2.Tel-Sayaddin

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Rys.

Amarys se pencha sur sa mère pour la protéger, craignant de la perdre elle aussi.

—Mère ?

Toujours pas de réponse. Sa respiration était saccadée, son teint cendré.

Qu'est-ce qui prenait tant de temps à Dan ? Il était parti depuis l'aube, et déjà la nuit tombait. Le Seigneur ne l'emmènerait sûrement pas aussi loin.

S'il te plaît, Dieu. Je t'en prie !

Les mots ne venaient pas, du moins pas ceux qui avaient un sens. Elle ne faisait que gémir au plus profond de son âme.

S'il te plaît quoi ? Les tuer maintenant par la famine avant que les Égéens n'arrivent avec leurs épées ?

Oh, mon Dieu, mon Dieu !

Sa supplique était venue inarticulée et désespérée, impuissante et pleine de peur. Pourquoi étaient-ils venus dans cette ville ? Elle détestait Tel-Sayyaddin. Rys lutta contre le désespoir qui l'habitait. Il était devenu si lourd qu'il ressemblait au même gouffre sombre que ce ciel sans étoiles. Elle essaya de penser à des temps meilleurs, à des moments plus heureux, mais ces pensées ne venaient pas.

La porte s'ouvrit lentement et le cœur de la jeune fille bondit d'effroi, la ramenant au présent sinistre. Des voleurs s'introduisaient souvent dans les maisons de la rue, assassinant les occupants pour une miche de pain. Mais c'est Dan qui entra.

Elle expira, soulagée.

—Je craignais tellement pour toi ! murmura-t-elle, la voix tremblante. Tu es parti depuis des heures !

Dan poussa la porte et s'écroula, épuisé, contre le mur près de leur sœur.

— Qu'as-tu trouvé ?

Rys s'attendait à ce qu'il prenne quelque chose dans sa tunique. Ce qu'il trouvait comme nourriture devait être caché pour éviter toute attaque.

Son frère la regarda sans espoir.

—Rien. Rien du tout. Pas une chaussure usée, pas même le cuir d'un soldat mort. Rien…

Il émit un gémissement rauque, les épaules affaissées. Amarys reposa doucement sa mère contre la couverture et s'approcha de lui. Elle l'entoura de ses bras et appuya sa tête contre sa poitrine.

—Tu as essayé, Dan. Je sais que tu as essayé.

—Peut-être que c'est la volonté de Dieu que nous mourrions.

—Je ne suis plus sûre de vouloir connaître la volonté de Dieu, dit-elle sans réfléchir.

Malgré le cœur comprimé qui lui martelait la poitrine, les larmes ne devait en aucun cas sortir, pas devant Dan.

— Maman a dit que le Seigneur pourvoira, tenta-t-elle d'affirmer avec confiance, mais les mots sonnèrent creux. Elle n'était pas comme Père et Mère.

Garde la foi, garde la foi, garde la foi. Quand tu n’as rien d'autre, garde la foi.

Dan frémit, la tirant de ses sombres pensées.

—Ils jettent des corps dans l'Oued, derrière le temple sacré, par milliers, Rys.

Rys se souvint de l'Oued. C'est là que Tel-Sayyaddin se débarrassait des animaux morts et impurs et jetait la terre de la nuit. Des paniers remplis de sabots, d'entrailles et de restes d'animaux provenant du temple y étaient transportés et jetés. Les rats et les oiseaux charognards infestaient l'endroit, et la puanteur était souvent transportée par les vents chauds à travers la ville.

Père l'appelait la Géhenne.

Amarys ferma les yeux, mais la question se posa brutalement contre sa volonté. Son père avait-il été jeté dans cette fosse ?

— J'ai vu le prince Kastor, continua Dan d'un ton morne. Il est venu à cheval avec quelques-uns de ses hommes. Quand il a vu les corps, il a crié. Je n'ai pas pu entendre ses paroles, mais un homme a dit qu'il criait à Dieu que ce n'était pas lui qui avait fait ça.

— Si la ville se rendait maintenant, aurait-il pitié ?

—S'il pouvait contenir ses hommes. Ils haïssent les Fanatiques et veulent les voir détruits

— Et nous avec eux.

Elle frissonna.

—Ils ne sauront pas faire la différence entre les véritables croyants et les Fanatiques, n'est-ce pas ?

— Rebelle, Fanatique, Shulamite vertueux ou même chrétien, cela ne fera aucune différence.

Ses bras enlacèrent plus fermement son frère.

— Pourquoi Dan ? Pourquoi devons-nous souffrir ?

—Nous portons les conséquences de ce que nous nous sommes faits à nous-mêmes et du péché qui domine ce monde. Le Messie a pardonné au voleur, mais il ne l'a pas fait descendre de la croix.

Il repoussa sa main dans ses cheveux ondulés.

—Je ne suis pas sage comme père. Je n'ai pas de réponse au pourquoi, mais je sais qu'il y a de l'espoir.

La voix de Rys grimpa d'un ton sans qu'elle ne s'en rende compte.

— Quel espoir, Dan ? Quel espoir y a-t-il ?

Dan tenta de répliquer quelque chose lorsqu'une voix retentit à l'extérieur. Un homme criait et courait dans la rue. Leah se réveilla, hystérique.

— Je vais voir ce qu'il se passe, dit le grand frère en se relevant. Occupe-toi de Leah.

Mais à peine fût-il sorti que Rys vit les flammes. Elles s'élevèrent dans la nuit comme si elles défiaient les cieux, impatientes. Les charpentes des maisons se transformèrent en d'éphémères morceaux de bois, chauds rubans de lumière. Les étincelles dansaient d'une façon folle, sautaient, volaient, désireuses d'atterrir où bon leur semblait. L’odeur de la fumée la poussait à partir, mais où ?

Puis vint le hurlement des hommes tandis que les flammes les engloutissaient, avalaient les rideaux brodés de fils fins bleus, écarlates et pourpres. Sur les toits Rys entendit quelqu'un crier au peuple de monter et d'être délivré. Les cris d'agonie des gens brûlés traversaient son corps, se mêlant aux bruits croissant de l'acier dans la ruelle. Hommes, femmes, enfants, peu importe, ils tombaient sous les coups de l'épée. Amarys essaya de chasser ces bruits de son esprit, mais le son de la mort était omniprésent. Elle voulut se lever et s'enfuir, mais où pouvait-elle aller ? Et qu'en était-il de sa sœur et de son frère ?

Plus de voix d'hommes. Plus fortes. Plus proches. Une porte se fracassa non loin de là. Les gens à l'intérieur hurlèrent.

Le visage couvert de cendres, Dan surgit devant la porte puis la referma violemment.

L'estomac vide de Rys se resserra en une boule de douleur. Elle entendit les hommes dans la rue qui se rapprochaient. Les mots étaient Égéens, le ton méprisant. Un homme donnait l'ordre de fouiller les maisons voisines. Une autre porte s'enfonça. D'autres cris retentirent et le bruit de chaussures à clous arriva jusqu'à leur porte. C'est alors que le cœur de la jeune fille s'emballa.

— Oh, mon Dieu ! Mon Dieu !

Dan demeura étrangement calme.

— Ferme les yeux, Rys. Souviens-toi du Seigneur, lui recommanda-t-il alors que la porte s'ouvrait avec fracas. Dan émit un son dur et cassé et tomba à genoux. Une pointe d'épée ensanglantée sortit de son dos, tâchant sa tunique grise d'un rouge sombre.

Le soldat Égéen repoussa Dan d'un coup de pied, libérant son épée. Amarys ne fit pas le moindre bruit. Fixant l'homme, dont l'armure était couverte de poussière et du sang de son frère, elle ne pouvait pas bouger. Les yeux de l'homme brillaient à travers sa visière. Lorsqu'il s'avança, levant son épée ensanglantée, la jeune fille bougea rapidement et sans réfléchir. Elle bouscula Leah et se jeta sur elle.

Oh, mon Dieu, que ce soit vite fini, pria-t-elle. Que ce soit rapide.

Leah se tut. Le seul bruit était celui de la respiration rauque du soldat, mêlé aux cris venant du bas de la rue.

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