32. Défiance

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Kallian.



Au fur et à mesure que Kallian approchait, les voix transperçaient les murs avec plus d'aisance.




— De toutes ces nombreuses lois, quelle est donc la plus importante, celle qui l'emporte sur toutes les autres ?




—Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C'est le premier et le plus grand commandement. Et le second est semblable à celui-ci : tu aimeras ton prochain comme toi-même. C'est sur ces deux prescriptions que dépend toute la Loi de l'Ancienne Alliance.


Il les vit, assis l'un près de l'autre, Amarys sur le bord d'un tabouret, les mains croisées sur ses genoux, le gouverneur plus à l'aise sur son divan, les yeux fixés sur la servante.


Kallian s’adossa avec indolence contre le cadre, essayant de garder la tête froide.


— Et si ton prochain est ton ennemi ?


Les deux sursautèrent tels des amants pris en flagrant délit. De toute évidence, Nikanor n’apprécia pas l'intrusion. Kallian ne s'en soucia guère et reporta son attention sur Amarys. Elle s'était levée, par respect, et attendait désormais le renvoi de son maître.


— Tu peux y aller, Rys.


Il l'appelle Rys ?


Kallian resta immobile, empêchant ainsi la Shulamite de franchir le pas de la porte. De toute sa hauteur, il pouvait détailler le sommet de la crinière ébène jusqu'aux petits pieds chaussés. Il voulait qu'elle lève la tête et le regarde, ce qu'elle ne fit pas.


— Je vous en prie, mon prince, asseyez-vous, invita Nikanor qui rangeait encre, plumes et parchemin.




Kallian libéra l’embrasure par laquelle Amarys se faufila avant de disparaître. Le doux bruit de ses pas continua de le captiver, bien après s'être évanouis dans les méandres du palais.




— Le silence à l'extérieur d'Aetherna, une source d'insomnie pour ceux qui n'y sont pas habitués, déclara le seigneur avec commisération.


— Je suis désolé d'avoir interrompu quelque chose entre vous et mon esclave.


— Pas besoin d'excuses. Nous pourrons continuer demain.




Il s'installa confortablement sur son divan.


— Souhaitez-vous parler de votre nièce ?


— Vous voulez dire votre femme ?


Nikanor esquissa un fin sourire.


— Si c'est pour obtenir la permission de l'emmener à l'une des casernes locales, vous l'avez. Je vous donnerai quelques noms.


— Je vous remercie. Je m'en occuperai dès l'aube.


Nikanor but une gorgée de son vin. Le liquide, d'un rouge profond, prenait une teinte brune au contact de la coupe en or, et dégageait un arôme de chêne vieilli.


— Est-ce tout ce que vous aviez à l'esprit, mon prince ?


— Tout va bien entre vous et Julia ?


— A-t-elle insinué le contraire ?


Kallian savait qu'il se tenait sur des sables mouvants. C'était la demeure du gouverneur, pas la sienne. Julia était sa femme, Amarys son esclave. Kallian n’avait pas le droit de remettre en question le traitement qu'un autre homme réservait à sa maisonnée.


— Non, finit-il par répondre. Elle m'a semblé… satisfaite.


Le seigneur l'étudia de plus près.


—Qu'est-ce qui vous préoccupe vraiment, Kalliandros ?


Autant jouer franc-jeu.


— Votre relation avec l'esclave de ma nièce.


— Rys ?


Nikanor reposa sa coupe.


—Julia mérite ma gratitude éternelle pour me l'avoir envoyée. Cette petite Shulamite est dotée d'un esprit vif, et son érudition est tout simplement surprenante. Je m'intéresse à ses croyances et à l'histoire de son Messie crucifié il y a trois cents ans.




Il se leva et tira un rouleau sur l'étagère.




— J'ai acquis plus de connaissances ces deux derniers mois que je n'ai pu en glaner depuis des années. Elle en sait beaucoup sur les textes sacrés. Son père, sans nul doute un libre-penseur, le lui a appris. Écoutez ceci.




Le papier s’aplatit sous le poids d’un cylindre en laiton.




Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Tu restes loin, tu ne viens pas me secourir malgré toutes mes plaintes. Mon Dieu, le jour, j’appelle, mais tu ne réponds pas. La nuit, je crie, sans trouver de repos.


Nikanor leva des yeux emplis de fascination.


— Ressentez-vous cette angoisse ? J'ai failli verser des larmes, le soir où elle m'a récité ce passage. Ce ne sont pas de simples vers pour elle.


Kallian croisa les bras, l'air vide. Il voulut se convaincre qu'il n'en avait rien à faire de ce verbiage d'illuminés, sans succès. Le poème s'imprégna malicieusement dans son esprit.


— Mon frère Kastor a exterminé les Shulamites à Tel-Sayaddin. Ce passage convient bien, je trouve, à un dieu sourd et aveugle.




En réalité, il s'en fichait de l'histoire comparative des religions de l'empire, ou de l’admiration de Nikanor pour une déité sadique.




— Dois-je supposer que vous ne couchez pas avec elle ?




Les yeux du gouverneur s'écarquillèrent comme des soucoupes.




— Avec Julia ?


— Amarys.


— Elle n'est qu'une enfant.


— À peine un an de plus que ma nièce.


Le front du seigneur se plissa, empourpré. Ce fut un long moment, avant qu'il ne réponde lentement et avec une dignité grave.


— Votre nièce est mon épouse, Prince Kalliandros. Vous avez ma parole que je lui serai aussi fidèle que je l'ai été à Helena.


Un silence malaisé recouvrit la pièce. Kallian ressentait rarement de l'embarras, aussi fût-il surpris d’en être envahi, face à l’évidence d’avoir exhumé des souvenirs douloureux.


—Je m'inquiète pour Julia, bredouilla-t-il en guise d'excuses.




Il eut l’impression d’avoir parlé dans une langue que Nikanor ne pouvait pas comprendre, et réalisa qu’il aurait probablement dû se taire. Le calme du seigneur en disait long. Combien de temps s’écoula avant que sa flèche ne soit lancée, nul ne le sut.




— J'aurais souhaité la même prévenance à l'égard de ma fille Dione.


Kallian fit celui qui n'avait rien entendu.


— Bonne nuit, Nikanor, cracha-t-il avec raideur en quittant la bibliothèque.



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