Chapitre 47

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Les couloirs défilaient. Laissant de temps en temps place à une série de salles aux styles ainsi qu’aux atmosphères aux différences flagrantes. Du minimaliste, où le peu de meubles ou verreries mettaient en valeur quelques peintures et sculptures dans une pièce immense, l’on passait à une surcharge de mobiliers anciens et aux teintures dépassées. Quelques fois, le décor aux nombreux végétaux fusionnait avec un atrium tout aussi vert, dans une jungle à l’extension contrôlée. Bien avant d’être arrivées à destination, elles avaient traversé un gigantesque corridor au sol recouvert de sable. Les murs étaient décorés de peintures abstraites caractéristiques des royaumes des Sables, agrémentées de soieries et autres ornements très en vogue dans les Contrées Outremers.

Clare en venait sincèrement à se demander si Nabar avait une identité bien à elle. Un style qui lui était propre. À part, bien sûr, l’extrême raffinement des lieux et le côté précieux émanant de toutes choses et de toutes gens. Une pensée dont elle s’était bien gardée de faire part à Alistair alors qu’il leur narrait l’histoire des différentes œuvres d’art qu’ils dépassaient et dont les anecdotes méritaient d’être racontées.

— Cela fait si longtemps, Alistair, et tu nous parles de déco…

La voix de Lamia ramena Clare à la réalité.

— Nous avons le temps pour nous remémorer nos souvenirs d’enfants, répliqua leur guide sur un ton égal.

Il n’avait pas ralenti ni ne s’était retourné alors qu’ils empruntaient un nouveau corridor. Et toujours ces petits pas qui, vus de dos, lui donnaient l’allure d’un petit mammifère de bord de plage.

— Ne vas-tu pas nous conter ton séjour dans les Royaumes Francs ?

L’excitation pointait chez la dame de parage et Clare ne pouvait nier qu’il en était de même pour elle. Malheureusement, le tremblement distinct et vite contrôlé des épaules d’Alistair Rofocade doucha leur enthousiasme.

— Il n’y a rien à dire sur les Royaumes Francs. Rien d’intéressant.

Les deux femmes échangèrent un regard entendu. Le jeune intendant ne leur révèlerait rien de cette période qu’elles devinaient avoir été difficile pour lui. Qu’avait-il bien pu lui arriver là-bas ?

Visiblement frustrée, Lamia changea de tactique.

— Et si tu nous disais pourquoi la Cour de la pupille doit séjourner à l’extérieur de Couliour ? Ce n’est pas commun, tu l’avoueras ?

— Ce n’est pas commun, en effet, répondit-il toujours à petits pas.

— C’est même un manque de diplomatie évident ! Il s’agit de la Cour de la pupille, je te le rappelle ! Nous avions prévu tant de promenades et d’après-midi à boire du thé entre femmes. Notamment avec cette douce Myrcella de Roy qui, j’en suis certaine, n’en fermera pas l’œil de la nuit ! Que se passe-t-il ici ?

Les lèvres de Clare frémirent malgré elle. Lamia ne perdait pas de temps à poser des questions, ceci avec l’air outré d’une véritable domestique n’ayant pour ultime but que le joli petit monde de sa maîtresse. Nul doute que toutes deux s’attendaient à ce que cette connaissance de longue date, native des duchés d’Irile, leur brosse un rapide tableau de la situation globale des Baronnies. Où même quelques indices camouflés derrière une langue de bois dépeignant un portrait idyllique et, de ce fait, contradictoire avec les informations qu’elles détenaient déjà.

Alistair Rofocade les prit de court en s’arrêtant net. Du fait de ses petits pas, elles manquèrent de le bousculer alors qu’il lâchait par-dessus son épaule, la voix toujours aussi égale :

— Allons, nous n’entrerons pas dans ce petit jeu, vous et moi. Nous venons tous trois d’Irile et savons pertinemment comment les choses se passent là-bas. Ce qui relève du folklore pour certains n’est qu’une triste réalité pour nous autres.

Les petits pas reprirent et Clare et Lamia échangèrent un nouveau regard trahissant une incrédulité partagée, ainsi qu’une tension grandissante.

Une aura dangereuse emplit l’air tandis que Lamia plongeait la main dans l’un des replis de sa robe. Dans la pénombre du corridor avançait un Alistair Rofocade sur lequel planait une ombre de danger alors que, dans son dos, se discernait sans mal le terrible regard de loup de la pupille qui planifiait déjà le pire pour le jeune intendant.

— L’adage le dit, poursuivit-il sans se douter de quoi que ce soit. Dans chaque cour d’Irile, dans chaque duché, se cache un tourmenteur. Et je ne doute pas que l’un d’entre eux soit venu avec vous.

L’aura se dissipa aussi rapidement qu’elle était apparue. Clare affichait un semblant d’air préoccupé alors que Lamia faisait mine de lui ôter quelque chose des cheveux. Et ce fut le tableau que le jeune homme découvrit lorsqu’il se retourna pour de bon, cherchant à connaître la raison de leur silence.

— Des tourmenteurs…, murmura Clare, toujours pensive.

— Avec nous, conclut Lamia en tirant la langue, visiblement très concentrée sur ce qu’elle tentait d’extraire des cheveux de la pupille.

Alistair Rofocade les considéra un instant de ses petits yeux pâles, la mine toujours impassible.

Après un soupir, il souffla :

— Ravi de voir que vous êtes, toutes deux, toujours aussi concernées par ces questions de sécurité propres au royaume.

— Nous le sommes, Alistair, répliqua Clare lascivement.

— Oui, oui, Alistair, renchérit Lamia. Mais chacun ses problèmes et les tiens viennent empiéter sur les nôtres. Cela va considérablement compliquer notre programme. Que nous restera-t-il à faire ?

— Admirer des tableaux…, soupira la pupille.

Elles échangèrent un regard désabusé tandis que l’intendant leur tournait de nouveau le dos pour reprendre ses petits pas.

— Vous n’avez pas changé. Je ne sais pas si je dois le déplorer ou si cela devrait me rassurer. Peut-être les deux…

— Alistair, est-ce là un trait d’humour ? demanda Clare avec curiosité.

— Peut-être bien, rétorqua celui-ci avant d’ajouter. Les dispositions seront prises pour qu’une partie de votre Cour puisse venir vous tenir compagnie à des intervalles différents. Vous ne serez jamais seules, dans le cas où vous le désirez. Cependant, cela ne saurait prendre effet que d’ici deux jours, au plus tôt.

— Deux jours ! s’exclama Lamia.

— Le temps pour nous de passer au crible vos accompagnateurs et d’organiser au mieux vos après-midi. En dehors de Nabar, vous pourrez faire comme vous l’entendez mais ici…

Il laissa sa phrase en suspens. Le sous-entendu était clair. Si un tourmenteur s’était trouvé dans leur Cour, il aurait les pieds et poings liés avant même d’avoir pu pénétrer Couliour. Si…

Pendant le reste du trajet, les deux jeunes femmes se laissèrent conduire sans importuner directement l’intendant. Cependant, leurs discussions incessantes sur les personnalités de la Cour qu’elles choisiraient pour leur tenir compagnie eurent vite fait de lui taper sur les nerfs. En effet, le visage d’Alistair Rofocade ne trahissait toujours pas la moindre impatience. Par contre, ses petits pas se faisaient de plus en plus vifs, de plus en plus rapides. Et fort heureusement pour lui, il restait peu de chemin à parcourir.

— Vos clefs, si vous le voulez bien, lâcha-t-il en s’arrêtant devant une porte à double battants.

Ils venaient de pénétrer dans un hall de taille modeste. Sur leur gauche, il s’étendait jusqu’à un large balcon exagérément fleuri. Ce même balcon se poursuivait et semblait communiquer avec les quartiers qu’on leur avait attribués.

Devant la réaction de ses invités, Alistair retint son geste, hésitant.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il.

Bien que son ton reste égal, on y sentait malgré tout un soupçon d’inquiétude à l’idée d’avoir pu être inconvenant. En effet, Clare regardait l’objet qu’il tenait entre les mains comme si c’était la première fois qu’elle en voyait un de semblable et Lamia, elle, gardait sa main plaquée contre sa bouche, visiblement stupéfaite.

— Quelqu’un risque-t-il d’entrer dans nos chambres pendant que nous dormirons ?

— Euh non, hésita Alistair.

— Pendant que nous faisons notre toilette, alors ? renchérit Lamia.

— Pas que je sache…

— Alors que nous serons à l’extérieur ? Y a-t-il des vols ici ?

— Absolument pas. Vous êtes à Couliour !

— Alors qu’allons-nous faire de clefs ? s’exclama la pupille. Vous veillerez à nos affaires, non ?

— Mais bien entendu !

Pour une fois, Alistair Rofocade paraissait quelque peu décontenancé. Son regard passa des deux jeunes femmes à ce qu’il tenait entre les mains.

— Si vous n’en voulez pas…

— Pourquoi n’en voudrions nous pas ?! s’écria Lamia à son tour. Après ce que tu viens de nous faire comprendre !

— Mais qu’est-ce-que je viens de vous faire comprendre ?

— Je ne me sens pas du tout rassurée ! articula Clare d’une voix forte en balayant de ses yeux grands ouverts les alentours.

— Je suis là, ma dame…

La bouche entrouverte, l’intendant avait perdu son impassibilité. Son regard inquiet allait de l’une à l’autre et son front se plissait sous sa concentration palpable à tenter de deviner le problème féminin auquel il faisait face.

— Si je peux faire quelque chose…

Mais Lamia l’arrêta d’un geste, la mine outrée.

— Il suffit, Alistair ! Tu en as assez fait !

— Je veux des gardes devant la porte, Lamia…

— Vous en aurez, ma dame…

— Mais je vous ai déjà dit que…, commença Alistair avant d’être stoppé par la terrible œillade de la dame de parage.

— Et je veux des gardes à nous, Lamia.

— Vous en aurez, ma dame. Vous en aurez…

— Mais puisque je vous ai déjà dit que…

Mais la pupille et sa servante s’étaient déjà engouffrées dans leurs quartiers. La porte ne s’était pas encore refermée en claquant violemment qu’il recevait un :

— Fais le nécessaire, Alistair !

Et elles le plantèrent là. Les clefs à la main. Clefs qu’il considéra un instant, le visage redevenu impassible. Puis, il tourna son regard vers le balcon communiquant avec leurs appartements par les portes fenêtres. Soudainement convaincu qu’elles les laisseraient ouvertes tant que la température le permettrait.

Qu’il fasse nuit ou jour. Qu’elles soient là ou pas. Comme avant…

— Elles n’ont pas changé, dit-il doucement.

Soupirant sans plus de cérémonie, il tourna les talons.

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