MH - Introduction

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Mon métier, je n'en suis pas fier. Mais chaque fois que j'y pense, je trouve toujours deux bonnes raisons de continuer : l'argent et la vérité. Dans mon travail, je ne cherche pas la justice, mais le Vrai, la vérité froide et crue. Et en ce moment, c'est ce que mon appareil photo capture. Je fais tourner mon objectif pour avoir la meilleure lumière possible, à cette heure tardive de la nuit. Devant l'hôtel « Chez Monique et Dédé », deux personnes de sexe opposé s'embrassent goulument. Le terme est bien choisi, à tel point que je me demande si l'homme n’a pas entamé un nettoyage des amygdales de sa partenaire. Partenaire d'ailleurs qui m'intéresse beaucoup plus. C'est elle que mon objectif fixe, et chaque fois qu'il cligne de son œil cyclopéen, une image de son adultère s'imprime dans sur le papier argentique de ma pellicule. Comme vous pouvez le deviner, je suis détective privé et c'est son mari qui m'a engagé. Il la soupçonnait depuis longtemps, mais elle est maline et m’a donné du fil à retordre. Il ne peut pas divorcer sans preuve, à cause, bien sûr, de fortes considérations monétaires. L'absence d'amour n'est plus une raison valable devant un notaire ou un avocat, mais l'adultère est le meilleur argument. Nul juge ne peut contester cet état ; les gens riches se séparent uniquement lorsque les preuves flagrantes de la trahison sont exposées au grand jour.

Je continue à gamberger jusqu'à ce que je me rende compte que les deux coupables ont disparu. Mais je sais très bien où ils se trouvent. La fenêtre d'une chambre au premier étage de l'hôtel vient de s'allumer. J'attrape mon téléobjectif superpuissant, et je braque mon appareil comme une arme à feu vers le lieu du délit. Mes prochains clichés sont aussi crus, totalement objectifs, et supprime tout doute, même de la fosse la plus sceptique.

Ca y est, j'ai fini mon boulot. Il est 22h37, je suis dans la charmante bourgade de Bougignol, et je suis crevé. Je tourne la clé de ma Renault 14 et je m’éloigne sans bruit, ne voulant pas déranger les derniers ébats d'un couple clandestin qui sera exposé au grand jour le lendemain.

L'autoroute est vide. Malgré cela, je roule à 90km/h, la vitesse de pointe de mon fidèle moyen de locomotion. De toute façon, je ne suis pas pressé. J'ai au moins une heure de route pour rentrer chez moi, dans cette bonne ville de Méandres. Ensuite, ce sera classique : j'achèverais ma bouteille de Ricard, en écoutant de la musique mélancolique qui me portera rapidement dans les limbes du sommeil, pour me rendre compte le lendemain que j'ai encore dormi tout habillé.

Dix-sept heures plus tard, le mari est dans mon bureau. Si je cherchais à le qualifier, je dirais que c'est un salaud. C'est un gars bourré d'ambition, tellement qu'elle déborde de son costume Armani qu'il fait d'ailleurs tailler sur mesure à Milan. Il méprise tous ceux qu'il considère comme inférieurs à sa classe sociale, et adule ceux qui lui sont supérieurs. Il est riche, il est puissant, et il est orgueilleux. Et moi je le conforte dans cette idée en lui présentant les photos prises la veille. La jubilation transperce son visage. Il en bave presque. Il remet les photos dans l'enveloppe de papier kraft, et enferme celle-ci dans son attaché-case. D'un geste sûr, preuve qu'il en est coutumier, il met la main dans la poche intérieure de sa veste et en sort une petite enveloppe pleine à craquer de billets de banque. Il me la tend. D'un geste nonchalant, je tends la main pour la saisir. Il profite de ce moment-là pour planter son regard dans le mien et cherche en moi une trace de remords, de honte. Il pense que je m'imagine que j'ai détruit la vie d'une femme avec ces vingt clichés. S’il savait ! Il baisse les yeux, déçu. Sans mot dire, il se retourne et quitte mon bureau, filant tout droit chez son avocat pour entamer la procédure de divorce. A-t-il raison de croire que je puisse regretter mon acte ? Personnellement, je m'en fous. J'ai fait mon travail, c'est tout. Je n'attends ni médaille ni louange, juste l'argent qui va acheter ma bouffe et de me donner un toit qui me protège du froid de l'hiver. Je sors un petit godet du tiroir du bas et je l'écluse tranquillement. A cet instant, mon cerveau est aussi vide qu'une cave de banlieue après une descente de flics. Je décide de m'octroyer la fin de la journée. Je me lève et j'enfile mon pardessus râpé pour me rendre au resto chinois d'à côté.

Le lendemain, j'évite la mort de justesse. C'est la femme que j'ai piégée : elle a essayé de me renverser avec sa grosse Porche Cayenne. Heureusement que je l'ai vue arriver, sinon j'aurais le cheval dressé gravé sur ma poitrine ! Elle n'essaie pas de se cacher. Elle stoppe non loin de moi, baisse sa vitre fumée, et me fait un doigt tout en marmonnant jurons et malédictions. Si elle m'envoie le mauvais œil, qu'elle lui dise qu'il fasse la queue dernière la guigne et la chkoumoune qui attendent déjà en ligne. J'ai dû recevoir en dix ans de métier plus de malédictions que tous les profanateurs de tombes réunis. Mais l'essentiel, c'est de ne pas y croire. Et ce qui est bien, c'est que c'est mon cas.

Alors que je bois mon café au troquet du coin, la télé m'envoie en pleine face le visage de Christian Bermot, le détective privé le plus célèbre de la ville, celui que l'on surnomme « Dick Tracy ». Mon regard s'attarde quelques secondes sur son facies d'Eliot Ness, incorruptible. Puis je baisse les yeux et retourne sur mon journal. Aujourd'hui, un chien à trois testicules est né.

Au fait, mon nom à moi est Marcel, Marcel Héros.

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