Chapitre 5

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C’était son quatrième jour à l’institut de réorientation sexuelle de Knoxville. En fait d’institut, il s’agissait plutôt d’une prison qui cachait bien son nom. Il se situait en dehors de la ville, au bord du lac Dardanelle. Celui-ci servait de barrière naturelle à l’ouest, une double rangée de grillages bloquant les trois autres points cardinaux. Les surveillants, tous des militaires, étaient solidement armés. Les patients-prisonniers étaient répartis dans trois baraquements en bois. Ils étaient une trentaine, tous très jeunes. Il n’y avait que des hommes, aucune femme, ce que Brian trouva étonnant quand on savait que le but du traitement était de les faire s’aimer. Le mieux aurait été de les mélanger afin que la testostérone se mêle aux estrogènes. Mais bon, il n’était pas psychiatre après tout.

Il était à peine huit heures. Pourtant, cela faisait deux heures qu’il était levé. La journée avait commencé par une randonnée au pas de course autour du camp. Puis, courte messe pendant laquelle le révérend Reynolds leur avait rappelé la parole de Dieu concernant les liens homme-femme. Maintenant, les condamnés en étaient au petit-déjeuner : café, deux tartines chacun et un minuscule carré de beurre.

Bien qu’ils puent tous la transpiration, l’heure de la douche n’avait pas sonné. Les médecins voulaient qu’ils restent dans leur sueur, dans leurs hormones de mâle.

Sitôt arrivé, Brian avait été présenté au directeur de l’institut. Conrad Barnes avait une trentaine d’années. Comme le juge Caldwell, il souriait constamment. Ses cheveux bruns étaient coupés à la brosse. Sa peau était hâlée, magnifiant un joli minois.

― Mon cher Brian ― tu permets que je t’appelle ainsi ? ―, tu souffres d’un mal que la foi réprouve, avait-il commencé. Je sais ce que tu ressens. J’étais comme toi auparavant. Mais je me suis soigné. Aujourd’hui, j’ai une épouse, deux enfants, et je suis heureux en tant qu’hétérosexuel. Mon objectif, ton objectif, est de te remettre sur la route que Notre Seigneur a tracé pour toi, celle où tu aimeras et chériras une femme.

Je chéris ma mère. Je chéris ma sœur. J’ai nombre d’amies filles que je chéris. Mais je ne me suis jamais imaginé leur faisant l’amour. Avec un homme oui, pas avec une femme.

― Combien de temps devrai-je rester ici ?

― Tout dépend de tes progrès. Ça peut être un mois comme six.

― Et si au bout de six mois je ne suis pas guéri.

― Ne pars pas défaitiste. Nous avons un excellent taux de réussite. Je suis certain que nous parviendrons à te remettre sur le droit chemin, celui que Dieu a édicté pour chaque homme.

― C’est vous qui déciderez si je suis guéri ?

― Tout à fait. Mais je ne serai pas seul. Tu vas être suivi par des médecins, par des membres de l’église. Nous nous réunissons régulièrement pour faire le point sur chaque malade. C’est une décision collégiale.

Un ange passa. Brian scrutait le directeur, ne sachant trop quoi penser de celui-ci. Son sourire le gênait. Il ne le trouvait pas naturel.

― Pour que je puisse adapter ton emploi du temps, j’aurais besoin que tu répondes à ces quelques questions. Es-tu d’accord ?

Ai-je le choix ?

― Oui, concéda Brian.

― As-tu déjà embrassé un garçon ?

― Oui.

― Avec la langue ?

― Oui.

― As-tu déjà fait une fellation à ton partenaire ?

― Oui.

― T’a-t-on déjà fait une fellation ?

― Oui.

― Et pour la sodomie ?

― Oui, moi sur mon copain.

― Jamais l’inverse ?

― Non.

― As-tu déjà eu une relation continue avec un homme ?

― Oui, avec mon ex-copain.

― Pendant combien de temps ?

― Six mois.

― Quand avez-vous rompu ?

― Nous n’avons pas officiellement rompu. Mais comme je suis ici par sa faute, je ne veux plus en entendre parler.

― Tu es ici car tu es homosexuel, contra Conrad.

― Lui aussi. Pourtant il n’est pas ici.

― Remets-tu en cause la décision du juge ?

Oui. Mais je ne peux pas te le dire, tu sais très bien que je m’exposerai à de très lourdes sanctions ! Foutue justice de merde !

― Non. Il a apporté des garanties contrairement à moi.

― Je préfère ce comportement.

Nouveau silence. Conrad analysait les réponses, tout en mordillant un stylo déjà bien mâchouillé.

― Très bien. Ton profil me semble relativement classique. Tu devrais parfaitement bien répondre à la thérapie que nous avons mise en place à Action for Love.

― Ça pourrait aller vite ?

― Certainement. Mais nous aurons l’occasion d’en discuter dans les prochains jours. Pour l’instant, voilà comment se dérouleront tes journées.

Il se leva et se dirigea vers un tableau sur la droite du bureau. Il prit une baguette et désigna chaque élément à mesure qu’il les citait.

― Lever à six heures. Une heure de sport, prière, trente minutes pour petit-déjeuner, thérapie de groupe, thérapie individuelle, prière, déjeuner à midi pile, activités de masculinisation, thérapie spécifique si nécessaire, prière, dîner, film, prière puis coucher, aux environs de dix heures trente. C’est clair ?

― Oui.

― Très bien. Nous allons te montrer où tu vas loger durant ta convalescence.

Un infirmier était entré et l’avait emmené dans le baraquement un. Les lits étaient alignés les uns à côté des autres, séparés de deux mètres, avec une armoire en guise de tête de lit. Il avait dû se déshabiller entièrement avant d’enfiler la tenue règlementaire : pantalon en toile beige, tee-shirt bleu marine et escadrilles.

Puis son calvaire avait commencé.

La thérapie de groupe était menée par le docteur Lynch. Tout le monde l’appelait par son prénom, Fletcher. La quarantaine bien entamée, il était un aficionado du bronzage tant sa peau était burinée par le soleil. Les poils qui étaient absents sur son crâne poussaient autour de ses lèvres pulpeuses. Sa carrure rivalisait avec celle des militaires qui gardaient les patients-prisonniers.

Pour l’instant, Brian n’avait encore pris la parole que pour se présenter. Le reste du temps, il écoutait les autres raconter leur vie. Tous étaient là depuis plusieurs semaines. La plupart comprenaient la raison de leur présence. Pas Jace Manning.

Le garçon de dix-sept ans était britannico-américain. Il était arrivé aux États-Unis il y avait un mois, après la mort de sa mère. Il avait toujours su qu’il était gay. Il le vivait très bien. Lorsqu’il était en Angleterre, il n’avait pas besoin de se cacher. L’homosexualité était parfaitement acceptée et depuis longtemps rayée de la liste des maladies psychologiques. Aussi avait-il été surpris lorsqu’un juge américain l’avait envoyé se faire soigner. Il refusait catégoriquement les « soins » que proposait l’institut. Il coupait la parole à tout le monde, sans arrêt, gueulant à tous qu’ils étaient pédés et sains d’esprit. Fletcher tentait vainement de le calmer, ce qui amplifiait la colère de l’adolescent. Il fallait qu’un infirmier se plante derrière lui avec une seringue d’une quelconque drogue pour qu’il daigne s’asseoir et se taire.

L’heure que Brian redoutait le plus sonna. C’était le moment pour lui d’ouvrir son cœur au psychiatre lors d’un entretien privé. Cependant, il ne savait pas toujours quoi répondre. Il ne s’était jamais senti malade à cause de son orientation sexuelle. Il aimait les hommes. Ç’avait toujours été ainsi. Comment Conrad, Fletcher et les autres pensaient-ils le guérir alors que pour lui, c’était ancré dans ses gènes, que ça l’avait toujours été et que ça le serait toujours.

― Brian, tu disais hier que tu adorais la natation, attaqua le thérapeute.

― Oui. J’ai commencé quand j’avais six ans.

― Est-ce toi qui as choisi ou tes parents ?

― Je ne me souviens plus. Moi je pense. Mes parents ne m’ont jamais forcé à faire ce que je ne voulais pas.

― Laxistes ?

― Non.

― Te fixaient-ils des limites ?

― Pas vraiment. Quand je dépassais les bornes, ils m’expliquaient pourquoi mon acte était inadapté plutôt que de me punir.

― Sais-tu que les enfants ont besoin d’un cadre ? Strict. C’est comme cela qu’on se construit. En te laissant trop libre, tes parents t’ont conduit sur le mauvais chemin.

Mes parents m’ont rendu très heureux et fier de qui je suis ! Je vous interdis de tenir un tel discours ! s’emporta silencieusement Brian.

― Je n’ai jamais eu cette sensation, répondit-il à la place.

― Tu as pourtant embrassé un homme.

― Oui.

― Et plus encore ?

― Oui. Vous le savez : le directeur Barnes m’a posé plusieurs questions sur ma sexualité.

― Je veux l’entendre de ta bouche.

― J’ai sucé et été sucé par mon copain. Je l’enculais aussi régulièrement. C’est ça que vous voulez entendre ?

― Parfaitement. Maintenant, trouves-tu que ce soit naturel ?

Oui. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal. Nombre d’animaux ont des tendances homosexuelles. Les singes notamment. Dont nous sommes les descendants. Nous sommes des animaux comme eux. Ce ne voit pas ce qu’il y a de mal.

― Pour moi, ç’a toujours été normal.

― Mais ça ne l’est pas.

Le silence s’installa entre les deux hommes. Fletcher faisait souvent cela. Il se taisait de longues minutes, le temps que Brian réfléchisse. Mais le garçon ne voyait pas à quoi : il n’avait aucun problème avec son homosexualité ; c’étaient les autres qui en avaient.

― Est-ce qu’il t’arrive de te masturber ? suscita Fletcher.

― Oui, comme tous les garçons.

― Pas tous. Par contre, tous les homosexuels ont recours à cette pratique à risque. La masturbation est la porte ouverte à l’attirance pour le même sexe. Lorsque tu te masturbes, tu as en quelque sorte une relation sexuelle avec toi-même.

― Je ne le savais pas.

― Il va falloir apprendre à t’en passer.

― D’accord, concéda Brian.

― Revenons-en à la natation. C’est un sport où les hommes sont presque nus. Aimes-tu voir un homme nu ?

Et ça recommence ! bougonna Brian.

― J’ai vu mes camarades dans les douches. Ça ne m’a jamais gêné.

― Tu les as regardés ?

― Oui, ça m’est arrivé.

― Crois-en mon expérience : nombre de nageurs que j’ai eus à soigner étaient gays comme toi. C’est un sport où la nudité est importante et peut chambouler la tête même des hétéros. Je pense que, pour ton bien, tu devrais arrêter ce sport et en choisir un plus viril.

― Comme le rugby ?

― Non, il y a trop de contacts pour toi. Cela risque de faire resurgir tes pulsions.

― Vous pensez à quoi alors ?

― Un sport individuel, sans contact. Le tennis par exemple. Ou le badminton.

― Je ne suis pas assez endurant.

― C’est une excuse, ça ! Il faut que tu comprennes que tu dois changer. C’est pour ton bien. Pour la survie de ton âme.

Oh non, pas le couplet sur Dieu. Par pitié, tout mais pas ça !

Malheureusement, ses prières ne furent pas entendues. Fletcher lui rappela le Lévitique, l’épisode de Sodome et Gomorrhe décrit dans la Genèse et les épitres de Paul aux Romains et aux Corinthiens.

― Maintenant, il faut différencier tendance et acte homosexuel, indiqua le thérapeute. En tant que médecin, je puis comprendre qu’un homme puisse être attiré par un autre homme. L’Église catholique le tolère même. Ce qui est condamné, ce sont les actes. Les textes sacrés les interdisent. Nos lois aussi.

« Il nous est impossible de lire dans la tête de quelqu’un. Nous ne pouvons donc savoir s’il a ou non des tendances homosexuelles. Par contre, si jamais il en a, il doit les combattre, il doit rester chaste.

― C’est ce que vous apprenez à ceux qui aiment vraiment les hommes ?

― Nous savons soigner un même cancer chez certains et pas chez d’autres. Il en va de même pour l’homosexualité. Parfois, je guéris, parfois non. Dans ce cas, j’aide ces déviants ― car ce sont des déviants ― à apprivoiser une nouvelle philosophie de vie où l’abstinence est le maître-mot.

« C’est d’autant plus important que les gays ont une espérance de vie bien inférieure aux hétérosexuels. Vois-tu, les homosexuels sont des hédonistes. Ils ne recherchent que le plaisir. Ils n’ont pas de vie stable. Ils se contentent de rencontres éphémères où le sexe prime. Avec cela se propagent les maladies sexuellement transmissibles. Nombre de gays en sont atteints et ils finissent par mourir précocement. Est-ce ce que tu veux ?

― Bien sûr que non !

― Que comptes-tu faire ?

Tout ce que vous voulez du moment que je sorte d’ici !

― Je souhaite que vous m’aidiez afin que je reprenne le droit chemin.

― C’est très bien mon garçon. Tu progresses. Nous en resterons là pour aujourd’hui.

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