42/52 - Marquée

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Iko plonge encore une fois sa main dans le feu. Délicatement, elle attrape une braise grosse comme le poing, et la fait rouler sur sa paume. Le charbon rougeoyant lui chatouille la peau, elle sent l'énergie du feu qui passe sous sa peau brune et dans son sang. La sensation est inégalable, elle circule comme une injection d'iode, saisissant en quelques secondes la totalité de son corps. Son cœur crépite d'un mélange de plaisir et de faiblesse.

Là, c'est le moment : comme un réflexe, ses doigts se resserrent fermement autour de la braise. Ils la pressent, de plus en plus fort, jusqu'à ce que les jointures craquent et les muscles tremblent. Les battements de son cœur s'accélèrent, ses yeux noirs se gorgent d'eau, son souffle s'approfondit. Chaque milliseconde la rapproche du but. Cette fois, elle va y parvenir. Cette fois elle ne va pas flancher.

Sa voix s'élève en un doux filet, elle sent son esprit qui se trouble. C'est là, le moment critique. Iko laisse sa volonté s'évaporer : elle ne doit plus penser, elle ne doit plus essayer de tenir, elle doit s'abandonner. Et ne pas craindre d'exploser.

L'énergie bouillonnante laisse petit à petit place à une sensation plus dense, comme de la cire à demi fondue. Iko fond en larmes, ses longs cheveux noirs se collent à sa peau. Elle ne voit plus, mais elle sent la braise dans sa main qui absorbe toutes les flammes du foyer. Dans un hoquet, elle vomit une gerbe d'eau claire, avant de reprendre une ventilation de plus en plus violente, suant de tous ses pores. La braise durcit, elle fourmille, s'incruste dans sa paume. Une puissante vague de jouissance arrache un cri à la jeune femme... Et soudain, le charbon s'éteint. Il s'effrite sous les doigts crispés par l'effort.

Le corps d'Iko se relâche en tremblant. À l'intérieur, les éléments en furie s'apaisent. L'eau cesse de s'écouler de sa peau, de ses yeux, de son nez, de sa bouche. Son sang se fluidifie à nouveau, ses poumons reprennent un rythme plus calme.

Iko ramène sa main vers elle. Avant de déplier les doigts, elle regarde la gauche, déjà marquée par l'eau et par l'air. Les taches irrégulières, bleues, vertes, noires et blanches brillent encore de la bataille qu'elles ont aidé à mener. Le feu tue sans exception ceux qui essayent de s'en marquer sans le soutien d'au moins un autre élément. L'eau ou la terre sont indispensables.

Iko avait une énergie de terre en naissant. Ça aurait pu suffire à vivre une vie harmonieuse. La terre est calme, créatrice, nourricière. Bénis sont ceux qui partagent leur nature avec elle. Mais aujourd'hui, s'être marquée des trois autres éléments permet à la jeune femme de toucher au cinquième. Cette énergie indéfinissable et abstraite sur laquelle personne n'ose mettre de mot. Elle la sent, là, autour et en elle. Elle s'est sentie traversée, pénétrée par elle au milieu de son cri. Et Iko a compris, pourquoi les autres Marqués disent qu'il est arrogant de penser la maîtriser. Quand les quatre éléments s'équilibrent enfin parfaitement dans leur corps, leurs perceptions s'ouvrent, et ils réalisent qu'elle a toujours été là : qu'elle est indomptable, puissante et généreuse. Comment prétendre se saisir d'elle quand c'est elle qui les possède, les enveloppe et, parfois, les constitue ?

Sous ces perceptions aiguisées, Iko est restée un moment à regarder sans voir ses deux mains devant elle. La droite encore recroquevillée en un poing à peine noirci par les traces de charbon. La concentration a du mal à lui revenir, il lui semble entendre des sons inexistants, sentir des contacts impalpables, voir des lumières obscures et des formes informes, capter des odeurs inodores, goûter des saveurs qui ne sont pas. La présence détaillée de toutes choses autour d'elle lui est évidente, jusqu'à des kilomètres à la ronde. Aucune feuille d'aucun arbre qui constitue l'immense forêt environnante ne lui échappe. La vie grouille sous toutes ses formes, et Iko en fait partie.

La joie la réveille d'un seul coup. Les doigts de sa main droite s'ouvrent, révélant les taches rouges et jaunes tant attendues sur sa paume. Marquée. Enfin, capable de tous les dons... Et pourtant, pourtant... Iko ne se sent pas puissante. Elle se sent bien mieux que ça, complètement baignée dans l'harmonie et l'humilité. Une créature complète, équilibrée, et à sa place.

À sa place de vivante. Ni plus ni moins. Comme l'insecte piégé dans ses cheveux, et l'oiseau qui s'est envolé à son cri.

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