Chapitre 27 : Vulnérables (1/2)

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Fut une époque où Héliandri se hissait sans hésiter aux sommets les plus insurmontables. S’accrocher à des abruptes parois relevait du quotidien, tant que l’éclat la guidait vers son objectif. À ce temps-là, son adolescence touchait à sa fin, mais sa quête ne faisait que débuter.

La consécration se matérialisait sous la forme d’une relique en airain, pourvue de quatre extensions s’achevant en courbes, qui trônait sur un monticule. C’était une richesse scintillante sur laquelle l’aventurière avait posé ses yeux dès qu’elle avait triomphé de la montagne. Au crépuscule approchant, des rayons orangés l’embellissaient de ses chaudes nuances.

Héliandri avait progressé avec lenteur, contemplant la merveille à chacune de ses foulées. Proche de s’en emparer, son bras se tendait tandis que les étincellements avaient chatouillé sa rétine.

Soudain une ombre avait contrasté, avant de filer en un éclair. La relique avait disparu en un battement de cils.

Mais Héliandri avait aperçu cette silhouette sondant l’échappatoire au ras de la déclivité. La coupable était aussi une adolescente, de carrure svelte comme Héliandri, ses mèches d’or dansant à ses bonds. Aussi preste fût-elle, l’aventurière était parvenue à la rattraper, et l’avait plaquée au sol à quelques mètres d’un gouffre.

Héliandri avait beau maintenir son adversaire, elle échouait à récupérer son précieux dû. Alors ses nerfs s’étaient durcis et son regard s’était assombri.

— Rends-moi ça ! avait-elle exigé. Je l’ai trouvé en premier !

— Raisonnement digne d’une gamine, avait répliqué sa rivale. Le monde est injuste, il faut t’y faire.

— Gamine, moi ? Tu connais beaucoup de gens de mon âge capables d’escaler le sommet de Thakusphiel ?

— Eh bien… Nous sommes au moins deux.

— Peu importe, tu ne me prendras pas mon butin !

À ces mots, la rivale avait cessé de se débattre, seulement pour mieux s’extirper de son empiètement. Elle s’était redressée d’un saut, brandissant la relique tel un trophée. Néanmoins, à la surprise de Héliandri, elle avait arrêté toute tentative de s’esbigner.

— Et je suis la brigande dans cette histoire ? avait-elle critiqué. Toi qui ne vois en cet objet qu’une source de convoitise ? Un trésor à poser vulgairement par-dessus un feu ronflant ?

— Quelles sont ces accusations ? s’était défendue Héliandri. Je cherchais juste à prouver ma valeur ! J’aurais rendu la relique à la tribu Gysdrec, pour qu’elle puisse encore l’utiliser pour ses rites de passage.

Des étincelles avaient jailli des iris de la jeune fille, après quoi elle avait observé l’aventurière. Elle avait tourné autour d’elle plusieurs fois, ce qui avait suscité sa curiosité. Seulement après plusieurs rotations, elle avait présenté sa main enroulée autour de la relique.

— Alors je t’ai mal jugée, s’était-elle excusée. Partons sur de bonnes bases. Je m’appelle Wixa Siniem, aventurière en herbe !

— Toi aussi ? avait demandé Héliandri.

— Je suis partie à la découverte de la véritable liberté. Il y a tout un monde à explorer ! Celui que mes grands-parents me narraient avec une vibrante excitation quand j’étais petite. J’ai débuté l’année dernière, et j’ai encore tant à découvrir.

Un grand sourire avait fulguré sur le visage de Wixa, jusqu’à détendre ses traits tandis qu’elle se retenait de tressauter. La relique se trouvait à portée de mains de Héliandri, qui pourtant n’avait pu se détacher du regard de l’aventurière.

— Je crois que tu l’as méritée, avait-elle conclu.

— Quoi ? avait répondu Wixa. Non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! Si nous rapportions toutes les deux cette relique ? Et ensuite, nos chemins ne seront pas forcés d’être séparés. Des explorations périlleuses nous attendent, et nous ne serions pas trop de deux pour les affronter. Surtout que nous ne risquons pas d’être aussi chanceuses, la prochaine fois.

Héliandri aurait pu refuser la proposition. Elle aurait pu faire volte-face et s’en aller là où quelconque homologue ne l’aurait guère importunée. Elle aurait pu persister à mener sa quête solitaire, pour n’entendre que le son de ses pas, pour n’écouter que ses propres pensées.

À la place, elle avait tendu sa main à son tour, flamboyant d’un sourire égal à sa partenaire.

— Je m’appelle Héliandri Jovas, s’était-elle présentée. Fendons les chemins ensemble.

L’alliance s’était scellée sur un serrement de mains. Elle avait cédé à l’amitié en peu de temps, nouée et renforcée durant les trois décennies à venir.

Longtemps tout leur avait paru facile. Explorer Menistas jusque dans ses confins, et rarement interagir avec la société. Appréhender les mystères de naguère sous les profondeurs insoupçonnées. Munies de leur torche, et d’un attirail léger, elles s’étaient épaulées jusqu’à affronter les pires dangers.

Aujourd’hui, les ondulations du portail assaillaient Héliandri dans son sommeil. Mais ce qui la hantait davantage était le silence faisant suite à l’extinction du portail. Puis cette voix pénétrante jusqu’aux tréfonds de son âme, funeste obstacle s’érigeant entre elle et sa partenaire de toujours.

— Wixa, souffla-t-elle. Où es-tu ?

Des larmes coulèrent durant son inconscience, et pourtant s’effacèrent contre l’hégémonie des flots. Une eau froide s’infiltra dans les vêtements de l’aventurière. Portée par la marée, Héliandri ballotait malgré elle, paupières closes envers et contre tout. Quelques gémissements jaillissaient par-delà ses lèvres ravinées au rythme des gifles de l’écume. Du sable humide irritait même sa peau. Rien qui pût toutefois l’extraire du repos forcé.

Les sensations se volatilisèrent subitement, supplantés par la légèreté. Héliandri finit par ouvrir les yeux, pour aussitôt apercevoir la radiante figure de Mélude.

— Désolée, ce n’est pas Wixa ! lança-t-elle. Tu devras compter sur la joviale barde pour te sortir de là !

Mélude portait Héliandri autant qu’elle en fût capable. Elle s’était trainassée à peine de plusieurs pas, des vagues atteignant ses chevilles, que sa figure devenait déjà érubescente. Bientôt ses bras tremblèrent sous le poids de l’aventurière, et une sueur ostensible lustrait sur son front. Toutes deux chutèrent sur les abords de la plage.

L’atterrissage fut doux, cadencé par le clapotis de la mer. Étalée sur le sable, Héliandri ricana en direction de Mélude, à qui elle décocha un sourire.

— Toute contribution est bienvenue, fit-elle.

— J’essaie de mon mieux ! admit Mélude, quelque peu penaude. Mais je suis surprise ! Tu es lourde pour ta taille et ton gabarit !

— Parce que j’ai des muscles, contrairement à toi.

La réplique cingla moins qu’escomptée, tant la musicienne bondit sitôt remise. Après quoi elle se précipita vers l’aventurière, mais cette dernière se redressa d’elle-même. Elle nota l’absence de son arc, là où Mélude avait conservé son épée et son luth, et se maudit aussitôt.

— J’étais déjà démunie face à Nasparian, désespéra-t-elle. Que me reste-t-il, maintenant ?

— Hé ! contesta la chanteuse. Au contraire, tu as été héroïque. Seule face à la tempête, au bout de la caravelle, tu as été sans peur !

Héliandri s’observa d’un œil critique. Soupira en effleurant ses mèches saturées de sable et d’eau.

— Ou bien je compensais, rétorqua-t-elle. Infime contre les forces dévastatrices, persuadée que mes cris y changeraient quoi que ce soit.

— Trop de sévérité envers toi-même. De mon expérience, peut-être limitée, peu de personnes ont fait preuve d’un tel courage ! Tu sais ce dont tu as besoin pour te revitaliser, Héliandri ? Une petite chanson en ton honneur !

Malgré l’objection, Mélude s’empara de son luth, et d’une allure triomphante interpréta les premières notes.


« Derrière l’impénétrable rideau de pluie,

Dans les profondeurs où seul un éclat luit,

L’unique meneuse poursuit sa quête épique,

Héliandri Jovas, aventurière de talent, va… »


Posant sa main sur la bouche de Mélude, Héliandri rendit ses prochains vers inintelligibles. Elle exhala un autre soupir.

— Je ne veux plus entendre mon nom, lâcha-t-elle. Que ce soit en bien ou en mal. Je veux juste retrouver mon amie.

Elle libéra la chanteuse de son silence imposé, laquelle se garda bien de reprendre sa mélodie. Une moue morose plissa ses lèvres quand elle avisa la profondeur des traits de l’aventurière. Son ombre s’étendit sous la puissance du zénith. Abandonnée à la marée haute, Mélude emboîta les pas de Héliandri, qui se heurta alors à Turon.

— Je savais que les vagues ne triompheraient pas de toi ! s’ébaudit-il.

— Tu semblais pourtant préoccupé lorsque je les affrontais, répliqua Héliandri en croisant les bras.

— Car ce n’était pas une tempête ordinaire. Contre un tel adversaire, la prudence n’est pas du luxe. À ce propos…

Turon prit l’un des fourreaux scintillants à sa ceinture, et offrit la lame droite à Héliandri, dont les sourcils se froncèrent.

— Pourquoi ? demanda-t-elle.

— Tu as dû apprendre le maniement des lames entre toutes ces explorations, supposa Turon.

— Que tu es attentionné. J’imagine que je ne devrais pas refuser.

— Tel a été mon engagement auprès de Guvinor.

— Ma vie est plus précieuse que mes compagnons ? Eh bien, sois sans crainte, Turon. Je m’en suis mieux tirée que la plupart d’entre nous.

Une grimace dépara les traits de Héliandri quand elle accrocha la lame à sa ceinture. Elle éluda le garde pour mieux observer Makrine et Zekan, à peine visibles par-dessous la haute et escarpée falaise. Des particules smaragdines voletèrent autour de Vazelya, toujours piégée dans les limbes, et se multiplièrent à même le poignet tressaillant de la mage.

Mélude joignit les mains, son cœur cognant contre sa cage thoracique.

— Vazelya n’est toujours pas réveillée ? s’enquit-elle.

Makrine relâcha les bras, puis le flux se dissipa dans son environnement. Même si Zekan posa sa main sur son épaule, elle ne cessait de se rembrunir.

— Malheureusement, déplora la mage. J’ai réussi à refermer sa plaie, mais elle gardera une cicatrice pendant longtemps. Peut-être pour le restant de sa vie.

— Tu as fait de ton mieux, consola Zekan. Il n’y a plus qu’à attendre, désormais.

— Combien de temps ?

— Autant que nécessaire. Soyons rassurés d’être accompagnés par une mage si puissante. N’importe qui d’autre aurait péri sous un sort aussi destructeur.

— C’est censé m’apaiser ? De savoir que nous n’avons plus la protection de Vazelya ? Que Nasparian peut nous occire si facilement ?

Makrine se déroba du toucher de Zekan, et en se redressant, négligea aussi celui de Mélude. Ainsi Héliandri et Turon disposèrent d’une vue de la mage déchue, dont la sérénité aurait inspiré dans d’autres circonstances. Inspirant et expirant dans son sommeil, Vazelya avait trouvé une forme de paix, son faciès dénué de toute expression.

Impotente, l’aventurière observa ses alentours. Elle s’immergea dans la quiétude à force de contemplation, capturée par la simplicité de la plage. Des frissons l’ébranlèrent, s’intensifièrent à la vue des planches rejetées par les vagues.

— Personne d’autre ici ! s’alarma-t-elle. La moitié de la compagnie manque.

— Alors nous avons plusieurs problèmes, dit Turon.

— Peut-être que nos amis ont sombré dans les abysses, suggéra Makrine. Dans ce cas-là, nous aurons beau fouiller cette île dans le moindre recoin, la mer se rira de nos tentatives futiles.

— Ils sont vivants ! affirma Zekan. Si un pauvre barde comme moi est intact, pourquoi un robuste guerrier ne le serait pas ? Et une aussi grande collectionneuse ?

— Prenons de la hauteur ! proposa soudain Mélude.

Tous se rivèrent vers la musicienne, yeux écarquillés, alors qu’un sourire peu opportun l’accompagnait.

— Allons en haut de cette falaise, poursuivit-elle. Avec un peu de chance, nous aurons une vision d’ensemble de l’île, voire même au-delà, et nous saurons alors où nous diriger ! De plus, Vazelya sera sûrement plus confortable sur un lit d’herbe scintillant que sur du sable irritant.

— Je dois bien admettre que c’est la solution, concéda le garde.

— Tu vois, Turon ? fit Héliandri. Nos amis bardes peuvent avoir du bon sens. Mettons-nous en marche, camarades. Si nous sommes chanceux, nous parviendrons même à apercevoir la prochaine étape de notre périple. Et que cet échec ne nous démoralise pas bien longtemps, car notre objectif se concrétisera enfin.

Un élan de motivation impulsa la compagnie disloquée, ce malgré l’état stable mais préoccupant de Vazelya. Quelques rictus apparurent sur la figure de Turon alors qu’il portait la mage sur ses épaules. Bien qu’il progressât doucement, il ne croulait pas sous l’effort, et s’adaptait à la cadence du groupe mené par Héliandri et Mélude.

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