Kairii : le poids de la beauté III

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— Tu trouves que j'ai un visage bizarre ? avait demandé Kairii le soir même après s'être observé une énième fois dans le fragment de miroir appartenant à la compagne de Kiyo.

Surpris par la question, ce dernier s’était gratté le menton. La saison des spectacles étant terminée, il ne se rasait plus.

— Pourquoi tu demandes ça ?

— On m'a traité de sanglier et de tomo-oni sur scène, avait répondu Kairii, le ton égal.

Kiyo l’avait regardé attentivement. À la lumière des bougies qui meublaient leur modeste cabane – celle où ils logeaient pendant toute la durée du kagura – , ses yeux paraissaient presque rouges. Leur couleur ambrée était ce qui avait inspiré, parait-il, le célèbre poème « feuilles d’érables d’automne » au courtisan Otsuki Hachiyômaro.

— On me traitait bien de loup, moi...

Kairii s’était retourné.

— Les gens nous trouvent si laids ?

Kiyo s’était déjà assis en tailleur sur le plancher usé.

— Pas laids, différents, avait-il corrigé en sortant son nécessaire à fumer. D’après la légende, notre famille descend d’un clan de démons venus d’au-delà des mers, qui se serait fixé sur cette île à une époque où il n’y avait rien. Puis un autre clan est arrivé – les Otsuki – et ensuite, ce furent les gens venus du continent, par le détroit de Chôson… ces gens ne nous ressemblaient pas, à nous qui venions de la grande mer. Ils nous traitaient de monstres. Mais t'inquiète pas, ça t'empêchera pas d'avoir des femmes.

Kairii se fichait des femmes, tout comme il se fichait des garçons. Il avait donc reposé le fragment de miroir et s’était laissé retomber sur le vieux kimono qui lui servait de couchage.

Sans trop savoir pourquoi, sa pensée avait papillonné autour de Haruhiko, le garçon qu’il venait de rencontrer à la foire. C'était vrai que ce dernier était beau. Un vrai prince Genji. Mais est-ce que quelqu'un savait vraiment à quoi ce dernier avait ressemblé ?

Kairii décida d'aller le voir dès la lunaison suivante. Il se rendit à la vieille capitale avec le cheval de Kiyo. Il portait son arc, ses longues flèches empennées formant comme un éventail de plumes dans son dos. Le sabre que lui avait remis Kiyo pour ses treize ans était passé dans sa ceinture. Avec ses cheveux hirsutes, les éraflures qu'il avait sur le visage, la peau de daim qu'il portait sur les fesses et son kimono uni et frustre, il ressemblait plus à un malandrin des bois qu'à un jeune et fringant fils de samurai tels qu'on les rencontrait à l'époque. Il s'en rendit compte par lui-même en observant les jeunes dans les rues de la ville, et surtout ceux du quartier de Haruhiko.

Quelle ville de précieux, avait pensé Kairii en passant parmi une multitude de jeunes hommes aux chignons élaborés et aux kimonos colorés. Il avait eu du mal à relier ce qu'il voyait avec les sanglantes histoires de guerre que lui avait raconté Kiyo.

Il s'était arrêté devant l'école de théâtre de Haruhiko et demanda à le voir sans même descendre de cheval. À cause du double sabre qu'il portait à la ceinture, le portier s’était senti obligé d'accéder à sa requête et d'aller chercher Haruhiko, mais il l’avait fait en fronçant le nez.

— Haruhiko-sama, un jeune shugyôsha pouilleux puant le cuir vous demande à la porte. Il dit que c'est vous qui l'avez appelé.

— Ah, avait souri Haruhiko en reposant son pinceau. C'est un ami. Laissez-le entrer.

— C'est qu'il veut que vous sortiez le rejoindre. Du reste, il est en tenue de chasse. On ne peut décemment pas faire entrer ici un samurai en vesture de combat !

Haruhiko sourit à nouveau. Puis il se leva et sortit sans se presser, avant de se planter dans l'entrée.

— Eh bien, messire samurai, avait-il plaisanté gentiment. Vous voilà en bien fier équipage ! Votre seigneur aurait-il rassemblé son ost ? Contre qui devons-nous nous battre ?

— Arrête de te moquer et prends une monture, lui avait lancé Kairii en retour. On va pas tirer des flèches ici.

Ahuri, le regard du portier était passé d'un garçon à l'autre. Mais Haruhiko s’était contenté d’éclater de rire.

— Voyons, je n'ai pas de cheval, moi ! Je ne suis pas un guerrier.

Kairii avait froncé les sourcils.

— Pourquoi veux-tu apprendre à tirer à l'arc, alors ? À quoi cela te servira-t-il, si tu n'as pas de cheval ?

— C'est pour mon développement personnel, avait souri Haruhiko en réponse. Ne sais-tu pas que c’est le rôle de la Voie des armes, désormais ?

Kairii avait regardé le jeune homme, dubitatif. Il était loin d'avoir la tenue appropriée pour aller gambader dans la prairie.

— Va mettre quelque chose sur ton kimono et viens me rejoindre. Je crois que tu peux monter derrière moi, si on ne va pas trop loin.

— Très bien, répondit Haruhiko. J'y vais de ce pas.

— Prends ton sabre, aussi... Enfin, si t'en as un.

Il avait commencé à en douter. Se sentant soudain mal à l'aise au milieu de cette peuplade de garçons maquillés qui s'étaient rassemblés autour de lui, Kairii avait fit faire une volte à son cheval en attendant le jeune homme.

Ce dernier était revenu rapidement, en tenue de travail, ses beaux cheveux attachés et un sabre à sa ceinture.

— Haruhiko-sama ! s’était alors écrié un homme aux manières encore plus affectées que le portier, qui suivait derrière. Vous n'allez pas monter à cheval ! Pensez un peu à l'odeur, et à l'effet que cela pourrait avoir sur…

Haruhiko l’avait fait taire avant qu’il ne puisse en dire plus.

— La paix, Kimimaro. Je serai de retour avant ce soir.

Jetant un regard peu amène aux gêneurs, Kairii avait attrapé le bras de son nouvel ami et aidé à monter sur le cheval. Lorsque le jeune homme eut bien mis ses bras autour de lui, il s'était éloigné au petit trot, impatient de quitter ce voisinage détestable. Arrivé au bord de la rivière Kamo, il était même passé au grand galop.

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