vinrent même le remercier et il se faisait toute une fierté de leur confirmer que oui, sa barbe était réelle.

 Le 20 décembre cependant, alors que Paul s’était rhabillé et passé l’uniforme rouge au prochain interprète du Père Noël, Viviane vint le trouver à la sortie de son stand. À ses côtés se trouvait Robert et, malgré le sourire qu’ils faisaient leur possible pour arborer, Paul sentit que quelque chose n’allait pas.

 — Bonsoir ! dit-il néanmoins avec entrain. Vous voulez également une photo avec le papa Noël ? Il est en civil malheureusement !

 Les deux adultes pouffèrent poliment à sa plaisanterie, mais bien vite, ils se regardèrent et Viviane s’adressa à lui.

 — Voilà Paul, nous aurions… une faveur à vous demander.

 — Eh bien, demandez, demandez. Après tout, c’est le mois pour, n’est-ce pas !

 Ils sourient à nouveau.

 — Vous êtes parfaitement libre de refuser, commença Viviane, mais j’ai vu avec Robert afin que vous puissiez emprunter le costume du Père Noël pour juste quelques heures demain après-midi.

 Paul questionna brièvement Robert du regard, et celui-ci hocha la tête.

 — Je vous écoute.

 — Voilà… j’ai une amie très proche dont le fils de cinq ans…

 Elle s’arrêta un moment, choisissant ses mots avec précautions.

 — Sa leucémie s’est soudainement aggravée ces dernières semaines, dit-elle enfin. Les médecins pensent… qu’il ne passera pas Noël.

 Paul resta un moment bouche bée, avant de se perdre dans une lourde contemplation de la vie. La mort était partie intégrante de la vie, et ceux qui l’oubliaient s’en trouvaient souvent cruellement rappelé à l’ordre. Mais que cela arrive à un enfant, à quelqu’un qui avait à peine perçu ce que cela voulait dire, avait quelque chose de trop cruel pour ne pas saisir l’occasion.

 Il hocha la tête, lourdement, mais avec un sourire.

 Dès le lendemain, il se rendit, comme demandé, à l’hôpital où Viviane et son amie l’attendaient. Lorsque, après avoir enfilé son costume, il vit ce qu’il devina être la mère de l’enfant, Paul se sentit presque défaillir. Son visage contenait son émotion comme elle pouvait, du mieux qu’elle pouvait. Mais le vieil homme sentit qu’il ne lui faudrait pas grand-chose pour céder. Elle portait dans ses bras un cadeau emballé. Après les présentations, elle le tendit à Paul :

 — C’est… c’est ce qu’il voulait, dit-elle d’une voix déjà tremblante. Pour Noël.

 Paul lut sur le papier cadeau : « Charly ».

 À ses côtés, son mari s’efforçait de rester imperturbable mais, étant lui-même père et grand-père de famille, Paul n’était pas dupe. Son impassibilité n’était qu’une façade que Paul eut la courtoisie de ne pas questionner.

 — Il nous a dit, commença le mari, qu’il ne voulait pas rater Noël. Que c’était ça qui était important pour lui…

 Paul hocha la tête : pour l’enfant, qui savait qu’il allait mourir, rater Noël était plus grave que la mort.

 — Vous… voulez-vous que nous soyons là ? demanda la mère.

 Paul hésita un instant. Avant même d’entrer, il commençait déjà à regretter sa décision. Serait-il assez fort lui-même ?

 — Je… si vous sentez que vous allez craquer, dit-il avec une douceur choisie, je vous demanderai de ne pas être là. Si je vous vois céder, je risque de ne pas pouvoir tenir.

 La mère hocha la tête avec compréhension, serrant le bras de son mari dans ses mains délestées du cadeau pour son fils.

 — Je comprends, dit-elle.

 Elle se décala, laissant voir derrière elle la chambre au mur vitré derrière lequel se trouvait son fils, Charly. Paul prit une grande inspiration. Le moment de vérité allait arriver. Il ne pouvait pas se permettre de faillir.

 Dès qu’il poussa la porte, il changea aussitôt d’attitude. Il prit sa grande voix de Père Noël et salua le garçon :

 — Alors, Charly ! Qu’est-ce que j’apprends ? Tu ne seras pas là pour Noël ?

 Les yeux du garçon s’ouvrirent en grand et sa bouche s’entrouvrit légèrement :

 — … P… père Noël… ?

 Sa voix était faible, mais son émotion semblait lui donner des forces. Malgré l’effort que cela lui demandait, il se mit à sourire.

 — … vous êtes venu…

 — Bien sûr que je suis venu ! Je n’allais pas te laisser rater Noël ! dit Paul en insistant sur ce dernier mot et en rejoignant le chevet de l’enfant. Tout est déjà prêt pour toi. Regarde !

 Il révéla le cadeau emballé et le posa sur le lit.

 — Tu vois ? Ton cadeau est déjà là ! Pourquoi ne l’ouvres-tu pas ?

 L’émerveillement dans le cœur du garçon n’avait d’égal que la fatigue de son corps. Il étendit ses maigres bras vers le papier cadeau et l’agrippa avec les forces qu’il lui restait.

 Mais même toute l’excitation du monde n’était pas suffisante et il peinait pour ne serait-ce qu’enlever le papier cadeau. Paul se rapprocha encore et l’y aida. Lorsqu’il reconnut le camion télécommandé, Charly laissa échapper un bref sursaut de vigueur dans un cri de surprise.

 — … c’est… c’est le camion… que j’avais demandé…

 — Bien sûr, dit Paul en posant sa main sur celle de l’enfant. Mes petits lutins te connaissent bien. Ils savaient que tu voulais ça.

 Le regard et le sourire de l’enfant se perdaient dans le jouet qu’il avait sur les genoux, mais petit à petit, la lueur dans ses yeux commença à s’éteindre.

 — Les docteurs… ils me disent que je vais mourir, c’est ça ?

 Il avait péniblement relevé le regard vers Paul, et ce dernier pu y lire que l’enfant lui-même n’était pas vraiment sûr de ce que cela signifiait.

 — Qu’est-ce que... ça veut dire ?

 Pour rien au monde, Paul n’aurait voulu répondre à cette question. Il se rapprocha encore du garçon et lui chuchota presque :

 — Tu peux me rendre un service ?

 À nouveau, l’inquiétude de l’enfant laissa place à l’excitation. Le Père Noël avait besoin de lui ? Le vieil homme prit une inspiration pour pouvoir continuer.

 — Quand tu arriveras devant de grandes portes blanches, tu leur diras que… tu es le préféré du Père Noël.

 — C’est vrai ?

 Son émerveillement frappa le vieil homme au cœur. Les étoiles dans ses yeux s’étaient rallumées, et Paul du rassembler tout son courage pour soutenir le regard candide et débordant de reconnaissance.

 — Bien sûr, répondit-il en souriant. Tu leurs diras ça et… et ils te laisseront entrer, j’en suis sûr !

 Rassemblant ses dernières forces, l’enfant leva les bras et les y accueillit le vieil homme. Paul prit chaleureusement l’enfant dans ses bras, serrant son corps frêle contre sa barbe blanche.

 — … merci… Père Noël…

 Il serra encore l’enfant plusieurs secondes dans ses bras. Puis, il remarqua alors qu’il ne sentait plus le souffle régulier sur sa nuque, et au même moment, les bras qui jusqu’alors l’enserraient retombèrent doucement sur le drap du lit.

 Il rouvrit les yeux.

 Puis les referma.

 De l’autre côté de la vitre, il put entendre une femme éclater en sanglots.

 Il fallut plusieurs jours à Paul pour se remettre de sa rencontre avec Charly.

 Le vieil homme s’éteignit lui-même quelques années plus tard, entouré de sa famille, dans le même hôpital où il avait rencontré le garçon.

 Et ce jour-là, ce fut le préféré du Père Noël qui l’accueillit et lui ouvrit largement les grandes portes blanches.

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