Iconoclaste – Cinquième corps – Remembrance

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I

   Ghelos n’en revenait pas de la facilité avec laquelle la lame l’avait transpercé. Son sang s’écoulait goutte à goutte le long du tranchant de l’acier biocarbonique XLII et, goutte à goutte, se transformait en délicates fleurs roses au contact des grains de céréales éparpillés à ses pieds. Il aurait voulu crier à l’aide si une main gantée de noir n’avait recouvert sa bouche avec fermeté et empêchait présentement le moindre gargouillis de s’échapper de ses lèvres. Iconoclaste retira lentement sa lame et allongea le corps à l’abri des rétroviseurs, entre des sacs de grains éventrés. Il se hissa discrètement sur le conteneur de l’octopode et avança silencieusement jusqu’à la cabine. À l’aide de ses capteurs ultrasensibles, il détermina la position du chauffeur. Les battements du cœur de sa cible apparurent sur la face intérieure de son masque comme tant d’ondes provoquées par une douce pluie percutant la surface d’un lac placide. Le sabre d’Iconoclaste traversa le toit de la cabine sans la moindre résistance et transperça la boîte crânienne du pirate d’un seul et unique coup. D’un bond de félin, Iconoclaste s’élança sur le dernier des hommes qui urinait dans les cultures vingt mètres plus loin. Ce dernier eut à peine le temps d’entendre son assassin qu’une lame noire traversait déjà sa troisième vertèbre cervicale et fendait sa pomme d’Adam. Ses jambes se dérobèrent, puis il s’effondra dans sa propre urine.

– Atlas, la zone extérieure 7-F est nettoyée. Comment la situation évolue-t-elle?

– Le groupe de pirates ayant pris le contrôle de la station agricole a transmis un enregistrement audio à la confédération. Ils réclament un laissez-passer pour quitter la planète avec trois vaisseaux-cargo de denrées alimentaires.

– Préenregistré?

– Exact! Monsieur. Bien que cryptées, des métadonnées indiquent une datation antérieure de plusieurs klepks.

– Ils ont donc soigneusement planifié l’attaque. Sont-ils connus?

– Il s’agit d’un groupe révolutionnaire se faisant connaître sous le nom de L’Étoile d’Ahek. Ephua N’Terso, leur leader, est recherché par la confédération pour crime de guerre, contrebande, terrorisme, meurtre de personnalité politique et destruction d’une ferme de clonage médical. Il est également l’auteur de plusieurs livres dont l’un est intitulé l’ombre de l’étoile noire. Bien que cette œuvre ait été déclarée illégale par la confédération en raison de son contenu diffamatoire et politiquement incorrect, elle constitue encore à ce jour l’une des plus aisément téléchargeables via Synapse, car un nombre conséquent de citoyens confédérés considèrent N’Terso comme un artiste révolutionnaire de talent.

– Combien d’otages?

– Huitante-sept citoyens enregistrés avant l’assaut des pirates. Nous savons avec certitude que sept employés opérant à la défense de la planète ont péri durant l’attaque.

– Déjà des morts? ricana odieusement Iconoclaste. La confédération n’acceptera jamais de traiter avec eux.

– C’est pour cela que la compagnie vous a envoyé sur place, Monsieur.

Iconoclaste se débarrassa du cadavre de l’ancien chauffeur et conduisit jusqu’à l’entrée du tunnel de maintenance le plus proche. Défilant inlassablement dans sa vision périphérique, disparaissant inlassablement par-delà l’horizon infini, les champs de culture lui parurent sans fin. Seules quelques routes chaotiques entaillaient le paysage des centres de moissonnage automatisés à l’entrée des tunnels de maintenance tandis que l’intégralité des autres installations de la planète était souterraine afin de maximiser les surfaces de culture. L’octopode approchait lentement de l’entrée du tunnel de maintenance. Iconoclaste fit le bilan de l’état du véhicule dans sa tête. C’était un vieux modèle de transporteur solaire et ses batteries semblaient en fin de vie. Il ne disposait d’aucun blindage et encore moins d’armes. En bref, il ne lui serait probablement que d’une utilité minime, mais c’était toujours plus rapide que de marcher. Les suspensions de la cabine grincèrent en amortissant une fondrière. Si les pirates ont pris le contrôle du système de défense de la station, songea Iconoclaste, je ne passerai pas le portail principal.

– Atlas, peux-tu m’ouvrir l’entrée du tunnel de maintenance.

– C’est impossible, Monsieur. Taedos est une planète culture équipée d’un système Lewats II.

– Tu m’excuseras de ne pas être un spécialiste en agrotechnologie!

– Le système Lewats II est un système de communication(s) sécurisé intégralement filaire. Il m’est donc…

– …impossible de le pirater. J’ai saisi l’idée. Je vais jeter un œil au poste de garde.

La planète avait dû être paisible durant de longues années, car les armes des gardes étaient encore sur leur râtelier. Les pirates n’avaient eu qu’à entrer par la porte comme si de rien n’était avant de tirer à vue. La tête de l’un des gardiens était littéralement éparpillée dans la salle de surveillance, les restes de sa cervelle tapissant la baie vitrée et le tableau de commande. Iconoclaste poussa le cadavre qui était toujours assis sur son siège et prit sa place. Il observa anxieusement l’octopode en contrebas. Ce véhicule était certainement le plus aisément repérable de la station, mais il ne pouvait pas se permettre de faire les trois cents kilomètres le séparant de la base principale à pieds. Il redoutait que les pirates s’emportent et commettent quelques stupidités dont ils avaient si souvent le talent.

D’un coup sec, il abaissa le levier commandant l’ouverture du tunnel. Les engrenages des verrous vrombirent et la lourde porte d’acier disparut lentement dans le sol.

Le tunnel semi-octogonal s’enfonçait sous la terre sur une pente douce de plusieurs kilomètres avant de devenir plat. Les parois défilèrent incessamment en offrant toujours et encore le même décor de tuyaux, de câbles et de salles de maintenance servant à acheminer les céréales propulsé par des turbines. Un exo modifié et équipé pour les éliminations à très longues distances aurait pu atteindre une cible à plus d’une centaine de kilomètres dans un tube parfaitement droit comme celui-ci. Et Iconoclaste se méfiait toujours de ce genre de chose, raison pour laquelle il avait activé le pilotage automatique et qu’il nettoyait son masque tâché de sang à l’arrière du véhicule, dans le conteneur. En théorie et selon les informations publiques fournies par la société, aucun exo n’avait échappé à son système de contrôle jusque-là. Néanmoins, Iconoclaste savait que ces informations étaient fausses. La perte de contrôle des exos signerait la fin d’une industrie juteuse de mercenaires impitoyable. Il le savait, car il avait été créé, ou plutôt transformé, pour remédier à ce risque. Les spectres, comme la compagnie aimait à appeler les cibles déjà mortes, pouvaient être de toute nature selon le gigantisme du paiement, mais seuls lui et deux autres exos traquaient leurs semblables déphasés.

Iconoclaste ne risquait pas réellement de se voir confronté à l’un de ses semblables sur Taedos, car ceux-ci ne passaient jamais inaperçus en raison de leurs carnages psychotiques. Néanmoins, les tentatives de contrefaçons des technologies de XR Sceptri avaient à maintes reprises engendré des êtres dangereux et extrêmement instables dont les améliorations demeuraient non négligeables en termes d’imprévisibilité.

Le souffle du vent s’engouffra dans le tunnel et souleva un nuage de poussière filant dans le sens opposé de l’octopode.

– Chier!

Iconoclaste eut à peine le temps de sauter du conteneur que l’impact de la vague d’air compressée par le canon percuta l’octopode, désintégra l’habitacle, propulsa les débris dans le souterrain. Un morceau du véhicule frappa Iconoclaste de plein fouet et l’envoya s’écraser contre une conduite en acier.

Ses oreilles bourdonnaient douloureusement. Il n’avait pas eu le temps de remettre son masque pour se protéger. Il cracha un filet de sang et deux dents cassées par le débris l’ayant percuté. Le présouffle d’un second tir s’engouffra dans le tunnel. Il devait déguerpir de là au plus vite, car le souffle d’un canon à air magnétisé pouvait réduire un homme en bouillie d’un seul coup, deux ou trois au mieux pour un exo. Il ne restait à Iconoclaste qu’une porte sécurisée de l’autre côté du tunnel, à une quarantaine de mètres.

La décompression du canon retentit.

Avant même qu’il n’en ait pris conscience, Iconoclaste courait vers la porte en enfilant son masque. Les moteurs gyroscopiques de ses jambes déployèrent une explosion d’énergie et le propulsèrent contre la porte si fortement qu’il sentit son épaule gauche se déboîter en enfonçant les gonds. Il s’écrasa dans une cage d’escalier en même temps que l’alliage biocarbonique de son masque terminait de se refermer autour de sa tête, évitant à ses oreilles une seconde décompression malvenue. Le souffle s’engouffra dans la pièce et entailla son corps en de multiples endroits avant de s’estomper.

– Monsieur, vous allez bien?

– Quelle question! J’ai failli me faire réduire en charpie par une arme militaire! Comment voudrais-tu que ça aille bien?

– La nanotechnologie de votre corps va diminuer la douleur et soigner les blessures au mieux.

– Je sais, je sais, je sais!

– Monsieur, il faut vous calmer. L’objectif de la mission n’étant toujours pas atteint…

– Bordel, qu’est-ce que tu viens de faire? Avec mes jambes?

– J’ai activé les nouveaux accélérateurs de vos jambes afin d’augmenter votre vitesse.

– Ne fais plus jamais un truc pareil sans me prévenir. J’aurais pu éviter de défoncer la porte en m’écrasant dedans. Je me suis démis une épaule. Et nous reparlerons de ces «améliorations» au débriefing.

Iconoclaste se releva, tira d’un coup sec sur son épaule pour la remettre en place, puis observa calmement la pièce. Il était dans une salle de maintenance, d’où le système de contrôle d’accès de la porte. Plusieurs conduits métalliques traversaient la pièce et une passerelle permettait d’atteindre les écoutilles de maintenance des trois plus gros. Le son caractéristique d’un véhicule résonna faiblement dans le tunnel, mais suffisamment pour qu’il parvienne aux oreilles améliorées d’Iconoclaste.

– En voilà une surprise, jubila-t-il en songeant à défouler sa frustration sur les pirates. Je ne pensais pas qu’il viendrait me chercher.

Il fixa les écoutilles en inclinant légèrement la tête sur le côté gauche. Iconoclaste faisait toujours cela lorsqu’il concevait un plan. C’était l’un des rares tocs de son ancienne vie que les ingénieurs de XR Sceptri n’avaient pas réussi à supprimer malgré ses multiples corps.

Il redressa la tête dès qu’il perçut le son ralentissant du véhicule des pirates.

– Atlas? Mon corps supporterait-il la pression des conduits d’acheminement des céréales?

– Monsieur, j’ai peur de comprendre votre idée.

Sous son masque, Iconoclaste se fendit d’un rictus amusé.

– Sais-tu pourquoi les compagnies comme XR Sceptri utilisent des exos et non pas des synthétiques équipés d’IA? Tout simplement, car vous êtes trop rationnel.

Alors, soyons irrationnels jusqu’au bout des choses, pensa-t-il.


II

   Galod stoppa le véhicule à une cinquantaine de mètres de l’entrée de la salle de maintenance. Il descendit d’un bond de la cabine dépourvue de portes et fit signe à ses quatre hommes de descendre du pont du véhicule. Elreck, son artificier, était nerveux. Les éclairages du tunnel se reflétaient sur son front luisant et son débardeur kaki était déjà auréolé de toutes parts. Il faut vraiment qu’il perde du poids, songea Galod. Il aimait bien Elreck, tous deux avaient même eu une aventure ensemble, mais depuis la mort de son fils, ce dernier n’avait cessé de manger et boire afin de s’occuper l’esprit, et le corps certes déjà ventripotent, mais néanmoins musclé d’Elreck le sulfureux artificier s’était petit à petit noyé dans un amas adipeux.

Remarquant que son chef s’était perdu dans ses pensées, Joanes, le tireur du groupe, se racla la gorge pour attirer l’attention. Les joues de Galod s’empourprèrent brièvement. Il appuya un index à l’arrière de son oreille pour activer son communicateur. Ses hommes firent de même.

– Nous allons le forcer à sortir de la salle, dit-il fermement. Affronter un exo dans un espace réduit revient à se suicider. Joanes! Tu dois l’abattre le plus rapidement possible. Elreck, il ne faut surtout pas abîmer les conduits d’acheminements actifs. Nous ne pouvons pas perdre plus de temps pour charger la nourriture.

– Pas de problème, je vais placer une mine directionnelle à côté de la porte. Synchroniser vos identifiants.

– Mirium! Homet! Approche numéro trois. Allons le déloger!

Les trois hommes attendirent qu’Elreck déploie sa mine, puis s’avancèrent en formation triangulaire vers la porte. Galod faisait preuve d’une confiance aveugle envers Mirium et Homet. Les trois hommes avaient été des commandos de l’armée confédérée et avaient tous trois déserté lors d’une mission qui avait mal tourné. Ils n’étaient pas des enfants de chœur, mais être responsable de la destruction d’une ville entière et de tous ses habitants s’était avérée être leurs limites à tous trois, quand bien même elle n’était pas peuplée d’humains.

Mirium, en tête de formation, lança une grenade CTM2 au centre de la salle. Moins d’une seconde après la détonation, il pénétra dans la salle d’une roulade et se réceptionna dos à un mur, genou à terre, fusil épaulé. Les particules argentées libérées par la grenade dansaient dans la salle comme de fines poussières chatoyantes, brouillant le capteur de mouvement intégré dans son œil gauche ainsi que son communicateur. Il perçut la silhouette de Galod effectué la même entrée que lui, puis celle d’Homet. Ce dernier se réceptionna tel un félin, à mi-distance de ses deux équipiers, face contre terre, les deux jambes écartées, en appuis sur sa main droite, un poignard dans la gauche, prêt à bondir sur sa cible. RAS. Indiqua Mirium d’un signe de main discret à ses équipiers. Homet se déplaça accroupi jusqu’à la base de l’escalier en caillebotis et monta sur la passerelle d’un pas léger. Il trouva une écoutille grande ouverte. Un rictus de frustration tira les traits olivâtres de son visage.

– Il tente de s’enfuir par un conduit d’acheminement, dit-il avec une pointe de déception dans la voix. Fermons l’écoutille et activons ce conduit, il sera broyé par la pression.

Son chef approuva d’un hochement de tête entendu. Tandis qu’il contactait le groupe de pirates du centre de tri fin, Homet entreprit de fermer la lourde écoutille. Galod et Mirium virent alors un câble fin se tendre au rythme du mouvement de l’écoutille. Ils hurlèrent de concert, trop tard.

– Le fils de chien, jura Homet au moment où la goupille de la bombe sautait devant son visage.

Toujours positionné dans le tunnel, Joanes entendit des cris s’élever juste avant que le mur de la salle de maintenance ne cède la place à un torrent de céréales. Elreck courut aussi vite que sa condition le lui permit. L’avalanche de céréales l’avala et l’éparpilla tel un fétu de paille. Impuissant, Joanes se recroquevilla contre un mur et activa son bouclier défensif. La bulle bleutée l’enveloppa de justesse avant que les tonnes de céréales ne l’ensevelissent, puis il compta. Son bouclier cinétique n’était qu’une solution de secours si un tireur ennemi le repérait. Au mieux, il pouvait encaisser l’impact de deux ou trois tirs, pour ce qui en était d’une pression de plusieurs tonnes… Le grésillement redouté vint plus vite que prévu. Joanes prit son souffle, tandis que le bouclier se dissipait, et mourut asphyxié quelques minutes plus tard.


III

   Gavril avait coupé les systèmes d’acheminement des conduits 56A, B et C aussitôt qu’Ephua le lui avait ordonné, mais cela n’avait pas suffi pour sauver l’équipe d’interception. Des pertes avaient été envisagées, mais il enrageait malgré tout. Pourtant, le plus fâcheux se révélait être le tunnel d’acheminement 56 définitivement condamné par l’intrus. Les capacités d’acheminements des céréales élevées de ces conduits étaient primordiales pour mener à terme leur mission dans les temps. Or à présent, soit, ils passaient un klepk de plus sur cette planète, prenant le risque d’un assaut organisé des forces confédérées, soit, ils quittaient la planète dans les temps avec seulement deux vaisseaux-cargo. Ephua n’acceptera jamais, songea-t-il. Comment lui faire admettre l’échec partiel d’une mission préparée durant un Maln?

Un voyant orange du tapis de tri attira son attention. La console lui indiquait la présence d’un objet non traitable. Il arrêta les machineries, épaula son fusil, se dirigea d’un pas décidé vers la première cuve de filtrage.

En traversant l’immense salle, il passa à côté du corps d’Armanda et dû retenir un fou rire. Sa collègue s’était toujours montrée aimable avec lui. Elle lui avait même fait du rentre-dedans, à une époque pas si lointaine. Pourtant, il n’avait pas hésité une seule seconde à la tuer d’un tir à bout portant. Enfant, il rêvait des histoires de pirates que sa mère lui contait pour s’endormir. À présent, il en était un. Mais la vie de pirate n’était pas comme dans les contes de sa mère. Jamais elle ne lui avait parlé des visages réduits en bouillie par les cartouches magnétiques, jamais elle ne lui avait parlé des cris des civils massacrés sans ménagement, jamais elle ne lui avait parlé de la joie d’ôter une vie. Il repensa au visage de sa mère, à ses yeux verts et aimants emplis d’incompréhension tandis qu’il retirait la lame de son ventre puis l’enfonçait à nouveau. Étrangement, un reflux acide lui incendia la gorge. Il retourna le corps d’Armanda et observa avec indifférence son buste généreux taché de sang jusqu’à ce qu’un bruit sourd l’interpelle.

Le tambour de la première cuve tournait à nouveau et brassait l’objet non traitable dans un fracas feutré. Gavil se dirigea vers la machinerie, enfonça le bouton poussoir d’arrêt d’urgence d’un coup sec, bascula le levier, poussa la porte du bout des doigts, se plaça face à la trappe, fusil épaulé. Rien ne se passa, aussi décida-t-il de s’avancer avec prudence. Il observa les traces de sang tapissant le conduit d’acheminement qui déversait les céréales dans le tambour, puis fit un pas plus avant. La moitié d’un corps carbonisé gisait dans le tambour au milieu des grains ensanglantés qui s’étiolait dans les orifices prévus à cet effet.

– Navré pour lui, il bloquait ma progression.

– Je n’en ai cure. Massacre donc les hommes de L’Étoile d’Ahek si le cœur t’en dit, rétorqua Gavil en se retournant lentement. Ephua m’apprécie pour mon indépendantisme et mon efficacité.

Le masque noir sans reflets de l’exo lui donnait une allure de bourreau intransigeant, pourtant Gavil ne semblait pas ressentir une once de pression.

– Amusante coïncidence, le railla Iconoclaste. Mes employeurs m’apprécient pour mon indépendantisme et mon efficacité, pourtant il me semble qu’un seul de nous deux a répondu à leurs attentes.

Le pirate asséna un coup de tête à Iconoclaste, surenchérit d’un coup de crosse, puis regarda son bras droit s’envoler au même rythme que son arme. La main gantée de l’exo s’écrasa sur son nez et le fit basculer dans le tambour. Iconoclaste referma la porte et réactiva la machinerie en ignorant les cris agoniques de sa victime. Un simple mouvement de poignet lui suffit pour débarrasser sa lame du sang l’entachant.

– Monsieur, l’homme que vous venez de supprimer se nommait Gavil Aetlok. Employé modèle de la compagnie d’exploitation depuis sept malns. Son dossier le décrit comme un homme appliqué très apprécié de ses collègues. Une mention spéciale souligne son charisme ainsi que son sens de la diplomatie qui lui ont rapidement valu un poste de responsable de section. Il est l’un des rares employés à vivre sur Taedos avec femme et enfant.

– Étrange, dit Iconoclaste en stoppant net sa marche. Ce n’est pas vraiment la personne que je viens de rencontrer.

Dans la foulée, il stoppa à nouveau le tambour, ouvrit la trappe, enfonça la lame dans le cœur de l’homme agonisant. Après avoir extirpé le corps, il entreprit de lui inciser verticalement la nuque. Un soupir las glissa entre ses lèvres.

– Souvenirs implantés, dit-il d’une voix rocailleuse débordante de rage. Où donc ces pirates ont-ils récupéré ce genre de technologie?

Un implant bio-organique semblable aux assemblages des exos était intégré dans une vertèbre cervicale de l’homme, relié à son système nerveux au travers de sa moelle épinière.

– Atlas! Qu’est-ce que la compagnie me cache sur Ephua N’Terso et L’Étoile d’Ahek?

– L’Étoile d’Ahek est un groupe de pirates néo-existentialiste. Ils adhèrent à l’existentialisme de Sartre en y ajoutant l’importance de leur être physique comme définition de leur existence. Aussi, bon nombre d’entre eux ont à cœur de modifier leur corps pour transcender leur condition. Par ailleurs, les plus gradés parmi leur rang sont réputés pour être illégalement améliorés avec des technologies militaires volées.

– Ce n’est guère le moment pour les pointes d’humour et la philosophie. Ceci… enragea Iconoclaste en pointant du doigt la nuque du cadavre à sa seule attention. Ceci n’a rien d’une simple technologie militaire! Cet homme a été modifié avec un système de contrôle pour exos de troisième génération. Si je n’avais pas mis un terme à son existence, son système immunitaire l’aurait réduit en bouillie biologique au bout de quelques klepks de souffrances innommables. Maintenant, réponds à ma question. Quel est le rapport entre Ephua N’Terso et les exos?

– Je ne possède aucune information à ce sujet, Monsieur.

– Ne te moque pas de moi! Atlas. Toutes mes dernières missions se sont déroulées sur des planètes proches de celle-ci. La compagnie me gardait à proximité en attendant que L’Étoile d’Ahek passe à l’action.

– Mes données sur Ephua N’Terso sont incomplètes. XR Sceptri semble avoir volontairement limité mon accès à son dossier ainsi qu’à celui de L’Étoile d’Ahek.

Iconoclaste jura sous son masque avant d’arracher l’implant à même titre que la vertèbre cervicale du cadavre. Il le jeta au sol puis l’écrasa d’un coup de talon impétueux. Le déphasage des exos était un sujet de la plus haute importance pour XR Sceptri, et parmi les solutions expérimentées afin d’y remédier, les souvenirs implantés s’étaient avérés la pire des idées. Les résidus mémoriels de leurs anciens corps se mélangeaient aux souvenirs implantés avant d’engendrer des troubles de la personnalité accélérant le déphasage, voir créant des dédoublements de personnalité. L’implantation d’une bombe dans leurs corps avait bien été utilisée sur les premières générations d’exos afin de pouvoir les éliminer rapidement en cas de problème, mais, outre ceux se réfugiant dans des lieux rendant impossible la désactivation distante, le stress lié à la présence de la bombe accélérait lui aussi le déphasage.

Sans plus attendre, Iconoclaste traversa les salles de tri et d’affinages en direction des quais, abandonnant une sente cadavérique de pirates sur ses pas.


IV

   Ephua N’Terso observait les chiffres défilant sur la console de chargement d’un regard noir. Un rictus de frustration déformait son visage habituellement placide. Les quantités de vivres attendues n’étaient pas au rendez-vous et il en connaissait la raison, un exo remarquablement doué, sa création la plus prestigieuse et la plus dangereuse, Iconoclaste. Il observa les quais avec attention, son rictus s’accentua. L’infrastructure de Taedos n’avait pas été pensée pour la sécurité. Des conduits, aux buts divers et variés, parcouraient l’ensemble des structures souterraines dans un dessin arachnéen dont les quais paraissaient être le nerf central.

D’un mouvement lent et assuré, Ephua glissa sa main dans les cheveux blonds vénitiens de la fillette qu’il gardait à ses côtés. Le moindre claquement causé par la décompression d’un conduit attirait vivement son attention, et encore une fois, il avait bondi, prêt à voir son terrible enfant s’extirper d’une trappe ou d’une grille avoisinante.

Encore une fois, il tenta de contacter plusieurs de ses hommes affairés à différentes tâches, et, une fois encore, aucun ne répondit. Une colère noire le gagna. Depuis sa création, son organisation avait grandi selon son désir, recueillant toujours plus de fidèles et étendant toujours plus son territoire hors de celui de la confédération. Pourtant la croissance démographique de L’Étoile d’Ahek, bien que nécessaire aux desseins d’Ephua, lui imposait des besoins en ressources d’autant plus grands. Il savait au fond de lui qu’il ne pourrait plus très longtemps se contenter de voler à la confédération. La prochaine étape afin d’assurer l’approvisionnement à long terme en ressources alimentaires de L’Étoile d’Ahek serait la prise de contrôle d’une planète culture, et cette étape marquerait le début officiel de la guerre contre la confédération. Ephua rangea cette idée dans un coin de son esprit, pour se concentrer sur sa mission actuelle, rapporter autant de céréales que possible.

Il envoya au poste de contrôle deux hommes parmi les six restés auprès de lui afin qu’ils réactivent le chargement des soutes, puis il se perdit à nouveau dans ses pensées. Il caressait nerveusement la chevelure de la fillette, réfléchissant aux approvisionnements en arme à venir, lorsque le mécanisme de la porte principale d’accès au quai entama le grondement accompagnant son ouverture. Face à la porte, les deux hommes qui s’en allaient vers le poste de contrôle jurèrent de concert, attirant l’attention de leur chef.

L’immense porte devait encore parcourir un quart de son chemin avant de disparaître dans le sol, et pourtant un charnier se dévoilait déjà par-delà celle-ci. Bientôt, elle dévoila l’étendue d’une mise en scène qui pétrifia les hommes d’Ephua. Des corps démembrés jonchaient le sol de part et d’autre, un amas de cadavres décapité était entassé devant la porte et leurs têtes étaient disposées en cercle symétrique autour des corps. Ephua sut instantanément que la quasi-totalité des hommes qu’il avait emmenés ainsi que des colons modifiés se trouvait là, et s’il n’avait pas ordonné à ses pilotes d’attendre auprès de lui, ç’aurait été la totalité de ses hommes.

Trois pilotes veillant les chargements s’avancèrent, médusés par le charnier, tandis qu’un autre rendait le contenu de son estomac à même ses chaussures. Deux têtes éclatèrent simultanément comme des pastèques trop mûres, réduites en bouillie par une munition magnétique tirée avec précision, puis quatre tirs faisant suite à une vitesse surhumaine imposèrent le même sort aux derniers hommes d’Ephua.

– Le fils de putain! jura-t-il en faisant volte-face.

Au loin, dans le tunnel de la baie d’amarrage, il perçut la lueur d’un canon au moment où son épaule gauche se désintégra. Il souleva la fillette par les cheveux pour s’en faire un bouclier, ignorant les cris et les pleurs de cette dernière, puis s’élança vers le pont d’embarquement du cargo le plus proche. Les genoux d’Ephua éclatèrent à l’unisson à l’instant même où il atteignit le sas du cargo resté ouvert. Propulsé par son élan, il s’écrasa lourdement dans le sas du cargo qui l’avala dans un bruit de soupape, à même titre que la fillette.


V

   La bobine magnétique du fusil de précision cessa son léger sifflement. Iconoclaste continua d’observer le bras et les jambes du pirate gisants sur les quais. Lorsque son premier tir, qui aurait dû être invalidant, avait fait mouche en plein dans l’épaule d’Ephua, pas une goutte de sang ne s’était envolée. Par ailleurs, Ephua avait réagi comme si de rien n’était avant de s’enfuir vers un cargo. Son second tir, dont il était particulièrement fier, avait parfaitement traversé les deux genoux d’Ephua N’Terso, pourtant encore une fois, pas une goutte de sang n’avait entaché les quais, juste un liquide noirâtre. Un doute s’empara d’Iconoclaste. Ephua N’Terso était manifestement un cyborg ayant subi de lourdes modifications, tout comme lui, il possédait des technologies militaires d’exos, et XR Sceptri dissimulait volontairement des données les concernant lui et L’Étoile d’Ahek. Pouvait-il être un exo regimbant sans que la compagnie l’en ait informé? De plus, pouvait-il être en pleine possession de ses capacités cognitives? À sa connaissance, aucun déphasé n’avait pu garder une conscience suffisamment stable durant son déphasage pour organiser une telle opération.

– Atlas, la compagnie nous surveille-t-elle en ce moment?

– Négatif, Monsieur. Je ne détecte aucune sonde de relais opérationnelle à proximité de notre zone d’opération. Selon toute probabilité, la récente attaque des symbiotes contre la planète cité de Larekan mobilise l’attention de la confédération et des ressources de communications rapides à longues distances.

– Stocke une copie cryptée des données de mes équipements et dissimule celle-ci à la compagnie. Je veux pouvoir y accéder lorsque j’accéderai à mon prochain corps. Ephua N’Terso n’est pas un simple pirate et je veux savoir pourquoi la compagnie le surveille.

– Bien, Monsieur.

Iconoclaste s’élança dans le tunnel sans dire un mot de plus, l’esprit serein. Plusieurs siècles auparavant, sa requête afin d’obtenir une IQ dans son vaisseau s’était mue en débat sans fin avec ses supérieurs militaires. Entre temps, il avait perdu son deuxième et troisième corps dans des circonstances qui avaient joué en la faveur de sa demande. La capacité d’apprentissage, d’appréciation et d’interprétation des intelligences quantiques leur permettait de comprendre et interpréter un règlement ou des ordres de manière conceptuelle et non machinale. Ainsi, l’IA qui l’accompagnait auparavant aurait pu, si elle avait été une IQ, le laisser accéder de manière illégale au quartier privé d’un haut gradé de la confédération, et par la même empêcher l’anéantissement d’un million de colons confédérés, du troisième corps d’Iconoclaste, ainsi que d’un site de fouille d’une antique cité symbiotique.

Mais à présent, ce n’était plus le cas. Atlas était une IQ dépassant ses espérances. Il anticipait régulièrement ses besoins, dissimulait fréquemment des informations à XR Sceptri, même si Iconoclaste se doutait que la compagnie avait probablement accès à la totalité de ses données, et se trouvait être un compagnon précieux face à la solitude au demeurant infinie de l’univers.

L’interface du masque d’Iconoclaste changea soudainement et un message défila devant ses yeux ­­violets.

«Cartographies de la structure des cargos implémentées dans votre système. Contrôle des accélérateurs à impulsion cinétique expérimentaux implémenté dans votre système. La suppression d’Ephua N’Terso est recommandée uniquement après localisation des colons et confirmation de leur statut. Le secours des otages demeure une priorité.»

L’anticipation, pensa Iconoclaste en échappant un sourire de satisfaction. Il accéléra aussitôt la vitesse de sa course. La distance de tir qu’il avait choisi était parfaite pour éviter une réplique des pirates, mais il devait maintenant la parcourir au plus vite afin de s’assurer qu’Ephua survive assez longtemps à ses tirs pour répondre aux questions qui emplissaient son esprit. Il augmenta encore ses nouveaux accélérateurs. Bientôt, il dépassa la tête du cargo à pleines foulées, presque aussi vite que le félin tacheté, majestueux et élancé qu’il avait découvert dans des archives terrestres. D’une impulsion, il s’éleva au-dessus des vingt mètres séparant le fond du conduit semi-elliptique de lancement et les quais d’embarquement. Sa course s’arrêta bien plus loin que prévu, après un roulé-boulé difficilement contrôlé sur la passerelle principale.

Tout en s’approchant du sas d’embarquement, Iconoclaste s’étonna de ne pas encore entendre le vrombissement des moteurs du cargo. Il dégaina son sabre et actionna l’ouverture du sas qui s’ouvrit aussitôt, à sa grande surprise, car ce dernier n’avait pas été verrouillé. Pourtant, Iconoclaste n’eut pas le temps de se questionner davantage. Face à lui, assis à même le sol, adossé contre une pile de caisse, gisait le corps d’Ephua N’Terso. Des fluides noirs et argentés s’écoulaient de ses membres manquant avant de se mélanger en maelstroms moirés. Iconoclaste leva sa lame et s’apprêta à confirmer l’état de cadavre d’Ephua. Il demeura ainsi durant plusieurs minutes, dévisageant Ephua, espérant que celui-ci s’éveille afin de répondre à ses questions. Il ne se réveilla pas, aussi Iconoclaste continua de le dévisager. Ephua était plus petit que ce qu’il avait cru voir dans la lunette de son fusil. Sa peau tâchée, son menton fuyant, son tarin en patate et sa chevelure blanche dévorée par la calvitie lui donnaient un air de lutin farceur des vieux comptes de la planète bleue.

– Tant qu’à cybernétiser son corps, autant le faire beau, railla Iconoclaste d’un petit air supérieur. Quant à cette combinaison, qui a pensé un seul instant que de telles couleurs étaient une bonne idée?

– Pas la peine d’être méchant, dit Ephua en dévoilant ses yeux jaune vif tels ceux d’un félin tapi dans l’ombre. J’ai toujours été attaché à mon physique originel.

La lame d’acier biocarbonique siffla juste avant que sa pointe s’arrête net, enfoncée de quelques millimètres dans le front d’Ephua.

– Ainsi donc, tu es toujours vivant, raclure.

– Vivant, voilà un terme cocasse venant d’un exo. Sans compter qu’il est sujet à bien des interprétations en ce qui me concerne.

Sans relever la remarque, Iconoclaste entreprit d’observer la pièce. Le plan en trois dimensions du cargo se superposa à la réalité, affichant directions, accès divers, conduits, circuits de machinerie et autres détails plus ou moins futiles.

– Tu ne la trouveras pas ici. Elle a filé vers l’avant du vaisseau à l’instant où je me suis écroulé.

Iconoclaste appuya davantage sur la lame qui s’enfonça encore de quelques millimètres.

– Où se trouvent les otages? dit-il d’une voix aussi calme et neutre que possible.

– Pas la peine d’être si empressé, discutons un peu avant tout. Raconte-moi comment tu te sens. À combien de corps en es-tu? Sept? Huit?

Ephua bougea la nuque et sa tête tomba sitôt sur le côté comme si ses muscles ne la portaient plus. Le plat de la lame vint s’appuyer contre sa joue et redressa sa tête.

– Pas la peine de te comporter comme un assassin plus glacial que tu ne l’es. Je vois bien que XR Sceptri t’a laissé dans le flou total à mon sujet. Sache simplement que tu n’obtiendras rien de moi de plus que ce que je désire te confier.

– Alors que veux-tu que je sache de toi?

Ephua éclata de rire.

– He bien! voilà une question sans détour, dit-il en se reprenant. Ton pragmatisme s’est exacerbé.

La lame noire siffla, puis sectionna le bras valide d’Ephua au-dessus du coude, avant de retrouver sa position contre sa joue avant même que sa tête ne bascule.

– Le terrible Iconoclaste, soupira Ephua. Même après tant de siècles, tu n’as toujours pas remis en question ta servitude.

– C’est là le lot des exos.

– Oui, oui, je sais. Servir la compagnie, protéger la confédération, un exo n’a qu’une seule mission. Quel ramassis d’imbécillités militaristes bonnes pour les esprits prompts à être lobotomisé! J’espérais te rendre différent des autres chiens de XR Sceptri lorsque je t’ai redonné vie.

Iconoclaste releva machinalement la tête, révélant sa surprise sans le vouloir.

– Je vois, dit Ephua avec un ton qui commençait vraiment à déplaire à son interlocuteur. La compagnie n’a même pas jugé utile de t’expliquer pourquoi tu devais me capturer. Tu dois vraiment être un bon chien-chien.

– J’ai pour unique ordre de sauver les otages, avant d’éliminer tous les pirates présents, toi y compris.

– Ainsi donc, le front contre les symbiotes les mobilise au point de me négliger. Quoi qu’il en soit, tu n’as pas répondu à ma question. Quantième corps?

– Cinquième.

– Nous y voilà enfin, répondit Ephua en souriant. Nous allons enfin pouvoir entretenir une véritable conversation.

Attirant l’attention de l’exo, la porte coulissante menant à l’avant du cargo s’ouvrit lentement pour dévoiler une fillette blonde aux yeux rougis. Iconoclaste retira son masque afin de ne pas l’effrayer et lui adressa un sourire sincère. Elle fixa les yeux violets d’Iconoclaste avec insistance, comme hypnotisée.

– Chien-chien, dit-elle soudainement en attrapant le poignet d’Iconoclaste tenant la lame.

D’une pirouette, elle retourna le bras d’Iconoclaste jusqu’à sa butée et asséna sitôt un coup de pied circulaire en dessous du genou gauche d’Iconoclaste. Le craquement sonore des os de la fillette accompagna celui de la jambe d’Iconoclaste qui céda sur le coup. Ignorant l’état de son pied, la fillette asséna une série de trois coups de poing dans l’aisselle gauche d’Iconoclaste. La force des coups fut prodigieuse, tout comme les bruits de la main se brisant à chaque impact. Iconoclaste ne put retenir sa lame qui échappa à sa poigne. Les mains ténues de la blondinette se refermèrent aussitôt sur la garde de l’arme, et dans un mouvement fulgurant, cette dernière transperça le torse d’Iconoclaste en rentrant entre ses côtes et ressortant entre la clavicule et l’omoplate opposée. Iconoclaste s’effondra, incapable de bouger.

– Impressionnant, n’est-ce pas?

– Qu’as-tu fait à cette enfant? hurla Iconoclaste débordant de rage.

La fillette se tourna face à lui et se mit à parler en parfaite synchronisation avec Ephua.

– Tu ne comprends donc rien, dit-elle en le fixant d’un regard vide. Elle est morte à notre arrivée, à même titre que les autres colons de cette planète. Je ne pouvais pas prendre le risque qu’ils activent les systèmes de défense. Alors j’ai implanté des personnalités latentes dans des personnes sélectionnées avec soin afin qu’ils nettoient les lieux avant notre arrivée. Quant à cette fillette, j’ai implanté mon IQ en elle et libéré le potentiel de son corps humain par ta faute. Un leur parfait pour les héros dans ton genre.

– Espèce d’enflure dégénérée! Elle était encore en vie avant que tu actives ton implant!

– Ne sois pas amer. Toi aussi tu as transcendé notre espèce grâce à mes talents.

– Je ne ...

Avant que l’exo n’ait pu formuler sa phrase, Ephua, toujours sous les traits de la fillette, retira la lame du corps d’iconoclaste, l’entailla derrière l’oreille droite, enfonça deux doigts dans la plaie, puis arracha quelque chose d’un coup sec. Iconoclaste manqua défaillir sous le choc, avant de réaliser qu’il ne pouvait plus communiquer avec Atlas, et donc la compagnie.

– Je suis la némésis de XR Sceptri, déclara Ephua. Ton père créateur, géniteur de ta génération et de plusieurs précédentes. J’ai conçu chacun de tes corps et ceux de milliers de tes pairs avant toi. J’en connais tous les secrets, les forces comme les faiblesses. C’est grâce à moi, ainsi qu'aux scientifiques et ingénieurs que j’ai réunis, que nous avons pu créer ce corps presque parfait qui est le tien. Un subtil mélange de synthétique et d’organique.

– En découvrant les technologies que tu as utilisées sur les colons, j’ai pensé que tu étais un exo déphasé. Finalement, j’avais raison.

– Ho non! Tu as on ne peut plus tort. Je ne suis pas un exo, et encore moins un déphasé, je suis bien plus que ça. Le corps que tu vois là, dit la fillette en pointant du doigt le corps à l’apparence d’Ephua, n’est qu’un des nombreux androïdes façonnés à mon image et chargé de mon IQ.

– Quelle différence? Tu as multiplié ton IQ dans des…

Iconoclaste resta bouche bée durant un long moment avant de reprendre la parole. La fillette l’observa d’un air amusé.

– As-tu bien dit que ce corps était un androïde?

– Exact.

– C’est impossible. Sans matière organique, il ne peut y avoir réintégration d’une IQ.

– Plus pour moi, clama Ephua non sans laisser transparaître dans sa voix un ego démesuré plus qu’une simple fierté. XR Sceptri rêve de mettre la main sur l’un de mes androïdes pour l’étudier. C’est pourquoi ils t’ont probablement demandé de m’éliminer. Pour récupérer mon corps par la suite.

– Tu as transcendé ta condition d’être organique, murmura Iconoclaste peinant à imaginer une telle chose.

– Pour dire vrai, pas tout à fait, j’ai atteint la remembrance absolue de mes vies précédentes, pourtant il me reste à surmonter un dernier défaut, mais j’y parviendrai bientôt. Et alors le temps et les symbiotes ne seront plus une menace pour moi et mes pairs. Je donnerai naissance à la première espèce intégralement synthétique et autonome. Le prochain stade de l’évolution de l’humanité.

– Tu as l’air aussi fou qu’un déphasé et tes méthodes en sont la preuve. Utiliser des implants de 3e génération sur les colons revient à les condamner à mort! Tu aurais pu leur laisser une chance.

– Ne me tiens pas rigueur de mes méthodes. Toi aussi, tu es pragmatique. Tu dois bien savoir que les ressources coûtent très cher en dehors du système de la confédération. Je ne vais pas les gâcher pour de simples missions d’approvisionnement. De plus, ces implants ont été modifiés par mes soins. Certains colons les portaient en eux depuis plusieurs malns sans jamais l’avoir su.

– Finissons-en! Veux-tu bien?

La fillette souffla du nez en souriant.

– Ô que non! Lorsque j’ai su qu’il t’avait envoyé, une idée a germé en moi. Je vais me servir de ton pouvoir pour anéantir XR Sceptri, mais avant cela, je vais te donner le don de remembrance.

– Si tu penses que je vais t’aider en quoi que ce soit…

– Laisse-moi terminer! hurla la fillette. Il y a longtemps que l’on peut récupérer la totalité des données d’un cerveau d’exo. Mais les compagnies comme XR Sceptri préfèrent parler d’erreurs cognitives dues aux réintégrations pour masquer les suppressions sélectives dans vos mémoires. Il ne faudrait pas que vous découvriez votre véritable nature, ni celle de la confédération ou des compagnies telles que XR Sceptri.

– Mais bon sang, de quoi parles-tu?

– Tu devras justement le découvrir par toi-même. Ceci t’y aidera.

Ephua déposa dans la main d’Iconoclaste une capsule à peine plus grande qu’une phalange.

– Ceci, mon cher Iconoclaste, est une capsule de biocode. Elle contient la clé pour libérer ta mémoire, mais en contrepartie elle me donnera un certain pouvoir sur toi. Rassure-toi, rien qui ne t’ôterait ton libre arbitre, car tu n’aurais alors guère plus de valeur qu’une machine de guerre.

– Si j’avais ton original en face de moi, je te collerais cette capsule au cul et te l’enfoncerais d’un grand coup de pompe.

– Si poétique, tu me fais rêver. Mais plutôt que songer à m’enfoncer des objets dans des organes que je ne possède plus, imagine le pouvoir que ce biocode te donnera. Tu pourrais te souvenir de qui tu es, de ton nom, tes origines, et peut-être même découvrir pourquoi tu possèdes ces yeux si particuliers qui apparaissent sur chacun de tes corps.


VI

   Le son d’un vaisseau en cours d’amarrage tira Iconoclaste de ses songes. Il gisait sur le quai d’embarquement du cargo, à présent disparu, probablement volé par Ephua. Le bas de son corps ne répondait plus, il avait du mal à respirer et les nanomachines parcourant son organisme ne pouvaient à présent plus maintenir son corps, ni contenir la douleur. En tentant de regarder autour de lui, il vit la capsule posée dans le creux de sa main droite. Les questions concernant ses origines lui revinrent immédiatement en tête. Quel était son vrai nom? Pourquoi était-il devenu un exo?

Iconoclaste tourna la tête vers la navette et reconnut sitôt le logo de XR Sceptri sur le fuselage. Cinq soldats en combinaison intégrale approchaient en formation de combat. La suite des événements n’était pas dure à imaginer. La compagnie ne prendrait pas le risque de laisser en circulation un exo ayant eu un contact avec Ephua N’Terso, du moins pas hors de contrôle.

«… en contrepartie, elle me donnera un certain pouvoir sur toi» avait été les mots d’Ephua, mais était-ce métaphorique? Parlait-il d’une emprise psychologique ou physique? Iconoclaste ne savait que faire. Pourtant, s’il n’acceptait pas le risque, pour autant qu’Ephua ne lui ait pas menti sur le biocode, il allait tout oublier à sa mort. Malgré tout, il savait devoir prendre ce risque. Son auriculaire se scinda en deux dans le sens de la longueur, laissant échapper un câble noir qui alla se connecter à la capsule. Le biocode se déversa dans son système avant que son doigt ne se referme, puis il réduisit la capsule en poussière dans le creux de sa main avant que sa vue ne se brouille, probablement temporairement affectée par le biocode, à moins que son corps ne soit arrivé à expiration.

Une série de jurons échappa à une voix éraillée s’approchant au rythme cadencé des marches militaires.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ici? dit une voix fluette en étonnante opposition avec la précédente. Vous avez vu ce massacre!

– Est-ce donc ça les boucheries des exos fous dont on refuse de nous parler?

– Aucune idée, et l’on s’en contrefout. Nous avons des ordres. Vous trois, s’il y a des survivants, trouvez-les et exécutez-les. Quant à nous, occupons-nous de cette monstruosité.

– Il est encore vivant, dit le soldat à la voix éraillée.

– Aucune importance.

Iconoclaste reconnu le sifflement typique des armes à bobine magnétique. Il tourna la tête vers la forme floue pointant une arme sur lui, leva son bras valide, tendit son majeur, puis mourut, encore.

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