Chapitre 8 : En recherche de compagnie (1/2)

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Une modeste auberge, nichée au creux d’une densité forestière, retirée aux abords de Parmow Dil. Un discret bâtiment bâti de sombres bûches et au toit incurvé, depuis lequel s’échappait une fine fumée grisâtre. Quelques discrètes lanternes chancelaient sur les poutres, en-deçà des devantures et des chiches ornements. Au contraire de nombre d’établissements similaires, peu de bruit traversait les vitres teintées et circulaires, et pas le moindre panneau n’oscillait par-dessus la double porte aux poignées rouillées.

Pour Héliandri, cela représentait un lieu idéal.

C’était sur une haute chaise, face au comptoir, qu’elle se consacrait à son occupation. De lourds traits obscurcirent son faciès à mesure qu’elle contemplait sa coupe remplie d’une liqueur aux nuances mauve intense. Elle pencha le contenant, étudia son écoulement, retarda le moment où elle le porta à ses lèvres sèches.

Et absorba sa boisson d’une unique goulée. De multiples frissons s’emparèrent d’elle. Elle se cogna l’abdomen, sa figure devenue rubiconde, manquant d’allier la saveur de l’alcool à celle du plancher.

— La sowqua est déconseillée pour les humains, rappela la patronne. Je t’avais prévenue. On s’arrête là, ou je te ressers ?

— À ton avis, Shano ? ironisa Héliandri. J’ai l’estomac solide, moi ! Tant qu’il reste des pièces dans ma bourse, je suis parée pour le prochain tour !

— Donc tu veux t’empoisonner et te ruiner ? C’est ta vie, après tout.

Shano fronça les sourcils. Retroussant les manches de son long tablier beige tacheté d’écarlates, elle en saisit une qu’elle lança et rattrapa en une fraction de secondes. D’une main elle remplit la coupe de sa cliente, de l’autre elle réceptionna son dû en sifflotant.

D’une taille supérieure à Héliandri, mais d’un âge moindre, Shano nattait ses mèches noires mi-longues. Un nez busqué ressortait de sa figure aux yeux étroits et de complexion claire. Plusieurs lavettes pendaient sur sa ceinture gaufrée, oscillant à même son ample pantalon en laine strié de plis.

— L’alcool est payant, dit-elle, mais pour toi, une chambre sera toujours disponible.

— C’est trop généreux, répondit l’aventurière. Fréquenter cette auberge de temps en temps, pourquoi pas, mais j’ai l’impression de m’en servir comme demeure.

— Ça n’a jamais été un problème pour Wixa et toi, par le passé.

— C’est ce qui a changé. Wixa n’est plus là… Elle me manque, Shano. Sans elle, je ne suis que l’ombre de moi-même.

— Je comprends, mais l’espoir subsiste. Tu m’as expliqué que malgré la sentence, Guvinor s’arrangerait pour te sortir de Parmow Dil.

— Et ça fait plus de trois semaines depuis le procès ! Où est-il ?

— Tu dois être patiente. Te faire oublier. Je craignais qu’en venant régulièrement, tu finisses par être reconnue, mais les clients ici s’intéressent surtout à leur chope qu’il me ravit de remplir.

— Le temps presse ! Qu’est-ce qui attendait Wixa derrière le portail ? Chaque jour, je redoute le pire.

— Tu sauras bientôt. Et je suis sûre que tu ne seras plus seule.

— Merci, Shano. Tu n’es pas une amie de remplacement, hein ! Quand je reviens ici, j’ai au moins quelqu’un à qui me confier. Une aubergiste d’apparence banale, mais d’une générosité hors norme ! Ça te dirait que je t’offre une coupe ?

— Hmm… Un autre jour.

Alliant le geste à la parole, Héliandri but une gorgée à la santé de la patronne, qui se contenta de dodeliner. Elle nettoyait les gobelets au rythme auquel ses serveurs les lui rapportaient, et relevait seulement les yeux lorsqu’elle était hélée.

L’aventurière n’en fit guère partie. Souvent elle trempait ses lèvres dans sa boisson, mais les lampées se raréfiaient, tant elle musardait. Dans ce moment de vacuité, s’étirant plus que de coutume, son regard parcourait l’auberge jusqu’à la moindre aspérité. Chaque table rectangulaire entourée de poutres. Chaque crépitement de l’âtre en face d’une paire de fauteuils pourpres, prompts à raviver sa flamme intérieure.

Ce fut toutefois le centre de la salle qui accapara son attention, à l’instar de la clientèle. Plusieurs rayons vespéraux illuminaient l’estrade surélevée, autour de laquelle le plancher était légèrement incliné. Aux balbutiements de l’obscurité se découpa alors une silhouette petite et fuselée. Elle se profila progressivement, mais se mit en exergue d’un saut inopiné.

— Me voici ! se réjouit-elle. Une joyeuse gaillarde ici présente pour vous divertir, Mélude Tuline !

Tous purent bientôt associer le visage à la voix : une jeune humaine avait émergé de la pénombre. Elle avait la figure ronde, constellée de taches de rousseur, où brillaient des iris émeraudes. Une abondante chevelure de flammes soutenait ses dandinements et renforçait l’intensité de son sourire permanent. Par-dessous un paletot vermillon doté de manches dentelées, soulignant son gabarit mince, elle portait une longue jupe ambrée. Elle brandissait un luth fait de bois clair, dont les cordes revêtaient une apparence argentée.

Mélude s’assura de la sollicitude du public vers lequel elle décocha moult clins d’œil.

— Vous ne me connaissez peut-être pas, déclara-t-elle, mais j’espère être assez talentueuse pour que vous vous souvenez de moi. Cette soirée n’est pas juste la mienne. Je vous demande d’accueillir mes compagnons : Makrine Grimoth et Zekan Posni !.

À sa droite surgit un ludram de complexion dorée, au nez et au visage étroit, dont les courtes mèches d’argent formaient des franges sur son front. Il était aussi de carrure grêle mais surpassait Mélude de trois têtes. Il s’était vêtu d’une tunique bariolée tout comme d’un fin pantalon strié de motifs en spiraux. Dans sa main flamboyait un eilenis, une version ludrame de la flûte à bec, d’épaisseur et d’extensions supérieures.

À sa gauche apparut une ludrame à la carnation smaragdine, pourvue de traits juvéniles sur son faciès triangulaire à l’instar de ses amis. Des boucles flavescentes cascadaient jusqu’au haut de son dos et camouflaient partiellement le haut de son chemisier céruléen garni de lignes diagonales. Jamais elle ne se séparait de son violon, si brillant qu’il reflétait toute lumière autour.

— Nous sommes venus pour vous divertir, annonça Makrine. Nous remercions chaleureusement Shano pour son invitation. Difficile de trouver une place pour se produire quand nous sommes peu connus…

— Place aux réjouissances ! s’extasia Zekan. Nous avons passé des nuits blanches à écrire des chansons, et nous espérons qu’elles vous plairont !

— Nous sommes « Les invétérés » ! s’exclama Mélude. Installez-vous confortablement, dégustez votre boisson préférée, car nous commençons maintenant !

Quelques applaudissements retentirent, surtout de Shano. Une fois le calme établi, Makrine généra un orbe aux nuances opalines qu’elle fit flotter par-dessus le trio, leur prodiguant une nouvelle lueur.

Une douce musique emplit la salle. Chaque membre jouait de son instrument avec un doigté subtil, se complétaient pour former leur mélodie. Là où Zekan et Makrine étaient presque immobiles, quoiqu’ils tournaient parfois sur eux-mêmes, Mélude se déplaçait sur l’estrade au rythme de ses notes.

Ce fut après une minute qu’elle commença à chanter :

« Au profond de la cité jamais endormie,

Les citoyens mènent tranquillement leur vie,

Mais quand le soir tombe, quand ils veulent être divertis,

La musique rassemble partout, dans chaque patrie.


Des jungles de Silusia aux déserts de Zerkosnu,

Nous avons voyagé et ici nous sommes venus,

Peuple de Parmow Dil, une promesse est due,

Nous vous égaierons là où nous sommes reconnus.


Une ballade d’aventure jamais ne lassera,

Et les histoires d’antan seront contés comme autrefois,

Toutes ces épopées où l’amour triomphera,

Nous en serons les témoins, nous en serons la voix ! »


La chanson s’acheva par une intensité de notes, que suivit immédiatement une série d’acclamations. Mélude, Zekan et Makrine saluèrent leur public. Ils restèrent toutefois sur l’estrade et poursuivirent leur musique après une brève interlude.

Dans cette chaude atmosphère, où le cliquetis des pintes s’amalgamaient avec les notes, Héliandri parvenait à se dérider. Sa coupe s’était vidée durant la chanson, aussi elle la déposa sur le comptoir, fixant la patronne au passage.

— L’enthousiasme de la jeunesse ! complimenta-t-elle. S’ils peuvent réchauffer quelques cœurs, leur mission est réussie.

— Voilà pourquoi je les ai invités dans mon auberge, affirma Shano. Et aussi car leurs services sont moins chers que la plupart des autres bardes. Le noviciat a ses avantages.

— Toujours brutalement honnête, Shano ! Aventuriers ou bardes, il y a différentes manières d’explorer le monde.

— Ils sont venus de loin, c’est certain. Peut-être même qu’ils partiront ailleurs dans le futur, mais ils seront toujours le bienvenu ici.

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