Chapitre 14

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Le blanc du Capitole miroitait sous le soleil chaleureux de ce début de semaine. Les deux cents sénateurs et représentants étaient attendus dans l’hémicycle de la salle des séances de la Chambre basse[1]. Aujourd’hui, Lamont allait présenter la version finale de sa seconde loi sur la déontologie familiale. Après avoir remis à leur place les journalistes, les juges, les politiciens, les étrangers et les pays du monde, c’était au tour de la famille, notamment des femmes, de retrouver leur juste place. Sa réforme allait faire grincer des dents, il en était certain. Peu lui importait. Il était le président. Il savait mieux que quiconque ce qui était bénéfique pour les Américains. C’était lui qui décidait, point barre.

Pour l’heure, il était dans le bureau du vice-président au sénat, un verre de whisky à la main. Ken était en face de lui ainsi qu’Eric Tomp, le Secrétaire à la Santé et aux Services Sociaux. Comme d’habitude, ils avaient préparé l’intervention de Lamont. Pourtant, tous les trois savaient que cela ne servait pas à grand-chose puisque le président avait l’habitude de s’écarter ― et pas qu’un peu ― des discours qu’on lui écrivait.

― Tu as encore bien travaillé, mon cher Ken, déclara Lamont. Ça va être une joie de remettre en place toutes les femmes. Nos ancêtres ont fait une erreur monumentale en leur permettant de travailler. Aujourd’hui, je vais réparer cela.

― Attends-toi à quelques propos véhéments de celles qui siègent au Congrès, indiqua Ken.

Lamont avait réussi à faire baisser drastiquement le nombre de sénatrices et de représentantes. Elles n’étaient plus qu’une quinzaine. C’était encore trop. Elles n’avaient rien à faire là, n’avaient pas l’intelligence pour voter les lois, occupaient la place d’un homme bien plus apte à gérer la pression politique.

― Qu’elles gueulent si elles veulent ! Mais elles feront ce que je leur ordonne de faire. Sinon, quelques mois en prison leur rabattront leur caquet. Une femme, c’est comme une boule de bowling : je la prends et je la tire.

― Une boule de bowling compte quatre trous, la femme trois seulement, répliqua Ken.

― Non, cinq. La chatte, le fion, la bouche et les deux narines. Je fous un doigt dans la première, un dans le deuxième, ma bite dans la troisième et je pince les narines afin qu’elle s’asphyxie quand je lui enfournerai mon chibre bien profond dans sa gueule.

Lamont rit à gorge déployée. Ken et Eric furent plus discrets. Ils partageaient la même opinion concernant le rôle et la place de la femme. Par contre, ils ne les voyaient pas comme des objets, comme le faisait Lamont.

On frappa à la porte. Un gros accesseur chauve en costume cravate fit son entrée.

― Monsieur le Président, le Congrès vous attend, annonça-t-il.

Lamont se leva, suivi de ses deux comparses.

― Allons clacher quelques donzelles, s’enthousiasma Lamont.

Les quelques quatre cent cinquante places de la salle des séances de la Chambre des représentants étaient loin d’être occupées. Et pour cause : Lamont avait drastiquement diminué le nombre de représentants à cent. L’or et le bois étaient omniprésents. Par contre, Lamont estimait qu’il manquait du marbre. Il avait fait retirer les vingt-trois portraits des plus célèbres législateurs de l’histoire, estimant qu’il était le seul digne d’y figurer. Il était loin devant Napoléon Premier, Thomas Jefferson et Saint Louis. Même Moïse faisait pale figure par rapport à lui.

Il grimpa sur l’estrade face à l’hémicycle. Le drapeau américain était étendu derrière lui. D’un mouvement de tête, il ordonna qu’on éteigne les lustres de l’immense salle, ne laissant que ceux qui l’éclairaient. Son one-man-show pouvait commencer.

Pendant une demi-heure, il présenta la loi de déontologie familiale, deuxième du nom. Le silence écouta son discours. Quelques murmures le troublèrent quand il évoqua la fin du travail pour les femmes avec enfant. Il fut même déçu qu’il n’y en est pas plus. Mais il savait qu’il avait planté la graine des futures protestations féminines et, peut-être, de quelques hommes émasculés par leur femme. Qu’ils viennent, il les attendait de pieds fermes.

― Messieurs et mesdames, comprenez bien que personne, je dis bien personne, ne peut sauver ce fondement qu’est la famille mieux que Lamont Pudd. La famille s’est désagrégée au fils des décennies, au fils des différentes politiques mises en place par mes prédécesseurs. Je me dois de la remettre debout, de lui rendre sa magnificence.

« Aujourd’hui, on divorce pour un rien. On balaie les fondements de la famille comme on balaie sa salle à manger. Le mariage est une promesse qu’on fait devant Dieu. Jamais dans la Bible, le divorce n’est évoqué. Car le divorce n’a pas lieu d’être. Quand une femme se lie à un homme, c’est pour toujours. Quand une femme prononce ses vœux maritaux, c’est pour les suivre, les honorer. Elle doit obéissance à son mari. Elle doit l’aider à faire vivre sa famille, doit délester son époux des taches qui empêcherait son homme de ramener de quoi vivre, de quoi nourrir les siens. Il n’est dit nulle part dans les textes sacrés que la femme doit travailler. Au contraire, elle doit s’occuper de la maison, élever les enfants.

« Cette loi vise à rendre sa place à chacun, une place juste, que chacun et chacune sache ce que j’attends de lui et d’elle. Il est vital que vous l’adoptiez. Car il en va de l’avenir de nos enfants, de notre nation, du monde.

Lamont aboya les derniers mots, transporté par ses propres paroles. Bras écartés, il s’offrit à son auditoire. Il n’y avait pas à dire, il était un orateur hors pair.

La lumière se ralluma, éclairant les visages médusés des politiciens. Quelques maigres applaudissements accueillirent la fin de son discours. Mais ils moururent très vite.

Super, je vais avoir de l’opposition. Le combat peut commencer ! s’enthousiasma Lamont.

― Monsieur le Président, c’est une blague ! répliqua Rohan Trich.

― Bien sûr que non, monsieur le président pro tempore du Sénat. Je suis on ne peut plus sérieux. La femme est la seule à pouvoir porter les enfants. Elle les couve pendant neuf mois. Vous voudriez que je retire à nos enfants celle qui les a mis au monde. Si Dieu a estimé que seules elles étaient habilitées à enfanter, c’est qu’Il leur réservait ce rôle d’élever nos progénitures. Je ne fais que me plier aux exigences de Notre Seigneur.

Une grosse bonne femme aux cheveux blancs fraîchement permanentés se leva. Elle n’était pas très grande. Pas très belle non plus. Lamont estima qu’elle devait avoir plus de soixante ans. Trop vieille pour lui.

― Monsieur le Président, j’ai mis au monde cinq enfants. Aujourd’hui, ils sont grands. Quel rôle comptez-vous me donner maintenant ?

Pas celui d’une politicienne !

― Madame Howard, je crois savoir que votre plus jeune fille est enceinte pour la première fois. Elle aura besoin de votre expérience de mère pour la seconder. Et que dire de vos sept petits-garçons et petites-filles. Ils ont aussi besoin de leur grand-mère. Éduquez-les, aidez-les à grandir dans les valeurs de notre démocratie.

― Ne suis-je bonne qu’à cela, selon vous ?

Oui, tout à fait.

― Je sais que c’est une question qu’on ne pose pas à une femme mais, quel âge avez-vous ?

― Moins que vous, monsieur le Président !

― Vous avez cependant largement gagné le droit de profiter d’une retraite paisible. Comme vous l’avez dit, vous avez donné le jour à cinq enfants. C’est un énorme travail. Vous méritez amplement le droit de vous reposer aujourd’hui. C’est ce que je vous offre.

― Je n’en ai pas envie. J’aime être au service de notre communauté.

― Devenez bénévole. Il y a pléthore d’associations qui réclament des gens de votre expérience. Aidez-les et laissez les hommes de ce pays s’occuper de la politique, de ramener l’argent dans les foyers.

― Mais je ne veux pas ! contra Jenifer Howard.

― Vous le ferez. Point barre !

― Monsieur le…, tenta un représentant fraîchement élu au gabarit de baleine.

― J’ai dit « point barre », monsieur Boyd. Vous apprendrez que, lorsque je dis « point barre », les discussions doivent cesser sur-le-champ. Le temps du vote est arrivé.

Lamont abandonna son interlocuteur pour embrasser la foule des représentants et sénateurs.

― Je vous rappelle que cette loi est fondamentale pour notre pays, pour les concitoyens qui vous ont élus, reprit-il. Faites le bon choix.

Sinon vous rejoindrez les prochaines commémorations de la Saint Justin ! se réjouit-il en silence.

Sans aucune surprise, la loi fut adoptée à l’unanimité. Lamont quitta l’hémicycle, laissant les politiciens discutailler d’autres projets subalternes dont il se contrefichait.

― Joli discours, Lamont, le félicita Ken. Comme d’habitude, pas celui qu’on t’avait écrit mais bon, le résultat est là.

― Et de ton côté, quels résultats ? As-tu mis la main sur mon fils ?

― Pas encore.

― Qu’est-ce que tu fous ?

― Visiblement, Craig a réussi à lui retourner la tête. Une fusillade a éclaté hier chez son oncle. Il a réussi à tuer un de nos hommes.

Lamont pila et se planta devant Ken. Il était furieux, le regard glacial.

― Comment ça, une fusillade ? Tes hommes ont tiré sur mon fils ?

― Ils ont riposté à son attaque.

― S’il arrive quoi que ce soit à Nick, je te jure que tu le paieras !

― J’avais compris la première fois que tu me l’as dit.

― Apparemment pas car tes hommes ont tiré sur mon gamin. Tu vas fissa regagner ton bureau et leur intimer l’ordre de ne pas toucher à un seul cheveu de Nick. Je le veux vivant, sans aucune égratignure d’ici vingt-quatre heures. Après, Saint Justin aura un invité de marque l’année prochaine !

Lamont quitta le Capitole, laissant son vice-président méditer ses paroles.

[1] Le Congrès américain est formé de deux chambres : celle des Représentants dite chambre basse et celle des Sénateurs, dite chambre haute.

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