Chapitre 9 : Diverses convoitises (2/2)

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Puisque l’orage ne faiblissait guère, Adelris et Kavel décidèrent de rester dans l’auberge pour la nuit. Ils louèrent une chambre composée de deux lits simples, où les épais rideaux gris filtraient la majorité de la lumière. Parfois irradiaient d’occasionnels éclairs qui n’empêchaient pas le cadet de trouver le sommeil.

L’aîné, en revanche, peinait à fermer l’œil. Il alternait entre la vue de sa hache, posée contre le guéridon, et celle de son frère dormant à poings fermés. Il mordilla ses lèvres, cligna fort ses paupières, sans que les battements de son organe vital ne ralentissent. Si proche, si stable, Kavel jouissait de la sérénité toute relative des lieux, ses traits juvéniles remarquables dans l’obscurité.

De temps en temps, Adelris s’apprêtait à chuchoter, mais les mots se dissipaient chaque fois en un souffle. Un tourbillon de tenaces pensées le tenaillait. Il en était réduit à fixer le haut plafond, repère immobile parmi ces images en mouvement perpétuel. Et alors qu’il psalmodia une prière, il réussit finalement à clore les paupières.

Quelques minutes s’écoulèrent, ou quelques heures, il ne sut le décrire. Entre éveil et rêve où les sensations se confondaient, le guerrier perçut à peine le cliquetis de sa hache chutant sur le plancher.

Mais le contact d’une dague dentelée contre sa gorge l’extirpa de son sommeil.

Il voulut bondir hors du lit et toutefois n’en fit rien. C’était comme si chacun de ses muscles refusaient de répondre à ses sollicitations. Aucun frisson ne le raidissait, mais sa hache hors d’accès, ses défenses s’amenuisaient.

Adelris se tourna vers Kavel. Ce dernier haletait, les yeux dilatés, tout aussi paralysé que lui. Il se courba aux crissements de la chaise dont l’intrus s’amusait.

— Je vous déconseille tout mouvement brusque. Et évitez aussi de crier.

Les deux frères se calèrent sur la dague en argent, dont le tranchant luisait autant que ses ornements de rubis et d’émeraude. Puis ils détaillèrent le porteur au sourire brillant. De grande taille et de complexion brune, cet humain s’invisibilisait dans les ténèbres. Il portait une tenue grise et uniforme, soulignant son svelte gabarit que contrastaient des bandes incarnadines et des renforcements en cuir. De lisses mèches corbeaux retombaient à hauteur de son cou et cernaient sa figure triangulaire où scintillaient ses iris vertes par-dessus une moustache courbe et un bouc pointu.

— Je vous ai bien observés, rapporta-t-il. Le guerrier a beau être robuste, il n’est rien sans sa hache. Discutons raisonnablement et nous en ressortirons tous indemnes.

— Menacer la vie de mon frère n’a rien de raisonnable, grogna Kavel.

— Simple mesure de précaution. Une manière de débuter ce dialogue avec un avantage.

— Que voulez-vous ? lança Adelris, foudroyant l’individu du regard.

— Voici plusieurs jours que nous vous avons pris en filature. Héliandri est bien entourée, et pour ainsi dire, inaccessible. Pardonnez-nous, vous étiez des cibles plus faciles.

— « Nous » ? Il y a quelqu’un d’autre dans cette pièce ?

Le faciès de l’homme s’éclaircit comme il désigna la silhouette plus dissimulée encore.

Adelris et Kavel avaient rencontré de nombreux ludrams, et ils étaient malgré tout bouche bée, car sa tête frôlait le plafond. Elle s’était vêtue d’une tenue similaire à l’homme, complétée de manches pointues, et sur sa poitrine s’entremêlaient des lignes brodées. Une paire de dagues dorées battait son flanc par surcroît. Quoiqu’une épaisse capuche dissimulait en partie son visage, les deux frères identifièrent le teint ambré de ses yeux et de sa longue chevelure, tout comme le bleu intense de sa peau.

La ludrame s’installa sur une chaise par-devers eux, et n’atteignait toujours pas une raisonnable hauteur. Kavel trémulait devant elle, au contraire d’Adelris, en dépit de la lame toujours à ras de son cou.

— Je ne me serais jamais infiltré ici sans l’aide de ma magnifique partenaire, dit l’homme.

— Tu me flattes ! fit la ludrame. Bien, je vais désormais clarifier la situation. Nos noms resteront secrets, mais notre affiliation est impossible à cacher. Nous sommes membres de la guilde des collectionneurs, et une mission précise nous a été confiées. Les ruines de Dargath ont toujours été sources de convoitise parmi les nôtres. Si nos registres poussiéreux racontent la vérité, elles abritent des richesses insoupçonnées.

— De l’avidité mal placée, marmonna Kavel. Vous me dégoûtez.

Les nerfs de la ludrame se crispèrent, sa main se referma autour du sommier, la noirceur habita son regard. Adelris tendit une main désespérément trop courte comme l’homme le maintenait immobile.

— Tu ne sais rien de nous ! tança la ludrame. Pauvre gamin impuissant, tu as intégré une prestigieuse université, et tu penses tout connaître du monde ? Tu as beau être habile à la parole, tu es inoffensif, sinon j’aurais aussi placé ma dague sur ton cou.

— Vous vous appelez les collectionneurs ? provoqua Kavel. Si seulement il existait un autre terme pour désigner ces personnes qui s’accaparent des possessions d’autrui.

— Arrête, Kavel ! avertit Adelris. Ils risquent de mettre leur menace à exécution !

— Je n’y crois pas. Ils nous veulent vivants, mais je ne veux pas les aider.

— C’est inévitable, trancha la ludrame. Nous nous sommes préparés, nous nous sommes renseignés sur vous.

— Alors vous connaissez nos motivations. Pourtant vous vous en fichez. Tout ce qui vous intéresse, c’est de soutirer ces richesses sans appréhender leur histoire.

La ludrame ne céda pas même si ses doigts se resserrèrent. Flanquant un coup d’œil à son partenaire, elle se redressa pendant qu’il libérait Adelris de son étreinte. Désormais, le guerrier retrouvait la proximité de sa hache, qu’il ne saisit pourtant pas.

— Nos objectifs sont plus subtils qu’ils n’y paraissent, se défendit l’intrus. Nous ne cherchons pas à nous accaparer des possessions d’autrui, juste de les ramener à leur détenteur légitime.

— Votre subtilité est à revoir, critiqua Adelris. Avant que nous ne fassiez irruption, nous ne nous étions même pas rendus compte de votre présence. Vous auriez pu nous pister durant notre voyage dans la plus grande discrétion.

— Et rater ainsi une flamboyante entrée ? Hors de question ! Les yeux du monde entier sont tournés vers ces ruines. La guilde des collectionneurs ne manquera pas d’apporter sa contribution à cet important chapitre de notre histoire.

— Si vous en savez déjà beaucoup, songea Kavel, pourquoi ne pas vous joindre à nous ? Votre guilde se tapit dans l’ombre, mais notre quête est aussi secrète.

— Nous sommes plus efficaces en duo. Ceci dit, vous nous reverrez peut-être.

Tandis que l’homme gardait sa main sur sa dague, vérifiant qu’Adelris n’approchait pas de mon arme, la ludrame fouilla dans la table de nuit de Kavel à son grand dam. Elle y extirpa son carnet de notes, et aussitôt ses lèvres s’étirèrent.

— Non, confirma-t-elle. Votre compagnie nous est inutile, mais si nous nous sommes infiltrés ici, c’est pour vous extraire des informations. Quelle chance que l’historien parmi les deux frères consigne tout dans un carnet.

— Et vous allez aussi collectionner ce carnet, j’imagine ? maugréa Kavel.

— Nous y dénicherons les informations nécessaires. Et si nous sommes chanceux, nous atteindrons les ruines avant vous.

— J’aurais espéré que vos objectifs soient aussi louables que vos ambitions. Appréhendez-vous seulement les dangers qui vous y attendent ?

— Ils n’en rendront la récompense que plus méritée. Adieu, Kavel. Adieu, Adelris. Votre quête est aussi nôtre.

Il était futile de s’emparer de la hache. Il était vain de résister davantage. Car la pénombre s’épaissit d’un voile supplémentaire, et en un battement de cils, le duo d’intrus s’était volatilisé.

Adelris et Kavel se maudirent, refrénant leurs tressaillements. Ils peinèrent à fermer l’œil pour le reste de la nuit.

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