48/52 - Mother

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La voir seulement m’insupportait au plus haut point. Certainement ce je-ne-sais-quoi de... d'elle-même. Tout : son visage, ses mains, son odeur... son sourire. Ah, son sourire ! C'était comme s'il était toujours « trop », pas vraiment faux, ni vraiment naturel, davantage comme un trop-plein qui déborde. On pouvait s'attendre à tout ; à ce qu'elle pleure ou éclate de rire, fonde ou grimace de douleur... jamais à un simple sourire. Et il en était de même pour ses élans de théâtre, ceux qu'on a tous, ceux qui nous poussent à un « Ah ! » plus ou moins bruyant suivant le taux de surprise, de malice ou de colère.

Chez elle, l'émotion ne semblait jamais correspondre avec son expression, son ton ou son discours. J'avais l'impression de palper les interférences entre les connexions de son corps et de son esprit. Mais non ! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur... Un masque porté, collé, englué sur son être sans qu'elle en ait la moindre conscience.

Et moi, je la regardais, je la subissais, je sentais la frustration, la colère fourmiller sous la peau de mon cou. La rage injustifiable que je m'efforçais à tout prix de contenir... Car comment l'expliquer ensuite ? Comment lui dire que sa simple façon de bouger, sa voix, le choix de ses mots, sa façon de tenir sa cigarette et de cracher sa fumée dégueulasse... Comment lui dire que son essence toute entière polluait mon atmosphère ? J'étais assez sage pour savoir que la folle, c'était moi. Exècre-t-on quelqu'un comme ça, sans vraie raison ?

Malgré tout, j'explosais quand même régulièrement. J'explosais, au moment où sa gorge avalait des liquides en quantité inutile, où sa salive formait un cliquetis piquant qui arrachait des décharges électriques à mon oreille déjà sous pression. C'en était trop, pour moi, ce petit détail humide et fort désagréable me faisait voir rouge ! Il me fallait fournir un effort surhumain pour ne pas planter ma fourchette dans la table et me contenter de tempêter en fuyant la pièce.

Honnêtement, ce devait être terrible, pour elle. Ce devait être terrible, de voir le visage tordu de sa fille, son corps tendu tout entier vers l'éloignement. Ce devait être terrible, de se sentir détestée à ce point, juste en étant.

Le pire sans doute, c'est que son vrai visage, je le haïssais encore plus. Ses blessures, sa douleur, et surtout sa façon d'y faire face, c'était pire encore que de la voir garder la tête hors de l'eau. Et, regarde, voici, crispée atrocement, la véritable tête, et la sincère face renversée à l'abri de la face qui ment.

La voir flancher n'alimentait en moi qu'un profond mépris. Plus elle était pitoyable, plus j'étais froide et dure, voire cruelle. Tout en moi respirait le rejet.

***

Je suis contente, de n'avoir pas attendu sa mort pour comprendre à quel point elle était une bonne mère. À quel point nous étions respectées, nous, ses enfants. A quel point elle respectait ma rage adolescente. Et avec quel talent elle a su me pointer du doigt les comportements à corriger et les qualités cachées. Une mère qui accompagne, qui nourrit sans gaver. Une mère qui commet des erreurs, qui porte tant bien que mal le lourd bagage de sa vie. Et qui, parfois, trébuche et chute. Et qui, souvent, fait de son mieux. Même si son mieux n'est pas toujours si bien.

C'était facile, finalement, d'en attendre d'elle encore plus. Facile de dire qu'elle avait tort, qu'elle était faible, qu'elle en faisait toujours trop, dans tout ce qu'elle faisait.

Elle n'a pas beaucoup changé, aujourd'hui. Son esprit est moins triste, ses traumatismes en dormance, et son corps ruiné par la vie a changé le mécanisme de certains de ses gestes. Mais c'est toujours la même. Les rides de son visage ont marqué à vie ses grimaces de joie et de malheur. Ce n'est plus un masque, c'est elle pour de vrai.

Et moi, moi qui ne partage plus son quotidien, je ne lui en veux plus de rien. Et je suis bien heureuse qu'elle ait existé dans ma vie. Et je suis bien heureuse qu'elle existe encore.

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