Lille, 17 janvier 1943.

En ce matin de janvier, Romain aide sa mère dans les tâches quotidiennes du foyer. Le jeune Français de vingt-trois ans est une aide précieuse pour sa mère qui éprouve des difficultés à subvenir aux besoins de son fils et aux siens depuis la perte de son époux. Romain suit depuis plusieurs années, des cours de littérature à distance ; ce qui lui permet de travailler à côté et de venir en aide à sa mère. Il distribue le journal aux habitants de la ville pour la maison d'impression, le matin ; et pendant la journée, il fait des courses pour les personnes âgées en difficulté et les blessés de guerre dépendants. Le jeune homme a le sens du service et de la fraternité et il ne délaisse pas ses valeurs en ces temps de guerre. Il se fait discret, dans le sens où il ne s'attire aucun problème ; il salue les Allemands qu'il croise et leur propose même parfois de leur apporter ce dont ils ont besoin ; même si leur présence déplaît à Romain, il préfère jouer profil bas plutôt que de risquer de créer des ennuis pour sa mère. 

La matinée s'écoule, Romain se prépare à faire sa première tournée de courses pour les personnes qu'il aide. Il embrasse sa mère, sort de la maison et se met en route à vélo. Sur le chemin, il croise quelques soldats allemands de la Wehrmacht. Il aimerait faire quelque chose contre eux, mais le risque est trop élevé. Il sait qu'il y a un groupe de résistants ici à Lille ; d’ailleurs, on lui a proposé de l’intégrer ; mais Romain a refusé. Il acceptera de se battre pour son pays seulement s'il est convaincu que sa mère ne risque rien. Qu'est-ce que la Gestapo pourrait lui faire subir pour obtenir des informations ? Romain ne préfère pas y penser. 

Il récupère les denrées alimentaires dans les différents commerces puis se dirige vers les foyers de ses clients. Ce sont des personnes âgées pour la plupart dont les enfants sont soit à l'autre bout du pays, soit en Allemagne pour le travail, ou prisonniers de guerre. Romain discute avec eux un petit peu pour entretenir leurs contacts sociaux. Beaucoup se plaignent en disant que c'est inacceptable de laisser les Allemands occuper le pays ; Romain partage leur avis, mais il préfère ne pas faire part de ses idéaux pour rester discret. La honte traverse beaucoup de Français, ils ont été humiliés. Certains se sont exilés, d'autres sont entrés en résistance, il y en a qui acceptent la situation tout simplement ; et enfin, il y ceux qui collaborent, soit par lâcheté, soit parce qu'ils approuvent la situation et espèrent voir l'Allemagne sortir gagnante de cette guerre. Mais un pays peut-il sortir vainqueur d'un conflit quand il a perdu, malgré tout, une partie de sa population ? Ou la haine, n'est-elle pas l'éternel vainqueur des conflits meurtriers humains ?

Ce qui se passe pendant cette guerre marquera à jamais l'histoire des Hommes, que ce soient les actes du troisième Reich, ou bien les actes des Soviétiques à l'Est de Berlin ; l'Humanité sera à jamais marquée par la terreur et la violence ultime de ce conflit. Romain est aujourd'hui le témoin de ce que, qu'importe leur nationalité, les Hommes font de pire.

Après sa tournée quotidienne, Romain regagne le foyer familial. Lorsqu'il arrive dans le salon, il trouve sa mère en compagnie d'un homme, inconnu du jeune homme. Sa mère se lève, suivi de l'inconnu.

- Mon chéri, je te présente Pierre Brossolette, il nous vient de la capitale, commence sa mère.

Romain s'approche de Pierre et lui serre la main en lui disant bonjour.

- Vos deux pères se connaissaient, alors comme Pierre est de passage à Lille, nous lui offrons le logis et le couvert. 

- D'accord, il n'y a aucun problème pour moi, répond Romain. Je suis, mon ami, enchanté de faire votre connaissance.

Les trois Français s'installent sur le sofa, autour de tasses de café ou de thé. Si au début, ils évoquent les souvenirs du passé, Pierre finit par donner les raisons de sa venue dans la ville du Nord du pays.

- Sachez que si je suis là, c'est pour une raison particulière. Mais avant de vous en dire plus, j'ai besoin que vous me juriez que tout ce qui va être dit, restera entre nous.

Les deux Lillois se regardent puis jurent de ne rien révéler.

- D'accord. Si je suis là, c'est parce que je souhaite intégrer Romain dans un groupe de résistance. Je sais que son père n'aurait pas hésité, et j'espérais qu'il en serait de même pour lui.

- Je suis touché que vous pensiez à moi. Mais le risque est élevé, je ne veux pas mettre ma mère en danger en lui apportant des ennuis. Les Allemands pourraient débarquer ici et la malmener, je ne souhaite pas ça, annonce Romain.

- Je comprends. Mais je ne parle pas de vous proposer des activités ici, à Lille ; mais à Paris, loin de Lille, et de tout problème que votre mère pourrait subir.

- Je vois. Je dois y réfléchir un peu.

Pierre acquiesce, comprenant que ce n'est pas une décision à prendre sur un coup de tête. La mère de Romain ne s'oppose pas à la proposition de Pierre ; c'est une décision qui ne revient qu'à son fils, et même si elle s'y opposait, il lui désobéirait.

La nuit passe, laissant à Romain un long moment de réflexion. Cependant, il n'a pas toute une vie pour réfléchir car Pierre a prévu de partir dès midi passé. Alors au petit matin, il fait part de sa décision et rassure sa mère en lui disant que tout ira bien. Il prépare ses affaires en n’emportant que le nécessaire. Puis à midi, après un bref déjeuner, il embrasse sa mère et quitte la maison pour prendre la route avec Pierre vers la capitale d'une France occupée, ignorant encore tout ce qu'il va vivre.