Amour sans complexes

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Déjà deux fois, Jonah a voulu me le retirer. La première quand il m’a lentement déshabillé, déposant un chapelet de bisous légers sur chaque surface de peau qu’il découvrait, et si je ne comprendrai jamais vraiment le plaisir de se faire bouffer les orteils, ses lèvres sur la peau fine de mes chevilles et celle sensible de l’intérieur de mes cuisses m’ont envoyé des frissons dans tout le corps, mais quand il a posé les doigts en étoile autour de mon nombril et a voulu faire remonter mon dernier vêtement, je l’ai arrêté en tournant lentement la tête, mes yeux dans les siens.

Il avait dû admettre mon refus comme un caprice étrange et avait souri, avant de bloquer à son tour mon mouvement, lorsque j’ai voulu me retourner sur le ventre…

- Pour les prélis, soit…’’ a-t-il murmuré ‘’mais ensuite, je veux voir ton visage, te voir réagir, chercher ce qui te plaît... et éviter ce te gênerait’’.

- Oh ! Ça va être la baise la plus attentionnée depuis… longtemps.

- Ce serait dommage pour toi, mais ce ne sera pas ça non plus’’ a-t-il glissé avec un demi-sourire qui se voulait mystérieux, ‘’je ne baise pas, Jey, je fais l’amour. Je serais désolé que tu aies oublié la sensation, mais je ne désespère pas de te faire déroger au… principe numéro un, sur ton profil.’’

(***)

Vrai qu’il est peut-être un peu inhabituel. Déjà, là où les mecs s’y exposent des clavicules à l’élastique du boxer, sur ma seule photo de torse, je n’ai remonté mon tee que jusqu’à mes côtes flottantes, les autres sont prises de dos, mais là, sans aucun obstacle de mes omoplates jusqu’au creux de mes genoux, les ‘fosses poplitées’, comme m’avait expliqué un étudiant en médecine, en y passant la pointe de sa langue, avant de remonter mon corps pour m’envahir lentement, longuement… Mon pseudo sur l’appli, aussi – J3Y en leet speak, que Jonah a tout de suite prononcé correctement – qui dit tout et rien, mais bon, l’anonymat relatif… Lié à la troisième particularité, moins rare, mais définitive pour moi ‘Bon coup ou pas, juste une fois’.

- On peut comprendre ça de plusieurs manières’’ avait-il dit sur messenger, après le match mutuel.

- Que ça fait salope ?’’ avais-je tapé, avant d’ajouter ‘Ou du moins mec avide ?’’

- Je n’ai pas pensé ça’’ avait-il très vite répondu ‘’Juste l’envie de multiplier les expériences… ou… l’angoisse d’une relation suivie ?’’

Il n’avait raison qu’en partie, c’est plus un malaise qu’autre chose, dû aux regards, de gênés à curieux, sur cette partie de mon corps. Les coups sans lendemain limitent le risque qu’ils finissent par la découvrir…

(***)

La seconde fois où il a tenté de me l’ôter, j’étais à sa merci, accroché à son corps comme un bébé koala à celui de sa mère, les cuisses serrées sur sa taille, une main agrippée à sa nuque, l’autre s’agitant sur mon corps … Il a interrompu ses mouvements en moi, a redressé son torse parfait de son bras gauche tendu, et de la main droite a voulu exposer le mien. J’ai abandonné ma quête du plaisir onanique et j’ai posé la mienne sur son poignet, en réitérant mon refus avec les yeux du Chat Potté et ma bouche tordue en une grimace embarrassée.

(***)

Jonah s’est posé sur le dos, sa respiration courte et saccadée, les yeux tournés vers le plafond. Et moi… moi, je le regarde, et je me dis qu’il avait raison pour la baise, la patience, les gestes retenus, la tendresse, l’attention, c’est bien mieux… Depuis quand me suis-je résigné à cette recherche futile et éphémère du désir de mecs anonymes ? Bien trop longtemps.

- J’ai compris, tu sais’’ a-t-il murmuré.

- Compris ? Quoi ?

- Ton angoisse de la nudité. Je veux dire, il y a des mecs qui gardent leurs chaussettes, et ça me briiiiime’’ a-t-il dit en riant ‘’J’ai même couché avec un mec qui avait voulu rester entièrement habillé, costume-cravate, la totale ! Mais toi…’

- Moi ?

- Écoute, je suis kiné, spécialisé en thérapie respiratoire… Pectus excavatum, le thorax en creux, je connais, en plus, la transpiration colle ton tee au relief de ton torse. Je vois ça souvent, mais c’est juste une particularité, et j’ai bien une côte surnuméraire, moi.

- Mais ça se voit pas ! Moi, c’est juste moche’’ ai-je gémi ‘’Vingt-quatre ans que je me traîne les remarques moqueuses, ou simplement maladroites, à un moment, on sature.’’

- Ce n’est pas moche, tu es tombé sur des cons qui focalisaient sur ça et ne voyaient pas l’ensemble, mais pour moi, de haut en bas, tout me plaît. Dans un genre… différent, tu es beau. Puis perso, notre… échange… mélange… j’ai kiffé, et à tes réactions, je pense que toi aussi, alors malgré la mise en garde sur ton profil, puis un peu en espérant t’aider à vaincre ta petite angoisse, je voudrais te proposer un second rendez-vous, mais plus sage, pour… je ne sais pas… manger des sushis, par exemple ?

- J’adore les sushis ! Comment as-tu pensé à ça ?

- Ton boxer, que j’ai pu retirer très facilement lui, il en est constellé, j’ai juste supposé… Et je commence à imaginer qu’il y a plus à découvrir de toi que juste ceci, puis que pour toi, il y a peut-être plus à imaginer de ma part, alors voilà, quoi.

Je me suis dit qu’il méritait au moins ma curiosité, du moins le temps d’un repas dans un restaurant japonais. Et peut-être, juste peut-être, à terme, ma confiance.

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