Le pendu

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 Seules quelques gouttes d'eau qui venaient percuter le sol régulièrement osaient perturber le silence qui régnait dans la cellule. Accompagné d'un grattement distant qui laissait imaginer la présence d'affreux rongeurs se promenant dans les murs. La pénombre ambiante n'était brisée que par quelques rayons de lumières qui arrivaient à se faufiler à travers une petite ouverture barricadée. Le froid glacial gelait les barreaux et l'humidité insoutenable faisait pourrir le banc en bois. Un seau rempli d'urine situé dans le coin de la salle répandait une odeur épouvantable.

 Pourtant le petit homme trapu enfermé ici, restait impassible. Ses yeux noirs immobiles fixaient le mur d'en face. De temps en temps, il semblait s'éveiller en essuyant machinalement sa barbe trempée. Ses vêtements en cuir étaient en piteux état, déchirés à plusieurs endroits. Il était blessé, la lèvre fendu et l'œil gauche au beurre noir. On l'avait roué de coups de bâton. Il se devait de rester calme, de ne dévoiler aucune faille, il resterait fière, le torse bombé et la tête haute jusqu'au bout.

 Des pleurs commencèrent à s'élever dans la prison. Le prisonnier d'à côté marmonnait en bafouillant :

-"Je ne veux pas mourir... Par pitié ! Non... Non, il doit y avoir une erreur ! S'il vous plaît !"

 Celui d'en face se mit à ricaner de plus en plus fort, pour s'arrêter soudainement. Il approcha son visage des barreaux de sa cellule que ses mains agrippaient. Son sourire laissait dévoiler ses dents pourries et ses cheveux hirsutes et gras lui retombaient sur le visage. Il regarda fixement le petit homme. Pendant un court moment le silence régna de nouveau, puis il vociféra :

-"Les gens de ta race me dégoûtent ! Vous empestez la sueur et vous nous polluez la vue ! Vous devriez quitter les villes, peut-être qu'on devrait vous enfermer. Écoute moi, je ne sais pas pourquoi tu es ici mais j'espère qu'ils vont te pendre. Une décapitation serait bien trop rapide. Je veux tous vous voir gigoter au bout d'une corde, sale nain ! Si seulement je pouvais..."

-"Silence !" hurla alors un des gardes.

 L'homme trapu demeurait toujours assis, il n'avait pas esquissé le moindre geste. Le temps sembla s'arrêter, des heures passèrent peut-être plus. Il perdait la notion du temps. Puis des pas lents retentirent dans la prison, suivis du bruit de clés qui s'entrechoquent. Un garde s'avança pour s'arrêter devant la cellule du nain. Il lui jeta un regard de dégoût. Il ouvrit sa cage, lui enchaîna les poignets et lui ordonna de le suivre.

 À l'instant où il franchirent la porte d'entrée du bâtiment, le nain s'écroula. Ses yeux brûlaient sous la lumière du soleil. On était au milieu d'une belle journée d'été. La chaleur suffocante le fit cracher ses poumons. Sa peau s'asséchait et la douleur de ses plaies se manifestait d'autant plus. Le garde lui asséna brusquement un coup de pied dans le ventre. Tandis que le nain se pliait de douleurs, il l'agrippa par le col et le souleva au dessus du sol, lui criant :

-"Arrête de pleurnicher tu ne seras bientôt plus de ce monde, pourriture !"

 Il le relâcha, fit contre face et se remit à marcher. Le nain tenait à peine sur ses jambes, il titubait tant bien que mal pour suivre le rythme de son tortionnaire. Il se redressa et prit une grande inspiration pour se calmer. Il ne devait pas pleurer, il devait rester brave. Le garde lui indiqua une charrette dirigée par deux chevaux. Le nain réussit à bout de force à se hisser à l'intérieur, tandis qu'une foule se formait autour de lui. Il jeta des coups d'œil paniqués à la masse de personnes qui s'agrandissait. Il les dévisageait un par un, cherchant un soutien, de la compassion chez l'un d'entre eux. Soudainement, une douleur fulgurante lui saisit à la tête. Il se recroquevilla sur lui-même en tâtonnant son visage. Il sentit du sang couler entre ses doigts. À ses pieds, il vit une pierre. Il n'eut pas le temps de réfléchir qu'une seconde roche siffla dans l'air pour terminer sa course dans son nez. La foule ricanait, on le caillassait. Il prit entre ses doigts son nez cassé et tenta de s'abriter sous ses bras.

 Quand finalement le cocher fit avancer la charrette. Il se sentait faible, la rage l'envahissait et disparu aussitôt ne laissant place qu'à l'abandon, le désespoir. Il leva la tête et observa les chevaux qui trottaient et pensa que même la vie de ces deux magnifiques étalons valait plus que la sienne. Après tout, qu'était-il de plus qu'une bête sauvage qu'on traque et qu'on tue.

 Il se remémora ce qui s'était passé, tout était allé si vite. Il se tenait debout dans une rue étroite et sombre dans les quartiers Ouest de la ville. Son ventre gargouillait et la faim lui tiraillait le ventre, il ne pouvait plus supporter cette douleur. Il avait alors décidé d'escalader la paroi d'une boulangerie pour rejoindre le balcon du deuxième étage, il avait repéré que la fenêtre avait été laissée entrouverte. Il se souvenait s'être faufilé discrètement à l'intérieur, il devait n'y avoir personne à la nuit tombée. Son crime n'était pas dramatique, une simple miche de pain ne valait pas grand-chose. Hélas, une fois en cuisine après avoir fouillé les placards et alors qu'il comptait fuir avec son butin, une main puissante le tira en arrière. Il fut plaqué au sol, il n'eut pas le temps de voir le moindre visage qu'il fut roué de coups. La douleur atroce lui fit perdre connaissance alors qu'il entendait des insultes fuser de la bouche de son agresseur. Puis un trou noir, suivi de son réveil dans une cellule froide et humide. De l'autre côté des barreaux, un garde rigide se tenait face à lui. Il venait lui annoncait sa sentence : la peine capitale. Les gens de sa race ne méritaient même pas d'être traînés en justice. Quand il faut un coupable à tous les maux du monde, les hommes ont toujours été les premiers à accuser leurs voisins.

 La charrette s'arrêta brusquement, l'arrachant de ses pensées. Il était sur une grande place majestueuse, entourée de petits marchés et de brocantes. Pour contraster cette beauté, c'est au centre de ce lieu qu'était dressé l'échafaud. L'échafaud, rien que ce mot le faisait trembler. Il était là se dressant fièrement vers le ciel, il annonçait la mort et le sang, il représentait justice pour certains et cruauté pour d'autres. Sa forme terrifiante semblait tendre les bras vers les prisonniers. Le cocher lui fit alors signe de descendre. Le nain s'exécuta et prit place dans une rangée de prisonniers qui attendaient la tête baissée. La foule s'entassait près de la scène, ils se hâtaient tous pour ne pas manquer le spectacle sanglant qui s'annonçait. Ils n'avaient plus rien d'humain, leur visage se déformait sous un rictus féroce et leur sourire se transformait lentement en ricanement sadique.

 Le prisonnier situé devant le nain au premier rang s'écroula à l'appel de son nom. Il gémissait, hurlait, se débattait alors que les soldats lui saisissaient les bras, il donnait des coups dans tous les sens. Un soldat lui décocha son poing dans la mâchoire et l'homme sonné se laissa traîner. Le bourreau réussit tant bien que mal à lui passer la corde autour du cou. La foule ne se contentait plus de rire, elle hurlait, l'euphorie les emportaient alors qu'ils réclamaient la mise à mort. Le pauvre homme pleurait quand soudain la trappe à ses pieds s'ouvrit. Le claquement sec de la corde qui s'étire retentit. Son visage tournait au rouge tandis que de la bave coulait de ses lèvres. Ses yeux enflés lancèrent un dernier regard terrifié alors qu'il s'immobilisait pour de bon.

 Le nain leva son regard vers le ciel, il savait ce qui l'attendait. On lui ordonna de monter sur l'échafaud, il ne montra aucun signe de résistance et avança fièrement sur les marches. Le premier cadavre n'avait pas été décroché, on les laissaient toujours jusqu'à la fin de la journée, pour terrifier quiconque de se risquer à suivre le même chemin. Alors qu'il prenait une grande inspiration pour garder son sang froid, un soldat lui cracha au visage. Sans même réfléchir une seule seconde, il lui bondi à la gorge pris d'une rage soudaine. Mais sans aucune difficulté son agresseur le repoussa en arrière et lui asséna un coup violent dans le ventre. La douleur horrible qu'il ressentait n'était pas supportable. Il tomba à genoux et fondit en larmes. On le releva tandis que son regard cherchait du soutien parmi les passants, il implorait qu'on l'épargne. La foule était en délire, elle jubilait, un nain allait être pendu. Ses poignets toujours ligotés devant lui, lui faisaient terriblement mal. Il sentit la corde s'enrouler autour de son cou et se serrer. Il était horrifié, ses quelques secondes paraissaient durer une éternité.

 La trappe céda soudainement sous ses pieds. Tous les sons qu'il percevait semblaient s'étouffer, il n'entendait plus que le grincement de la corde. Elle rentrait dans sa gorge, il suffoquait, crachait, ouvrait la bouche pour chercher désespérément à respirer. La panique le saisit et il se mit à battre des jambes dans le vide pour se décrocher. Sa vue se déformait à travers ses yeux humides tandis que des larmes coulaient le long de ses joues. Ses poumons se vidèrent alors qu'il expirait une toute dernière fois. Son corps cessa finalement de bouger. Les autres détenus suivirent dans la journée. Puis la foule se dissipa, ne laissant derrière elle que des silhouettes se balançant au bout d'une corde dans le vent.

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