39. Le festin des condamnés

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Oldric.

L'empereur s'installa sur un divan avant que les licteurs ne prennent L'Estanien par les bras puis le conduisent avec les autres dans une petite salle adjacente. Certains invités les talonnèrent. Une veille aristocrate toute ridée riait et caressait les cheveux du Pargue comme s'il s'agissait d'un animal de compagnie. Tels des vautours, les convives se mirent aussi à voleter autour d'Oldric.

—Je ne pense pas qu'il aime qu'on parle de lui, commenta un jeune seigneur.

Oldric le dévisagea avec mépris, et reconnut immédiatement les traits classiques des Valerian sur le visage de cet homme. S'agissait-il d'un bâtard de l'empereur ? Son sourire constant et plein d'assurance l’irrita.

— Je doute qu'il comprenne la langue égéenne, Kallian, répondit un autre. Les Estaniens sont forts, mais stupides.

L'homme qui s'appelait Kallian et qui ressemblait à l'empereur se mit à rire.

— À en juger par son regard, cher Deimos, je dirais qu'il t'a très bien compris. Je vais parier sur celui-là. Il a une certaine allure.

— Je mise toujours sur le Nordien, dit l'autre en s'éloignant. Il est très endurant, si l'on en croit les paroles d'Olympias et d'Eos.

— Il ne fait aucun doute que ma petite nièce ait testé cette endurance. Cependant, tu ne devrais pas accepter de telles assertions venant de ta fiancée, dit Kallian en s'approchant pour voir de plus près le Pargue.

— Eos caquète beaucoup, mon Prince, mais rassurez-vous, je sais comment extirper la vérité du mensonge, acheva l'autre avec un rire gras.

Oldric se demanda combien de temps, il allait devoir supporter d'être « honoré ». Suivant le conseil de Bammon, il but le vin avec parcimonie, son sang s'échauffant à la vue d'esclaves qui dansaient, accoutrées de mousseline transparente, tournoyant, se balançant, et ondulant, dans des pantomimes érotiques.

Un éclat de rire attira l'attention. L'un des jumeaux Ipathe avait posé une esclave sur ses genoux et l'embrassait. La serve criait en se débattant pour s'enfuir, tandis que les Égéens autour encourageaient le combattant à prendre plus de libertés.

À quelques mètres de là, le Pargue s'empiffrait de cailles farcies aux tomates, de sauce au beurre et de pommes bouillies si luisantes qu’un seul coup d’œil pouvait témoigner de l’excellence du plat. Des cruches de vin s’accumulaient sur sa table.

Cet imbécile ferait bien de s'amuser, car c'est le dernier repas qu'il prendra si j'ai la chance de l'affronter demain.

Gad, bien à l'écart des autres, ne buvait pas, et son plateau demeurait intact. Il ne prêtait aucune attention à la noble dame assise à côté qui caressait son dos. Ses yeux étaient mi-clos, son expression renfermée et sombre.

Kratheus avait ordonné que personne ne s'assoie auprès d'Oldric. Malgré les menottes retirées, les gardes restaient vigilants et prêts à intervenir s'il tentait quoi que ce soit, avertissant les invités de se tenir à bonne distance.

— Un ours des forêts, entendit-il derrière lui.

La moitié de l'assemblée l'observait, dans l'espoir d'être témoin d'une rage insensée.

Essayant de les ignorer, il leva sa coupe de vin et en avala une gorgée. Une troupe de jeunes femmes s'approcha jusqu'à ce qu'il puisse entendre clairement ce qu'elles disaient de lui. Le croyaient-elles sourd ou stupide ?

— Damianos m'a dit qu'il s'appelait Oldric. N'est-il pas splendide avec ses longs cheveux blonds ? Je connais une idiote qui pourrit à Philippos et qui se damnerait pour le voir.

— Princesse ! Ce ne sont pas des manières de parler de votre cousine !

— Ouah, dit une autre en s'éventant dramatiquement. Il me donne de la fièvre.

—Combien d'hommes pensez-vous qu'il a tué ? Aura-t-il une chance demain ? Damianos m'a dit qu'il avait affronté Fadus, et qu'il était aussi bon que Gad.

—Je parierai sur lui ce coup-là. Tu as vu la tête qu'il faisait quand on l'a amené dans la salle ? Et il ne s'est pas incliné devant Sa Majesté !

—Comment aurait-il pu ? Il était enchaîné.

—On dit que les Estaniens entrent nus dans la bataille, murmura une autre greluche. Pensez-vous que Sa Majesté le laissera combattre ainsi ?

Celle qui semblait être la meneuse du groupe rit à gorge déployée.

— Oh, je l'espère bien. Je vais le suggérer à Père.

— Olympias ! Je croyais que vous aimiez le Pargue.

— J'en ai assez de lui.

Tournant légèrement la tête, Oldric croisa les yeux verts de celle qui avait dit qu'elle proposerait qu’il se batte nu. La masse de tresses et de boucles d'une improbable chevelure brune était trop lourde pour son long cou cerclé de perles. Prenant bonne note de son attention, elle haussa un sourcil suffisant vers ses amies avant d’exposer ses dents blanches.

—Peut-être qu'on ne devrait pas se tenir si près, chuchota une.

—Qu'est-ce que tu crois qu'il va faire ? Nous attraper ? dit Olympias d'un ton ronronnant, toujours en souriant et en plongeant ses prunelles dans celles du monomaque en guise de défi.

—Je veux voir le Shulamite, déclara une autre. Ce sauvageon m’ennuie.

Toute en gloussement, elles s'éloignèrent, débarrassant Oldric de leur présence irritante.

Ces heures, qui semblaient ne pas s'écouler, étaient le plus insupportable. Sa vessie était pleine, ses muscles endoloris. Ses doigts s'agrippaient nerveusement sur sa coupe. Il était censé attendre ici que les Égéens se lassent de sa présence, ce qui l'énervait tellement qu'il jura de frapper le prochain qui l'approcherait, peu importe les conséquences.

Au final, ils furent libérés et envoyés dans les cellules en dessous du hall.

Oldric s'étendit sur le lit de pierre et s'enferma dans le sommeil. Il rêva des forêts, de sa position parmi les anciens, alors que sa mère prophétisait d'apporter la paix à son peuple. La confusion d'une bataille le fit se tordre et gémir, et l'un des gardes frappa bruyamment à la porte, le réveillant.

À nouveau endormi, il se vit cette fois-ci dans la tourbière. La vase aspirait ses chevilles et, luttant pour s'enfuir, il s'enfonçait plus profondément, le poids de la terre humide l'entourant et l'attirant vers le bas, jusqu'à ce qu'il se retrouve complètement absorbé et incapable de respirer. La voix de sa mère fusionnait avec celle de Rüd, Yorgen et Fadr, tandis que le son de l'acier résonnait dans la forêt. L'air était rempli des hurlements de son peuple en train de mourir.

Avec un cri, Oldric se redressa. La sueur ruisselait sur sa poitrine malgré la fraîcheur des murs de pierre. Le souffle court, il passa ses mains tremblantes dans ses cheveux.

Modr avait dit qu'il apporterait la paix à son peuple. Quelle paix leur avait-il apportée ? Quelle paix, si ce n'est la mort ? Combien de Skags étaient encore vivants et libres dans les forêts d'Estanie ? Qu'était devenue sa mère ? Qu'en était-il des autres ? Étaient-ils tous, comme lui, des esclaves d'Égée ?

Plein de rage et d'interrogations, il serra les poings, avant de se rallonger.

La bataille l'attendait, il lui fallait du repos. Alors même que son esprit bouillonnait d'images de violence nourries par son désir de vengeance, Oldric fit un titanesque effort pour se concentrer et se rendormir.

Demain.

Demain, il mourrait, l'épée à la main.

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