Chapitre 11

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Keith et Nick rattrapèrent l’I-90 au niveau de Rockford. Ils quittèrent l’Illinois, traversèrent une partie du Wisconsin. Arrivés à Tomah, ils bifurquèrent sur l’I-94 en direction de Minneapolis, dans le Minnesota.

Nick se demandait comment Keith comptait les faire traverser la frontière américano-canadienne. Son père avait décidé d’ériger un mur le long des huit mille neuf cents kilomètres qui séparaient les deux pays. C’étaient ses représailles après avoir constaté que les immigrés, notamment des pays arabes, passaient par le Canada pour entrer aux États-Unis. Pour l’heure, seule la moitié avait été construite. Mais les principaux points de passage étaient doublement gardés.

Après plus de cinq heures de route, ils arrivèrent dans celle qui formait les Twin Cities[1] avec sa voisine Saint-Paul. Le Guthrie Theater, le plus célèbre théâtre de la ville, avait fermé ses portes comme bon nombre d’établissements culturels à travers le pays. Le président estimait que la culture n’apportait rien au peuple à part du rêve. Or, ce n’était pas ce dont avaient besoin les Américains. Ils voulaient du travail et de la sécurité. Aussi avait-il supprimé toutes les aides financières et fortement taxé chaque spectacle. L’hécatombe avait été nationale : pléthore de cinémas, théâtres, salles de concert et musées avaient mis la clef sous la porte.

Étonnamment, il n’avait pas procédé de même avec le sport. Celui-ci n’apportait pourtant que du rêve. Mais Lamont aimait le sport. C’était un grand amateur de catch. Il était propriétaire de la World Wrestling Entertainment[2]. Il assistait à une multitude de matchs pendant l’année. À cela s’ajoutait le fait que, s’il supprimait le sport, il ne pourrait plus organiser les jeux de la commémoration de la Saint Justin qu’il voyait comme une compétition sportive où la défaite était synonyme de mort.

Keith et Nick se débusquèrent une pizzeria où ils dînèrent en silence. Puis ils s’enfermèrent dans une chambre d’un Holiday Inn Express[3].

Le vert et le wengé étaient de mise. Les rideaux de la baie vitrée et le mur où était adossé les deux lits étaient anis. Les meubles ainsi qu’une tête de lit haute étaient wengé. Quant à la moquette, elle reprenait les deux coloris sous forme de larges bandes.

Keith s’endormit en posant la tête sur l’oreiller. Un vestige de l’époque où il faisait partie des forces spéciales : il avait appris à trouver le sommeil en quelques secondes, à profiter du moindre moment de calme pour se reposer.

Par contre, Nick tourna et se retourna, ne parvenant pas à fermer l’œil. Il pensait à Sam. Il priait pour qu’elle aille bien. Elle devait s’inquiéter pour lui. Sa mère et sa petite sœur aussi. Il fallait qu’il les rassure.

Quand il entendit son colocataire ronfloter, il quitta la chambre sur la pointe des pieds et gagna le hall d’accueil. Il pénétra dans la cabine téléphonique.

― Allo, maman.

― Oh mon Dieu ! Nick ! Où es-tu ?

― Je vais bien, ne t’inquiète pas.

― Mais bien sûr que je m’inquiète. Tu es mon fils !

― Je n’ai rien.

― Où es-tu ? répéta Diana.

― À Minneapolis.

― Dans le Minnesota ! Mais qu’est-ce que tu fais là-bas ?

― Je suis avec un agent du FBI. Quelqu’un essaie de me tuer.

― Tu te fous de moi ?

― Malheureusement non. On m’a tiré dessus devant le lycée.

― Ça, je sais. Mais rien ne prouve que ce soit toi qui étais visé.

― Plus tard, nous étions dans une planque du FBI quand quatre sbires sont venus pour m’exécuter. Maman, je te jure que je ne mens pas.

― Mais qui voudrait ta mort ?

― D’après Keith…

― Keith ?

― L’agent Keith Craig. C’était le supérieur de Laurel et Hardy. C’est grâce à lui que je suis toujours vivant.

― On m’en a parlé.

― Qui ça on ?

― Les services secrets bien sûr. Cet homme n’est pas celui qu’il prétend être. C’est un tueur déséquilibré.

― Mais puisque je te dis qu’il m’a sauvé la vie. S’il voulait ma peau, il avait tout le loisir pour ça.

― D’après les fédéraux, il t’a enlevé pour soutirer une rançon.

― Monsieur Shelton… Nick… je suis le chef Sanders du FBI. Vous allez m’écouter très attentivement. L’agent Craig ne fait plus partie de nos employés. En restant avec lui, vous mettez votre vie en danger. S’il vous plait, dites-moi où vous vous trouvez exactement afin que j’envoie mes hommes vous récupérer.

Nick ne savait plus qui croire. Keith l’avait protégé contre Peterson et ses acolytes. En même temps, il n’était pas sûr de croire les explications de Keith concernant sa présence inopinée près du lycée. Que faire ? À qui faire confiance ?

― Mon garçon, tu es toujours là ? s’enquit Sanders devant le silence de Nick.

― Oui, répondit celui-ci. Monsieur Sanders, on m’a tiré dessus devant mon lycée. Puis sur la route. Connaissez-vous un certain Peterson, Anton Peterson ? Il nous a mitraillés avec ses hommes.

― Ce n’est pas possible. L’agent Peterson fait partie des forces spéciales. Pourquoi en voudrait-il à votre peau ? Vous devez vous tromper.

― Si vous voyiez l’état de la carrosserie de notre voiture, vous comprendriez que je ne mens pas. Peterson l’a criblée de balles.

― Nous tenterons d’éclaircir cela quand nous vous aurons récupéré. Est-ce que vous êtes bien à l’Holiday Inn de Minneapolis ?

Merde !

Nick raccrocha. Il resta planté dans la cabine, tentant de remettre ses idées en place. Tout se bousculait dans son esprit. Qui lui disait la vérité ? Keith ou Sanders ? Le premier avait risqué sa vie pour lui. S’il voulait réellement une rançon comme Sanders le supposait, il aurait déjà fait sa demande. Il avait eu tout le temps pour cela quand ils étaient dans la planque de Byron.

Concernant Sanders, celui-ci était peut-être plus à même de le protéger. Sa survie ne reposerait plus sur un seul homme mais sur une kyrielle. Il ne remettait pas en doute les compétences de Keith. Mais l’agent ne pouvait rester sur ses gardes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D’ailleurs, Nick lui avait déjà faussé compagnie deux fois. Son protecteur ne l’avait même pas entendu quitter la chambre.

Maintenant, Keith pensait qu’il y avait une taupe au sein du service. Et si c’était Sanders ?

Il resta de longues minutes à sauter d’un pied à l’autre, ne sachant auquel faire confiance. Finalement, il fit son choix. Il espérait qu’il ne se trompait pas. Il n’avait aucunement envie de finir avec une balle dans la tête.

Il monta quatre à quatre les marches jusqu’au deuxième étage. Avec sa carte, il ouvrit la porte et se jeta sur le matelas de Keith tel un gamin dans le lit de ses parents.

― Réveillez-vous, hurla-t-il. Je crois que j’ai fait une connerie.

― Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Keith d’une voix parfaitement réveillée.

― J’ai appelé ma mère. Il y avait votre chef, l’agent Sanders. Il sait que je suis avec vous et où nous sommes.

― Sombre crétin !

Keith enfila ses chaussures et sa veste de costume. Puis il agrippa Nick par le bras et l’entraîna dehors. Ils retrouvèrent leur voiture et partirent sans attendre.

― Qu’est-ce qui t’as pris d’appeler ta mère ? aboya Keith.

― Je voulais la rassurer, lui dire que j’allais bien.

― Au temps pour moi, répondit l’agent, penaud d’avoir hurler sur Nick. J’aurais dû y penser et te laisser lui téléphoner d’ailleurs, de quelque part sur la route.

― Est-ce que c’est vrai que vous n’êtes plus membre du FBI ?

Keith baragouina quelques sons inintelligibles. Visiblement, il ne s’attendait pas à cette question.

― Je me suis mis en congé, confia-t-il. J’ai perdu ma femme il y a un an. Tué par un chauffard ivre. J’ai chopé le gars et l’ai… enfin, il n’était pas beau à voir après. On m’a mis à pied. Puis j’ai décidé de prendre du recul et de m’occuper de ma fille.

― Je suis désolé. Mais vous m’avez menti. Comment pourrais-je vous croire ?

― Je t’ai juste caché que je ne faisais plus partie du FBI. Mais n’oublie pas que je t’ai sauvé la vie cet après-midi. Écoute Nick, je ne sais pas qui veut ta peau. Mais je vais tout faire pour te protéger.

― Peut-être que Sanders pourrait le faire ?

― Greg Sanders est un incapable !

― C’était votre supérieur.

― Il n’a jamais mis les pieds sur le terrain. Il doit sa place au fait qu’il sait qui brosser dans le sens du poil.

― Est-ce qu’il pourrait être dans le coup ? s’inquiéta Nick en pensant à sa mère et sa sœur.

― J’en doute. Il est tellement con ! Maintenant, peut-être qu’on le manipule. Ça, c’est tout à fait possible.

― J’ai fait une belle connerie en l’appelant.

― Je ne te le fais pas dire.

― Merci de me remonter le moral !

― Je ne suis pas là pour ça !

Ils serpentèrent dans les rues de Minneapolis pendant une bonne demi-heure, jusqu’à ce que Keith déniche un drug-store ouvert la nuit.

― J’ai un achat à faire, indiqua le policier.

Il pénétra dans le magasin, en ressortit cinq minutes plus tard avec un téléphone prépayé.

― Vous croyez que c’est prudent ? s’inquiéta Nick.

― Il faut que j’appelle chez moi. Quel que soit le rôle de Sanders dans cette histoire, il sait que nous sommes ensemble. Il pourrait s’en prendre à ma fille pour me faire chanter. Je dois la mettre en sécurité.

Il pianota sur les touches et porta l’appareil à son oreille.

― Peter, ici Keith. Fort Alamo.

Il raccrocha.

― C’était un code ? questionna Nick.

― Oui. Que j’ai mis au point avec Peter. C’est un ancien collègue des forces spéciales. C’est même mon meilleur ami. Je viens de lui ordonner de mettre à l’abri Louise, ma fille, jusqu’à nouvel ordre.

― Je suis désolé si j’ai mis sa vie en danger.

― Tout ira bien.

Même si la géographie n’était pas le point fort de Nick, celui-ci savait que l’un des accès au Canada se faisait par Pembina. Or, Keith avait pris la direction de l’Iowa, largement au sud du pays des caribous.

― Où est-ce qu’on va ? Vous vous trompez de route.

― Sanders est peut-être un idiot mais pas ceux qui l’entourent. En apprenant que nous étions à Minneapolis, ils ont dû comprendre que nous cherchions à rejoindre le Canada. Donc nous allons dans la direction diamétralement opposée. Je te conduis au Mexique.

Là aussi un mur avait été construit. Il était même terminé. Il s’étendait le long de la frontière américano-mexicaine. Il n’y avait que sept passages possibles. Le problème serait d’en traverser un. Car, aux dires du président, entrer aux États-Unis ou en sortir relevait du miracle. Dans le premier cas, les douaniers américains ne laissaient passer que ceux ― et ils étaient rares vu les lois drastiques sur l’immigration ― qui avaient un visa. Dans l’autre sens, c’était tout aussi compliqué, les Mexicains renvoyant la pareille aux Américains.

― Je présume qu’on va réussir à passer ? se moqua Nick en reprenant la formule de Keith concernant leur traversée de la frontière canadienne.

― Tu en doutes ? Pas moi.

Nick ne vit pas le voile d’inquiétude qui passa devant les yeux de son conducteur. Pourtant, Keith se demandait vraiment comment ils allaient se débrouiller. Car, si le mur avec le Canada offrait encore de nombreux points d’entrée et de sortie, ce n’était pas le cas avec celui du Mexique. À cela s’ajoutait le fait que Keith ne connaissait aucun des agents des douanes.

Il allait falloir la jouer serrée.

Si cela était possible !


[1] Minneapolis est voisine de Saint-Paul, la capitale du Minnesota. Ensemble, elles forment la seizième plus grande agglomération des États-Unis que l’on surnomme les Twin Cities soit les villes jumelles.

[2] Plus grande entreprise au monde proposant des matchs de catch.

[3] Chaîne d’hôtels américaine qui s’est internationalisée au fils des années.

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