La Mort se meurt

4 minutes de lecture

Je me souviens encore du jour qui marqua la fin du vieux monde.

 Rien, ni personne, n’aurait pu prévoir l’hécatombe qui allait ravager la Terre ce jour-là. Chacun allait, çà et là, occupé avec sa propre vie, ses propres envies, ses propres emmerdes. Dans tous les pays, partout sur le globe, on allait ou on revenait du travail, on retrouvait des amis ou on les quittait, on courait après un bus, on descendait d’un avion, on profitait d’un bon vieux film, ou on ne faisait rien.

Les plus chanceux mourraient ce jour-là.

 Le plus chanceux de tous, c’était un allemand, Klaus Scheider qu’il s’appelait. En tout cas, c’est celui qui a le plus eu chaud aux fesses. Il aura pas connu la suite et de peu ! Le père Klaus, c’était le dernier. Le dernier à partir parce qu’il était vieux. A partir serein. Les autres, ils ont pas eu cette chance.

 Ce jour-là, moi, je dinais avec ma famille. On était tous là. On était pas forcément du genre à regarder les infos, mes vieux préféraient lire les journaux, et avec le frangin, on utilisait internet quand on voulait savoir ce qu’il se passait sur cette bonne vieille Terre. Mais ce soir-là, on regardait les infos. On allait pas tarder à élire le nouveau président et mon paternel voulait pas manquer les débats… Sauf qu’il y a pas eu de débat. Y a jamais eu de débat. On a eu le président de cette époque-là qui nous a tiré une sale tête. En fait, le monde entier a eu la sale tête de son président sur son écran au même moment. Et ils ont tous annoncé la même merde.

Les gens ne meurent plus. Et ceux qui naissent, ils restent pas longtemps.

 Les gens ils mourraient toujours bien sûr, les accidents, les suicides, les maladies et la faim… Tout ça, ça tuait encore. Mais on avait enregistré personne mort de causes naturelles depuis plusieurs mois. Et les nouveau-nés, ils passaient pas la semaine. Le dernier parti, c’était le père Klaus. Sur le coup bien sûr, tout le monde a cru à une vaste blague, on a ri un bon coup et on s’est bien fichu de leur tronche. Il a pas fallu attendre la fin du mois avant que tout le monde arrête de rire.

Ils continuaient à nous bassiner les oreilles tous les jours avec les mêmes slogans : « 170 jours depuis la mort de Klaus Scheider » ; « 171 jours depuis la mort de Klaus Scheider » ; « 172 jours… » Et ainsi de suite. Et effectivement, les vieux qui devaient passer l’arme à gauche, ils passaient pas l’arme à gauche. Ils claquaient pas. Et les enfants, ils survivaient pas. Et comme une belle bande d’imbéciles, on a tous cédé à la panique.

On s’est tous réveillé en même temps ! Y’en a quelques un qui ont réagis et le monde entier les as suivit dans leur paranoïa. En une seule journée, la vie a pris une tournure de fin du monde. En une seule journée, les complotistes ont foutu tous les politiques à la porte, sous prétexte que c’était de leur faute, les pragmatiques ont dévalisé tous les magasins de bouffes en prévision d’une pénurie, les scientifiques ont immédiatement rassemblé toutes les données possibles pour étudier le problème… Les plus stupides n’ont rien fait, prenant ça comme une bonne nouvelle, comme quoi on mourrait pas et qu’on était devenus immortels, quels crétins !

 Ceux que je plaignais le plus, c’était les religieux. Enfin, pas tous, seulement les plus impliqués. Ils se sont foutus sur la gueule presque immédiatement. Certains croyaient que c’était une punition de Dieu pour les « péchés des hommes » (quel ramassis de conneries) et d’autres y ont vu une récompense, comme quoi on allait s’élever vers une nouvelle race. Ah, ça, on en a eu des pigeons qui se sont pris pour des anges et qui se sont écrasés au sol comme des lourdauds. Ceux qui étaient pas partis en finissant écrabouillés sur le bitumes, ils débattaient contre les autres, c’est souvent allé jusqu’au sang…

Au final, dans la panique, entre ceux qui ont accepté leur punition ou leur récompense divine et qui ont sauté, ceux qui se sont battus pour de la bouffe ou du fric, ceux qui ont cherché un responsable et ceux qui nous ont fait une dépression nerveuse aigüe mortelle si on puit dire, on a perdu pas mal de gens dans la journée. Beaucoup avaient perdu la vie, et autant avaient perdus la boule !

Moi, mon frère et mes parents, on a rien fait de particulier. J’étais pas bien âgée, j’avais à peine la vingtaine, et je croyais encore tout ce que pouvait me dire ma mère ou mon père. Tous les deux sont restés calmes, ils croyaient dur comme fer que tout rentrerait bientôt dans l’ordre, c’est beau l’espoir… Mes amis non plus ils y croyaient pas, c’était pas assez logique, trop mystique. Au final, à rester dans le déni aussi longtemps, ils se sont tous décrépis petit à petit, jusqu’à devenir l’ombre d’eux-mêmes. Aujourd’hui, de tous ceux qui m’entouraient à l’époque, il ne reste que mon frère. Lui aussi il a perdu tout le monde, il ne reste que moi. Lui et moi, seuls.

Je me souviens encore du jour qui marqua la fin du vieux monde.

Ce jour-là, j’ai entendu les cris de tout le monde dans la rue. On courait dans tous les sens, on appelait ses proches, on s’agitait… Quand les premiers grands mouvements de la populace se sont déclenchés, j’ai miraculeusement réussi à échapper à la folie générale. J’ai fui en voyant les premières violences ravager la foule.

Je me souviens d’avoir écrasé sous ma botte les gros titres qui résumaient tout ce qui ferait la suite de notre histoire :

« La mort se meurt »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Charon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0