Kairii : le poids de la beauté IV

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— Quel drôle d'endroit, où tu vis, avait observé Kairii en mâchonnant un brin d'herbe, alors que les deux garçons se reposaient après s'être entrainés aux arts martiaux.

Il avait trouvé Haruhiko plutôt bon, pour un débutant. Il avait de la force dans les bras. Au sabre, il s'était rendu compte qu'il était même meilleur que lui.

Haruhiko s’était mis à rire.

— C'est une maison de thé. On n’a pas l'habitude d'y voir arriver des samurai en armure...!

— Je n'étais pas en armure, s’était défendu Kairii, mais en tenue de chasse.

— Non... Mais pour eux, c'est tout comme. Personne n'entre jamais à cheval dans le quartier réservé. Le soir, c'est impossible. Il y a beaucoup trop de monde !

Kairii lui avait jeté un regard en coin. Haruhiko habitait dans un quartier réservé et travaillait comme acteur... Même en admettant qu'il étudie l'escrime pour parfaire ses rôles, pourquoi, au juste, la pratiquait-il à un tel niveau ?

— Ma mère était une courtisane célèbre qui fut pendant longtemps la favorite d'un daimyô, lui avait alors appris Haruhiko. Cet homme, dont je ne peux pas dire le nom, est mon père... Il ne put m'adopter officiellement, mais il tint à ce que je puisse bénéficier de la meilleure éducation possible. Il me paya un maître d'armes de l'école Yagyû dès mon plus jeune âge. C'est comme ça que j'appris l'escrime.

— Et c'est aussi pour ça que tu ignores le tir à l'arc, avait ajouté Kairii pensivement.

Tous les fils de samurai apprenaient cet art martial. Mais dans le cas de Haruhiko, fils illégitime né et élevé au quartier réservé, son père avait estimé que seule l'escrime suffirait. C'était déjà beaucoup.

— Et toi ? lui avait demandé Haruhiko. Ton père travaille pour quel clan ?

— Kiyo n'est plus un samurai, avait répondu Kairii. Après la guerre, il est devenu shugenja, et officie avec une troupe de kagura itinérante. Il m'a tout de même appris les arts martiaux, au cas où. Il a bien fait, parce que je fais un piètre danseur. Je ne suis ni assez élégant, ni assez beau, et je n'ai aucune intention de l'être.

Haruhiko se mit à rire.

— Tu es drôlement amusant, en tout cas ! Cela faisait longtemps que je n'avais pas ri autant.

Kairii lui avait jeté un regard à la dérobée. Il n'était pas sûr que ce soit un compliment.

La nuit était tombée rapidement. Haruhiko avait proposé à Kairii de passer la nuit chez lui, et ne pensant pas à mal, ce dernier avait accepté.

Mais à la nuit tombée, le quartier revêtait un tout autre visage. Leur retour fut accompagné de la musique lancinante du Gion bayashi, au milieu des rires, des soieries et des lampions rouges. Derrière des étals et les panneaux de bois, des garçons en kimonos bariolés attendaient, découvrant sensuellement une épaule ou un pied chaussé de tabi. Kairii dut laisser son cheval quelques pâtés de maisons dans une arrière cour, avec son arc et ses flèches.

— Je peux rester dormir ici, tu sais, avait-il dit à Haruhiko en avisant un coin de paille qui avait l'air confortable. Je repartirai au petit matin, de toute façon.

Il comptait en fait remonter à cheval sitôt Haruhiko parti et faire la route de nuit. Mais le dire aurait été impoli.

— Non, non et non : tu es mon invité, avait insisté Haruhiko. Viens dans mon okiya. Tu vas voir comme c'est confortable et luxueux.

Les lieux « confortables et luxueux » rendaient Kairii méfiant. Mais pour ne pas froisser son nouvel ami, il avait accepté l'invitation. Cependant, on l’avait relégué dans une pièce tout seul à peine furent ils arrivés, car Haruhiko devait « travailler ».

— J'ai des clients ce soir, lui avait-il apprit avant de le laisser. Je dois me préparer pour eux. J'en ai pour deux heures tout au plus : attends-moi en prenant un bain. Prends ton temps et relaxe-toi bien. Si tu as besoin de quoi que ce soit, nourriture ou boisson, tu n'as qu'à demander. Je viendrais te chercher ici ensuite.

Kairii avait fait comme on lui disait. Mais il était sorti du bain plus tôt que prévu, et, n'arrivant pas à trouver quelqu'un pour lui apporter à manger, il s'aventura dans les couloirs, désœuvré.

Il savait où était la chambre de Haruhiko, puisque ce dernier la lui avait montrée en entrant.

Kairii n'avait jamais vu Haruhiko danser. On disait de lui qu'il était très bon. Curieux, il avait entrouvert la cloison coulissante séparant ses appartements du couloir, sans savoir ce qu'il allait voir. Certes, il était déjà étonné de ne pas entendre de musique. Mais ce qu'il découvrit le laissa muet de stupeur.

Haruhiko était à demi nu, tenu sous les bras par un homme d'une vingtaine d'années, tandis qu'un autre, à peu près du même âge, était en train de s'agiter devant lui, agrippé à ses hanches. Les deux hommes avaient leur kimono ouvert et étaient tout deux lourdement tatoués. Quant à Haruhiko, Kairii réalisa que son pénis avaient été attaché avec une cordelette rouge, et que l'homme de dos était en train de le pénétrer par le fondement. Couvert de sueur, le jeune garçon haletait bruyamment.

Kairii avait refermé la cloison sans bruit. Il s’était levé et était retourné dans la chambre d'amis où on l'avait fait attendre. Là, il avait sortit de son kimono un pinceau, une feuille et un nécessaire à écrire.

Mais l'inspiration – ou le courage – lui avait manqué. Ne sachant pas du tout quoi écrire, la tête vide, il s’était contenté d’un simple « désolé ». Puis, après avoir posé la feuille bien en évidence, il était sorti de la maison de thé le plus vite possible, avait sauté sur son cheval et quitté Kyôto au grand galop.

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