Dimanche matin.

Allez, encore un tour ! Je reprends le sentier parsemé de pierres et de racines qui s’élève lentement sur le flanc de la colline et remets un coup d’accélérateur. La fatigue tétanise mes muscles des jambes dès les premiers mètres d’ascension, mon cœur s’approche déjà à nouveau de son rythme maximal, mais je force quand même. La séance de course à pied est plus qu’importante, et de toute façon, on m’a bien appris à ne jamais lâcher, quelles que soient les circonstances.

Vingt minutes plus tard, exténué, je suis de retour chez moi. Je passe sans traîner sous une douche fraîche hautement revigorante. Je plaque soigneusement mes cheveux presque blonds sur le côté, et m’habille élégamment en vue de cet après-midi. Profitant de la petite heure de répit qui s’annonce, je m’allonge sur le lit, rêvasse un moment en récupérant de mon effort, puis sors mon carnet, et entreprends d’y raconter les évènements marquants de mes dernières journées.

Alors que j’entends des pas dans le hall d’entrée, je referme mon journal, le dépose sous un gros bouquin rouge dans un tiroir de ma commode, et ferme ce dernier à double tour. Je termine rapidement de me préparer, puis monte à l’arrière de la voiture qui nous amène à la réception à laquelle mon père et ma famille sont conviés. Du haut de mes 16 ans, j’essaye doucement de m’intéresser aux affaires de mon père, mais suis bien sûr aussi assailli par mes premiers sentiments amoureux profonds.

Je regarde le paysage défiler à travers la vitre, fatigué, ayant le regard qui se dédouble de temps en temps, et reste indifférent aux conversations de ma famille. Le moteur finit par se couper, et nous sortons, arpentant une cour de fins graviers jusqu’à l’entrée principale d’une bâtisse plutôt imposante, qui fait clairement son petit effet aux invités de passage.

Après les longues salutations d’usage, on nous intime de nous installer aux nombreuses tables en chêne massif qui parsèment l’immense jardin. Pendant les quelques discours qui se succèdent, même si je fais mine d’écouter attentivement chaque interlocuteur afin de passer pour un jeune homme déjà mature et sérieux, mon esprit n’analyse déjà plus depuis longtemps le flot ininterrompu de mots qui parviennent à mes tympans. En particulier, depuis que j’ai vu mon ami Lukas et sa famille arriver avec un peu de retard et prendre place non loin de nous.

Le fait que nos pères aient régulièrement à travailler ensemble nous permet de nous voir assez souvent, et depuis maintenant quelques mois, j’ai vraiment l’impression que je suis tombé amoureux de lui, comme cela semble être le cas d’habitude entre un homme et une femme, en tout cas dans les livres que je lis. J’apprécie tout particulièrement nos séances de sport ensemble, et garde en particulier d’excellents souvenirs de la semaine que nous avons passée ensemble en Autriche l’été dernier, à marcher, courir, et nous baigner dans les lacs de montagne. Son corps, sublimé dès que ses muscles entrent en action, a bien sûr fait l’objet de nombreuses réflexions intimes, et de quelques dessins qui ornent mon carnet personnel.

Alors que, enthousiaste, je m’apprête à aller le rejoindre afin de nous promener et de nous raconter nos dernières semaines, mon père me retient quelques instants, et me présente la fille d’un de ses collaborateurs. Elle semble avoir le même âge que moi, peut-être un an de moins, et ils nous intiment de faire tranquillement connaissance, avant de s’écarter un peu pour discuter de leurs affaires en cours.

Déçu, mais sachant que je suis quand même contrôlé dans une certaine mesure, je m’exécute ; on ne discute pas quand on est fils d’un haut dignitaire de la SS.