7. Le rituel

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Oldric.

Il fallut des heures à Oldric pour trouver le sommeil. Lorsqu'il se leva à l'aube et sortit de la longère, il vit sa mère récupérer les ossements de son père dans les cendres et les placer dans un récipient d'argile pour les enterrer. Quatre autres hommes moururent de leurs blessures avant que le soleil n'atteigne son zénith, et l'on construisit de nouveaux bûchers. Vers le soir, l'on captura un déserteur. Oldric savait que la tribu attendait de lui qu'il dirige le conseil. Il savait ce qu'il fallait faire, mais juger un être de l'acabit de Waast, ne lui plaisait guère.

Les guerriers se rassemblèrent dans la chênaie, le haut conseil siégeant près de l'arbre sacré. L'air nocturne était frais et humide ; le son des grenouilles et des hiboux résonnait étrangement autour de l’assemblée. Le prétendant se tint d'abord à l'écart, espérant à moitié que le commandement reviendrait à Rüd ou à Hok plutôt qu'à lui. C'étaient des hommes compétents, plus âgés.

Gundrid, le prêtre, retira deux objets enveloppés dans du tissu au creux du chêne, et les plaça sur les branches inférieures. En murmurant des incantations, il déballa et brandit des cornes d'or, ornées de symboles gravés.

Les yeux pâles du serviteur d’Ingvar se déplacèrent lentement d'un homme à l'autre et s'arrêtèrent sur lui. S'avançant, le jeune guerrier sentit la sueur perler sur sa peau. Les cornes tendues vers lui, Oldric observa l’homme à trois têtes tenant une hache qui y figurait, ainsi qu’une serpente couvant ses petits. S'il touchait les objets sacrés, il se déclarerait le nouveau grand chef. Il les brandit. Des javelots s’élevèrent en signe d'approbation.

Gundrid alluma des lanternes d'encens pendant que le nouvel élu se dirigeait vers l'autel.

Une fois les cornes posées, Oldric s'agenouilla pour recevoir la bénédiction du grand-prêtre.

— Oh, Puissant Ingvar, psalmodia-t-il, visite-nous dans notre faiblesse, guide ton serviteur, donne lui la sagesse et la force de ton bras de combat !

Le guerrier sentait son visage et son corps s'échauffer.

— Il t'offre son sang et le sang des envahisseurs qui adorent les faux dieux, l'ennemi ! Répands sur lui ta vigueur. Qu'une femme lui soit trouvée et que leur union soit féconde, afin d'engendrer tes enfants qui marcheront au-delà des montagnes et soumettront le monde à ta grandeur !

L'assemblée lui fit écho. Oldric fixait le sol, impassible, sous l'ombre blonde de sa chevelure qui s’affalait sur ses épaules.

Lorsque Gundrid eut terminé, il offrit une dague à son élu. D'un coup sec, celui-ci s'ouvrit une veine du poignet. Dans le silence, le sang se déversa sur les cornes sacrées en guise d'offrande.

Le prêtre endigua l'écoulement à l'aide d'un tissu blanc, puis détacha la fine lanière de cuir qui maintenait une petite poche contre ses reins. Lorsqu'il en versa le contenu dans la lanterne, une petite flamme siffla et explosa dans des tons rouges et bleus brillants, arrachant à l’assistance un souffle d'effroi.

Gundrid se balança, gémit, tandis que l'atmosphère s'emplissait d'un parfum étrange. Il jeta ses mains en l'air, adorant avec extase dans une langue méconnaissable, dédiée à Ingvar et aux divinités de la forêt. Bientôt, l'odeur de l'encens envahit les narines d'Oldric. Les premiers relents rappelaient la viande avariée, mais la respiration en dissipa la fétidité, et le guerrier eut le sentiment que les vapeurs, en lui, venaient à la vie, s’animaient. Cela faisait comme des vrilles qui se développaient dans sa poitrine et qui, tels des doigts de feu, lui enserraient le cœur.

Soudain, un silence lourd tomba et Oldric perçut des murs de pierre qui se dressaient de part et d’autre. Émanant de l’intérieur des murs, des fuites furtives et des grattements suggéraient la présence de rats. Sa tête en suivait les déplacements, leur cessation lui arracha un hoquet rageur. Des coups ébranlaient une façade comme si quelqu’un cherchait à la fracasser. Une autre laissait filtrer des sifflements si discordants que les dents du Skag se mirent à grincer frénétiquement.

Puis, les murs s'écroulèrent pour laisser place à une arène de cadavres. Effroyablement massacrés, des combattants gisaient pêle-mêle, recroquevillés dans le sable, des poutres de bois démolies alentour, baignant dans des mares de sang mal coagulé. Plus loin les dominait un mort qui avait le visage de son père. La tête coiffée d'un heaume de bronze, il tenait en guise de sceptre un javelot brisé, et lourd d’un appel muet, son regard suivait son fils.

Oldric prit la fuite, mais ne dépassa pas les abords de l'arène. Une longère se dressait devant lui. Par la fenêtre, il aperçut un vieux pommier. À cette vue, la nostalgie lui tordit le cœur.

Une jeune fille entrait d’un pas léger, tenant un nourrisson dans ses bras.

— Te voici donc, mon amour, dit-elle gentiment. Viens, viens donc. Tu es ici chez toi, tu ne risques rien.

La main menue se déployait vers lui, aussi pâle qu'affectueuse. Oldric n'éprouva qu'un désir, la saisir, l'étreindre. Il faillit avancer d'un pas, songea brusquement :

Ils sont morts, morts tous les deux, depuis une éternité.

Puis il recula et se mit courir.

S’esquissèrent à l'horizon des vantaux d'or massif, gigantesques. À son approche, ils s’ouvrirent soudain, laissant jaillir une lumière si aveuglante que l'élu tomba par terre. Au milieu de la clarté, se tenait une femme dont les longs cheveux noirs, épais et bouclés, retombaient comme un lourd manteau au bas de ses reins. Elle avait de grands yeux d’un brun chaud, une silhouette svelte, la peau foncée, lisse et sans tache.

Le cœur d'Oldric battit de plus en plus vite, son souffle accéléra. Il eut encore des visions de bêtes ailées et de corps bronzés se tordant, enfermés dans un combat mortel au sein des flammes. Les formes s’entortillèrent et se dissipèrent, le noyant dans un océan de brume. Rejetant la tête en arrière, il cria jusqu'à ce qu'il pense qu'il allait exploser.

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